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Critique de Malaura


« Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines »…Sous ce drôle de titre à rallonge, se cache un texte écrit à quatre mains par deux des plus célèbres auteurs américains du XXème siècle, précurseurs du mouvement culturel Beat, Jack Kerouac et Williams S. Burroughs.

A l'époque de son écriture en 1945, nos deux comparses n'étaient pas encore connus, encore moins reconnus. Il faudra encore attendre près d'une décennie avant que Jack Kerouac ne défraie la chronique avec son « Sur la route » et que Williams S. Burroughs ne choque les âmes puritaines avec « le festin nu ».
Pour autant, on peut déjà déceler dans ce petit ouvrage, les thèmes et les inspirations qui alimenteront l'univers littéraire des auteurs : cette façon d'échafauder leurs écrits sur la base de leur propre existence et de leurs expériences personnelles, cette volonté de décrire la jeunesse marginale de leur temps, la stimulation de leurs pouvoirs créatifs par la narration de choses parfaitement avérées et vécues…
Autant de faits, d'initiatives littéraires qui les conduiront, dans les années 1950, à devenir les « fondateurs » de la Beat Génération au côté d'Allen Ginsberg ou Neal Cassady, se donnant pour mission de rechercher dans l'écriture l'essence même de la vie et de puiser dans les expériences existentielles la matière première à toute création.

Ainsi donc « Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines », bien que se déroulant dans les années 1940, avant même le phénomène Beat, est finalement bien représentatif et certainement annonciateur de ce courant artistique, comportemental et générationnel qui offrit à Kerouac et Burroughs un billet pour la postérité.
Ici, la matière première servant à l'élaboration de cette histoire autobiographique, s'avère être le meurtre d'un de leurs camarades par un autre de leurs amis intimes au sein d'une petite bande de jeunes marginaux new-yorkais vivant d'expédients au rythme des beuveries journalières, des discussions, des délires et des folies.
A l'époque, en Août 1944, l'affaire Lucien Carr / Dave Kammerer fait grand bruit ; Kerouac et Burroughs sont même un temps inquiétés par la police et entendus comme témoin. Une histoire qui affecte suffisamment les deux écrivains pour que ceux-ci décident d'en composer un manuscrit, écrit tour à tour, et relatant les évènements qui se sont déroulés une semaine avant l'acte fatal de leur ami Lucien sur la personne de Dave Kammerer.

Bien sûr, pour préserver l'intimité de chacun et notamment celle du jeune criminel, devenu par la suite un grand ténor de la presse américaine, les noms des personnages qui viennent traîner dans « Les hippopotames… » ont été changés, Lucien devenant le jeune turc Philip Tourian, Dave Kammerer - qui ne cessait de le poursuivre de ses assiduités - s'incarnant sous les traits du quarantenaire Ramsay Allen, tandis que nos deux écrivains se matérialisent respectivement sous le jeune matelot Mike Ryko pour Kerouac, et le barman / détective Will Dennyson pour Burroughs.

Fort de ces informations sur la trame véridique de l'ouvrage, l'on déambule sympathiquement avec ces jeunes paumés dans les rues de New-York, de bar en bar, de cinémas en restaurants, au gré de cuites mémorables et de divagations, de blagues de potaches et de soirées amicales chez les uns ou les autres.
De cette petite bande de jeunes soulards, émerge la figure, pas toujours très sympathique, de Philip Tourian, jeune turc beau comme un adonis, poursuivi par l'amour gauche, débordant et étouffant de l'homosexuel Ramsay Allen, à la fois esclave et mentor du jeune homme. Celui-ci, pour fuir cette passion que lui voue Allen, décide de devenir matelot comme Mike Ryko. Les deux garçons en quête d'aventures, vont donc essayer d'embarquer sur un navire en partance pour Paris bien que leurs gueules de bois régulières les contraignent bien plus souvent à rester à quai….

Il aura fallu près de 70 ans et la mort des différents protagonistes, aisément indentifiables, avant que l'ouvrage ne quitte « les lames du parquet » où il s'empoussiérait et ne soit enfin édité.
Oeuvre de jeunesse, « Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines » comporte les défauts de ses qualités : bien qu'encore un peu maladroite à certains égards, elle est empreinte de l'énergie vitale et la fraîcheur de la jeunesse, et fait montre d'une belle honnêteté dans sa volonté de brosser le portrait de la « frange paumée » d'une génération.
La lecture prend réellement de l'envergure et de l'intérêt si le lecteur ne perd pas de vue les dessous véridiques de l'histoire. Lu sans les informations préalables, le texte bien qu'agréable, drôle et relevé, n'est pas d'une indéniable portée littéraire. Il le devient néanmoins quand on arrive à le replacer dans son contexte social et historique. A ce titre, la très enrichissante postface de James Grauerholz nous offre un éclairage absolument primordial sur l'ambiance de l'époque d'après-guerre, sur l'environnement des deux auteurs et sur les histoires personnelles de cette joyeuse bande d'allumés que l'excès d'alcool va mener à un acte inconsidéré, aussi stupide que funeste.
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