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Quelques mois plus tôt ... Ca faisait plus d'une heure que je faisais du stop, en marchant à côté de la départementale 982, à l'ouest de Rouen, quand enfin une voiture s'est arrêtée. Il était temps. Je commençais à avoir une crampe au pouce. Je ne sais pas si le temps pluvieux de Normandie est juste une légende urbaine mais en tout cas je suis complètement trempé. La vitre se baisse et l'homme au volant me demande : - Vous allez où monsieur ? - Bonjour, je dois me rendre à Flers. Je ne suis même pas sûr d'être sur la bonne route, je suis complétement pommé. - Ce n'est vraiment pas la porte à côté dîtes moi ! Ecoutez, je me rends à Caen en fin de journée, je pourrais déjà vous rapprocher. Mais avant je dois faire quelques recherches dans les environs dans le cadre de mon futur livre. Si ça ne vous dérange pas de sillonner le pays De Caux, montez ! - Vous n'êtes pas un pervers ou un psychopathe au moins ? - Non. Mais si j'en étais un je ne vous le dirais probablement pas. - Ca vous dérange si je mets un peu de musique ? - Ben non, c'est votre voiture et c'est déjà bien aimable à vous de vous être arrêté. Le lecteur CD enchaîne alors les chansons, à commencer par un avion sans aile de Charlelie Couture : Comme un avion sans aile / J'ai chanté toute la nuit / J'ai chanté pour celle / Qui ne m'a pas cru toute la nuit ... Puis ça a été le tour de Mistral gagnant de Renaud : Enfin il faut aimer la vie / Et l'aimer même si le temps est assassin / Et emporte avec lui le rire des enfants / Et les mistrals gagnants ... Suivi du tube de Mylène Farmer en 1984 : Un maman a tort / Deux c'est beau l'amour / Trois l'infirmière pleure / Quatre je l'aime... On a également eu droit à la chanson de Pierre Perret, Lily : On la trouvait plutôt jolie, Lily / Elle arrivait de Somalie Lily / Dans un bateau plein d'émigrés / Qui venaient tous de leur plein gré ... Des titres qui me rappellent quelque chose, qui ont un lien. Je l'ai sur le bout de la langue. Je regarde le conducteur plus attentivement et les engrenages se mettent en place. C'est Michel Bussi ... J'essaie de rester calme, de ne pas me changer en fan hystérique ou pétrifié d'intimidation. Auteur parfois décrié, j'ai beaucoup aimé pour ma part la majorité de ses romans. Peut-être que le mieux, c'est de faire comme si de rien n'était. Nous arrivons rapidement dans la petite commune de Touffreville-les-Corbeline où a justement lieu la brocante annuelle. Michel se gare à proximité, et je l'accompagne, regardant principalement les livres d'occasion, à la recherche de la perle rare. Genre Sang famille, actuellement le roman le plus dur à trouver de l'écrivain et l'un des seuls que je n'ai pas encore lus. - Vous saviez que dans la région on appelle ces évènements des foires-à-tout ? - Je connaissais le terme mais j'ignorais qu'il était principalement utilisé par ici. Et qu'est-ce qu'on doit chercher exactement ? - J'ai juste une idée de nouvelle, qui s'appellerait "Vie-de-grenier", mais je recherche l'inspiration, je dois m'imprégner des lieux, pour rendre au mieux cette ambiance, décrire ces rues et ces chineurs à la recherche de bonnes affaires ou d'antiquités, et trouver une chute qui soit à la fois originale et réaliste. C'est un peu ma marque de fabrique, que ce soit dans mes romans ou mes nouvelles. Ce qu'on appelle un twist. - Ce serait quoi le sujet de cette histoire ? - Eh bien j'imagine un personnage principal qui serait fasciné par les mystères, les enquêtes, les affaires non résolues. Un modeste écrivain régional qui publierait ses recherches et qui dévoilerait par le biais de ses écrits les secrets régionaux qu'il aurait percés à jour. Un jour, son épouse l'obligerait à sortir un peu, à arpenter ces rues couvertes de vieilleries. Et il se retrouverait avec une nouvelle énigme insoluble à résoudre. - de quelle genre ? - Eh bien, j'imagine qu'il tomberait sur un stand un peu particulier, où des jouets et des albums attireraient son attention. Ils reconnaîtrait les films de Disney que regardaient ses enfants et mettrait cette pointe de nostalgie sur le compte du hasard ... Jusqu'à reconnaître également les poupées de sa fille, les disques de son fils. Des objets courants pour la majorité mais qui en si grands nombre deviendraient une anomalie obsédante. Ces souvenirs, ce sont les siens et ceux de ses enfants qui ont quitté le domicile parental depuis belle lurette déjà. Mais ce cheval à bascule, ces albums, sont-ils ceux de son propre foyer ou est-ce juste une coïncidence ? Comment auraient-ils atterris entre les mains de cette brocanteuse ? Peu après, nous remontons dans la voiture et nous passons par de jolies petites communes telles que Yvetot, Sainte-Marie-des champs, avant de rejoindre la départementale 20. Grémonville, Amfreville-les-champs, Doudeville... On s'arrête à proximité de cette dernière, près d'un manoir au doux nom de "La Renardière". - C'est là que va se situer une autre de mes histoires ! J'imagine très bien mes personnages. Un couple âgé de Parisiens qui prendrait des vacances ici même et qui, en arrivant sur ce petit chemin, entendraient un étrange cri, peut-être animal. Ils rencontreraient ensuite Monsieur Lefebvre, au lieu de son épouse avec laquelle ils avaient correspondu pour la location. Et là, les mystères s'enchaîneraient les uns aux autres : Ils ne rencontrent jamais l'épouse censée leur expliquer le fonctionnement du gîte. La seule consigne qu'ils ont obtenus de la part de leur hôte c'est de ne pas toucher à l'armoire normande dans leur chambre : Un petit bijou d'orfèvrerie, un héritage familial rendu fragile par les années et qui menace de s'effondrer. Et peu à peu, les coïncidences ne pourront plus en être, et le vieux couple, qui s'en amusait initialement, commence à additionner deux et deux et à s'inquiéter véritablement. - Et comment ça se termine ? - Ca je le garde pour moi, n'y voyez aucune offense. On remonte dans la voiture pour une dernière escale, poursuivant au nord sur la départementale. On tourne à droite juste avant d'arriver à Saint-Valery-en-Caux. Michel Bussi met le volume à fond et laisse s'exprimer la voix d'Hubert-Félix Thiéfaine : "On s'est aimé dans les maïs / T'en souviens-tu mon Anaïs / le ciel était couleur de pomme / Et l'on mâchait le même chewing-gum." Je reconnais la chanson de 1979 de l'album Autorisation de délirer : Dernière station avant l'autoroute. Dernière halte à Veules-les-Roses, sur la côte d'albâtre. Un village d'environ six cent habitants aux nombreuses caractéristiques : Classé depuis septembre 2017 parmi les plus beaux villages de l'hexagone, il est également traversé par le plus petit fleuve de France : La Veules mesure en effet ... 1149 mètres. - Vous saviez que Victor Hugo avait séjourné ici à plusieurs reprises, notamment durant ses vieux jours ? Il me montre une photo sur laquelle Victor Hugo est entouré de nombreux enfants. La photo date de 1882. - Mais le mystère ici qui m'obsède le plus est celui d'Anaïs Aubert, connue également sous le nom de Mademoiselle Anaïs, une célèbre actrice de la comédie française qui a eu un véritable coup de coeur pour ce petit village. Elle a fui Paris en 1826, sans explication, et a séjourné ici quelques semaines avant de retrouver la capitale. Pourquoi ? Des théories plus farfelues les unes que les autres courent encore aujourd'hui, mais je me suis penché sur son histoire, sur les personnalités qu'elle a fréquentées, sur le contexte de l'époque, et je pense que j'ai trouvé la solution. En tout cas, une hypothèse possible qui expliquerait tout. - Donc ça sera une nouvelle historique ? - Oui et non. Je vais m'appuyer sur des faits réels du dix-neuvième siècle mais l'histoire se déroulera de nos jours. Une jeune mère, Ariane, se découvrira de nombreux points communs avec cette Anaïs Aubert. Elle emménagera dans le village et essaiera d'y installer son commerce, mais elle sera confrontée à des mystères inexplicables : L'impression d'être épiée constamment dans sa propre maison, sa fille de trois ans qui possède d'inexplicables capacités prodigieuses, ou encore cette photo qui semble avoir disparu de tous les exemplaires du guide "Les promeneurs de Veules" ... Un dernier regard aux chaumières, aux moulins à eau, à l'abreuvoir de ce village aussi pittoresque que chargé d'histoire et nous repartons vers Caen, une longue route nous attend et nous traversons le pays De Caux dans l'autre sens. - Il n'y aura que trois nouvelles dans votre recueil ? Ca ne fait pas beaucoup. - "T'en souviens-tu, mon Anaïs" et "Vie-de-grenier seront des textes assez longs, presque des novellas. Mais je pense en effet en ajouter une dernière parce que les personnages d'Aja et de Christos me manquent. Ce sont des flics de l'île de la Réunion qui jouaient un rôle important dans mon roman "Ne lâche pas ma main". - Et vous avez déjà une idée de la nouvelle affaire à laquelle ils seraient confrontés ? - Plus ou moins, oui. Je pense à une intrigue qui s'intitulerait "Une fugue au paradis" et qui se déroulerait sur quelques heures seulement. Juste avant et juste après le nouvel an, en alternance. Il y aurait bien sûr une affaire de meurtre à résoudre, celui d'un jeune homme poignardé retrouvé au petit matin au bord de l'océan. Et parallèlement, la veille au soir, des jeunes qui s'apprêtent à fêter la saint Sylvestre. Des garçons de l'île et deux filles de la métropole qui finiraient par se rejoindre. Quand l'auteur me dépose dans les rues caennaises, je le remercie tant pour le transport que pour toutes ces histoires que je promets de découvrir à leur future publication, pour en découvrir la version intégrale. Et je ne peux m'empêcher de crier quand le véhicule redémarre : - Merci pour tout monsieur Bussi ! * * * Ps 1 : Quelques mois plus tard, j'ai enfin pu lire ce fameux recueil, dont la lecture fut très agréable. Même si on voit venir de plus ou moins loin la majorité des chutes, l'intérêt de ces nouvelles ne s'arrête pas là puisqu'elles sont toutes enrichissantes, souvent instructives ou émouvantes. Ps 2 : Toutes mes excuses aux habitants du pays De Caux pour les imperfections géographiques ou culturelles de mon histoire ... qui n'a bien évidemment eu lieu que dans mon imaginaire. + Lire la suite |