La mort ne s’inscrit pas dans le temps, elle survient. Elle n’a pas de durée. Elle est définitive.
Quelques badauds étaient restés auprès du cadavre encore chaud, par respect diraient-ils. Pour s’attribuer un rôle dans cette tragédie, surtout, et la raconter ensuite aux amis et à la famille d’un ton horrifié. Pour goûter le drame sans risque, inspirer l’odeur cuivrée du sang, les miasmes des entrailles. Effleurer la mort et se réjouir de ne pas être celui qui pue dans la fraîcheur du centre commercial. Éphémère sentiment de victoire que d’observer cette peau lisse refroidir, alors que la sienne, ridée et tachée, continue à palpiter d’un sang chaud.
L’appartement d’Arabella était étriqué. Sombre. Nu. Les pièces se révélaient trois fois plus longues que larges. Dans la salle de bain, il fallait quasiment enjamber les toilettes pour atteindre la douche. Un homme n’aurait pu y tenir de face. Mais Arabella était svelte et n’accueillait pas beaucoup de visiteurs masculins
La vessie d’Erynn lâcha. Le liquide chaud coula le long de ses cuisses et une odeur âcre imprégna l’air épais, stagnant. Elle n’y porta pas plus attention qu’à celui, salé, qui dévalait ses joues. Son cœur se serra, petite chose informe qui ne prenait plus assez de place dans sa cage thoracique. La mort venait, mais elle n’était pas prête. La terreur lui lacéra les entrailles. Cette insupportable douleur, provenait-elle de la sorcellerie ou était-elle inhérente à la perte ? Perte de sa famille. Perte de sa vie avortée. Erynn ferma les yeux et supplia la mort de lui épargner la souffrance.
Il la serra contre lui. Elle résista au début, puis se laissa aller. Il ne voyait plus les balafres sur sa peau, mais la plaie dessous. Bien plus profonde que celles visibles. Bien plus profonde que la sienne. Malgré sa culpabilité, il se sentit légèrement mieux.
En 1974, une sorcière avait commis une série de meurtres à Sydney, ciblant de jeunes hommes blancs. La presse s’était emparée de l’histoire. Le terme « sorcière de chair » avait été créé par un journaliste pour nommer la meurtrière. En effet, ses victimes s’arrachaient des morceaux de chair à mains nues lors de soirées mondaines et mouraient vidées de leur sang.
Les chairs mortes bondirent en même temps. Arabella évita le premier coup de couteau et envoya un coup de pied dans le ventre de James qui plia sous la douleur.
— Je ne suis plus une gamine sans défense.
Elle brisa son nez d’un puissant coup de poing et l’attrapa, laissant son pouvoir se saisir de ses neurones. Sous son injonction, il se retourna, barrière de chair froide contre son cousin. La peur s’inscrivit dans les yeux de David. Il lâcha son couteau et leva les mains en l’air.