Howard Buten a vécu quasi-simultanément trois vies : auteur, clown, et psychologue.
Ce livre allie ces trois casquettes.
Hoover, clown impécunieux qui intervient dans un hôpital pour enfants se voit confier quatre enfants psychotiques profonds contre rémunération dans le cadre d'un nouveau projet : placer des handicapés mentaux dans des familles d'accueil.
Il va se reconnaître en eux, lui, l'asocial d'un monde dans lequel il ne se sent pas à sa place, «Je me suis senti chez moi avec ceux-là, ces enfants-là, et plus jamais je ne serai sans eux. (…) Pour la première fois de ma vie, je me contentais de ma propre maison, peuplée de ma propre famille, ceux que j'aimais, ceux pour lesquels j'aurais fait n'importe quoi, ceux auxquels je pouvais parler.»
Dans un premier temps, il ne voit pas l'utilité d'«éduquer» ces enfants : «Je n'ai pu m'empêcher d'hésiter à arracher Mickey à ses propres tortures pour l'amener dans les nôtres, plus distinguées mais infiniment plus avides, là où nous menons nos duels avec courtoisie et rigueur, échanges débordant de signification et malentendus et coeurs brisés qui vous tuent aussi net que la première tumeur venue, là où vous vivez, dans votre âme.»
Il se contente de rentrer dans leur univers et d'essayer de décrypter le mode de communication de chacun d'eux : «J'ai appris que la communication n'a rien à voir avec les mots et se produit quand deux personnes, équipées par hasard d'un émetteur et d'un récepteur de la même marque (des trucs que ne révèle aucune radiographie, aucun électroencéphalo) parviennent on ne sait comment à se rencontrer dans ce pauvre monde où chacun se trimbale seulement avec du matériel bricolé sur mesure.»
Dans un deuxième temps, menacé de se voir retirer ses quatre protégés, il accepte de se faire aider : aide ménagère, école, psychiatre, etc… Ces quatre enfants deviennent sa raison de vivre : il va prendre ses responsabilités et évoluer avec eux en s'efforçant avec réalisme, courage, tendresse et un immense amour de les faire sortir de leur enfermement mental. « Je voudrais les sortir de l'obscurité. (…) Je vais veiller sur eux tandis qu'ils voyagent loin d'ici. Loin de ce monde, ces enfants qui n'ont jamais été faits pour y vivre, jusqu'à des pays de rêve vers lesquels chacun d'entre eux jouit sur nous d'une avance particulière et inexplicable. »
Un combat permanent pour le bonheur, une histoire bouleversante non dénuée d'humour malgré la violence et la crudité de certaines situations et un magnifique livre d'amour qui parle des handicapés et de leur monde sans tabou ; vous ne pourrez plus le lâcher une fois commencé...
PS – Pourquoi le titre ‘'Monsieur Butterfly'' ? Hoover s'identifie à l'héroïne de l'opéra de Puccini : «Le rôle de Madame Butterfly brisée par le chagrin frappait mon système nerveux central. Car il est de certains moments et de certains cas où la vie imite l'art, où les deux créations s'entremêlent tellement inextricablement qu'elles se reflètent l'un l'autre et ce faisant se reflètent elles-mêmes. Jusqu'au visage poudré de blanc, quand je me regardais dans le miroir, je l'y voyais, Cio-Cio-San, sans parole et sans pareille, assise devant sa fenêtre dans l'attente des vaisseaux qui ne peuvent apporter, s'ils viennent, que le chagrin d'un autre monde, ce monde dans lequel elle ne peut vivre, car nul d'entre nous ne peut s'empêcher d'être qui il est.»
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c'est la formatrice des mes stages de clown qui m'a conseillé ce livre!
un livre touchant à cause du narrateur: Hoover Sears est un double de l'auteur parce qu'il est comme lui clown et doué dans la communication avec les enfants "différents" (psychotiques, autistes, trisomiques). C'est un personnage très humain: il va accueillir chez lui des enfants dont personne ne veut car ils sont étiquetés arriérés ou fous. Lui qui a quitté la femme qu'il aimait parce qu'il refusait de devenir père va devenir le papa de substitution dont on rêve tous... il lui faudra apprendre à protéger ces enfants, mais aussi à les laisser s'envoler, le quitter... C'est un narrateur qui apparait hors norme, détaché, marginal, mais plein de sentiments.
j'ai retenu plein de citations superbes, par exemple "la haine, c'est la peur retournée comme une chaussette".
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J'ai lu ce livre après avoir vu son spectacle (génial) au Ranelagh ; ce livre est à la fois scientifique et en partie auto-biographique, ce qui fait sa force ! On est en prise directe avec l'expérience ! le style est déroutant au début, très parlé, mais on s'y fait vite, surtout que c'est le langage des principaux héros handicapés du livre. L'humour, parfois presque trop, peut-être dérangeant mais il y a surtout une immense tendresse. Howard Butten est véritablement barré, et le livre est à la hauteur du personnage.
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Quand j'étais enfant, j'aimais bien imposer aux gens l'épreuve du silence qui consiste à croiser les bras sans rien dire en attendant que les autres comprennent ce qu'ils ont bien pu faire de mal. Ce qui m'a permis d'apprendre que si la parole ne vaut pas grand-chose, les mimiques sont tout aussi mal comprises des masses, et m'a donc apporté surtout l'isolement et la solitude – que je recherchais d'ailleurs, étant dès cette époque en porte à faux avec la plupart des gens et cherchant sans succès un autre moi-même pour devenir copain avec lui.
Ce n'est que beaucoup plus tard que j'ai appris que la communication n'a rien à voir avec les mots et se produit seulement quand deux personnes, équipées par hasard d'un émetteur et d'un récepteur de la même marque – des trucs que ne révèle aucune radiographie, aucun électro-encéphalo –, parviennent on ne sait comment à se rencontrer dans ce pauvre monde où tout un chacun se trimbale seulement avec du matériel bricolé sur mesure, ou les grandes marques, incompatibles avec la mienne et où la parole n'est vraiment qu'un des accessoires les moins importants (Seuil, 1987 : pp. 25-26).
Au quatrième étage, j’ai fait mon numéro de chapeau pour les enfants atteints de maladies incurables. C’est eux qui ont le plus de ri. D’un seul coup, dans ma tête, j’ai vu ces deux masques, la comédie et la tragédie, qui recouvrent tous les visages de tous les gens du monde en même temps et je voulais les arracher pour voir ce qu’il y a en dessous et je les arrachais et en dessous il y avait d’autres masques.
Dans les fenêtres de la maison d'en face, je vis une lumière gris-bleu projetée par un poste de télévision derrière les rideaux et qui transformait ces deux fenêtres en deux yeux fixés sur notre propre demeure. Deux yeux qui ne clignaient jamais. A l'intérieur, il y avait le mari et la femme. S'embrassent-ils encore, songeai-je, au bout de tant d'années, ou jouent-ils désormais un rôle appris par coeur par la force de l'habitude ayant cessé de frotter leurs joues l'une contre l'autre et leurs lèvres sur leurs lèvres pour bavarder sur l'oreiller ? Une ombre passa sur les rideaux. La femme lisait-elle agenouillée sur quelque divan près de lui, sa chevelure tirée en une queue de cheval ? Marcherait-il jusqu'à elle en silence pour lui poser un baiser sur la tête et sourirait-elle alors en lui prenant la main, avant de la lâcher ? Car c'est un grand don de savoir aussi lâcher.
Je me demandais s'ils éprouvaient de la haine contre quelqu'un, je me demandais pourquoi j'en éprouvais, moi. J'avais toujours pensé qu'il était bon de haïr quelqu'un, afin de donner à son âme un récipient à remplir plus tard d'autre chose et afin de s'assurer qu'on connaissait la différence. Mais peut-être que je me trompais.
Je n'ai rien dit du tout. Ce n'était pas la peine. Et puis parfois les mots ne viennent pas un point c'est tout, et puis parfois c'est eux et puis parfois c'est vous. Notre espèce qui est née du langage, de la sélection naturelle, débusquant les ennemis qu'elle a elle-même engendrés, quand les mots deviennent ce qui tue, il ne nous reste que les mots pour espérer la sauver.
Il ne dépendait que de moi de maintenir les choses en l'état par l'espoir. En marchant toujours d'un pas en retrait de son souhait, on le fait exister à jamais. En le rattrapant, on le fait disparaître pour toujours.
Extrait de BUFFO BUTEN & howard, un portrait de Howard Buten, clown (BUFFO), écrivain
(auteur du best seller "Quand j'avais 5 ans je m'ai tué") et psychologue spécialisé dans l'autisme.