Burroughs abolit les distances avec ces camarades de la Beat Génération et installe une correspondance intensive couvrant une période d'une quinzaine d'années mouvementées. Des
lettres adressées principalement à son ami de toujours,
Allen Ginsberg, récipiendaire le plus important de ce matériau épistolaire. C'est dans cet espace intime que l'explorateur psychique documente son développement personnel et artistique avec la prescience de savoir qu'un jour ses
lettres constitueront le véritable roman.
On y retrouve sans surprise le sujet le plus proche de lui, la drogue. Sans oublier l'éternel refrain, celui d'un renoncement ponctué de rechutes. Dans cette correspondance, Burroughs s'exprime également sur l'isolement de l'exil. Des années 1945 à la fin 1959, il n'aura de cesse de se déplacer - au Texas, à Mexico, Rome ou encore Tanger - par crainte d'actions judiciaires et par quête de liberté légale et culturelle. Ces
lettres sont l'envers du décor, là où l'auteur nous confronte à sa solitude et aux états de crise provoqués par l'absence de réponse ou encore la peur de perdre son seul auditeur. Les
lettres s'enchaînent, dans une frénésie thérapeutique. La comédie de l'écriture comme nourriture de soi.
La carapace est rompue et ses fragilités livrées sans résistance. C'est une longue descente, une succession d'échecs et de découragements jusqu'à aboutir - enfin - à la manière adéquate d'écrire son roman : l'anti-narration. À côté de cet abandon, cette production curieuse renferme une critique sociale très personnelle. Burroughs exprime, avec perspicacité et hallucination en simultanée, son mécontentement à l'égard des États-Unis. Critique envers l'ingérence croissante dans les affaires de chaque citoyen, lassé du conformisme bourgeois et de la pression de la censure, l'écrivain n'épargnent pas ces « répressifs et craintifs de la vie ».
L'on sait Burroughs apprécié pour sa plume incandescente, cette marge de l'écriture qui lui est propre et son goût pour les sujets brûlants. Mais c'est aussi une personnalité hautement problématique qui, au sein de cette correspondance, révèle sans détour ses obsessions névrosées et criminelles. Certains passages bavards écornent gravement le mythe et pourtant, il n'en est aucunement fait mention dans la préface. Si l'on s'intéresse à certaines de ces
lettres écrites notamment à la période durant laquelle Burroughs s'est installé à Tanger - séduit par ce “ce sanctuaire où chacun est à l'abri de toute interférence” - l'on constate aisément le caractère pédophile de certaines scènes de prédation décrites avec délectation. de son propre aveu : “en train de faire des avances à un garçon indien de 13 ans devant son père, ses frères et ses oncles, en train de ramener à la maison deux morveux déguenillés. Tout ce que je me rappelle est qu'ils étaient jeunes. Me suis réveillé avec l'odeur de la jeunesse sur les mains et le corps” ou encore “si j'étais sage et que j'écoutais un psychanalyste, j'arrêterais de courir après les jeunes garçons”. On ne peut pas dire que le discours, qui n'est pas dans la forme romanesque, puisse se dédouaner ...