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Critique de Dandine


[Un billet deterre, qui date de 2016. Par paresse je n'y ai rien change.]

J'ai appris sa mort par la television et je me suis dit que son oeuvre valait surement une lecturequiem. J'ai opte pour le livre le plus facile a trouver, qu'on dit etre son –ou un de ses- chef-d'oeuvre.
De prime abord il m'a decontenance avec son vouvoiement, que j'ai pris pour un gimmick, le genre de petite astuce qui ne laisse presager rien de serieux. L'accumulation de details a commence a me fatiguer et je me suis demande si je n'allais pas abandonner cette lecture. Puis je me suis fait prendre aux vas-et-viens de l'histoire, aux balancements saccades du roman, et j'etais dans le train, tout le voyage de Paris a Rome, en troisieme classe. Avec en tete beaucoup d'autres allers et retours, de Paris a Rome, de Rome a Paris. Avec ce petit bourgeois a la quarantaine triste qui est mis en scene par Michel Butor dans La Modification.


Mise en scene est un mot cle de mon impression de lecture. Tout se passe dans un train, et c'est comme si dix cameras differentes etaient braquees a l'interieur, nous donnant tous les details des couloirs, des compartiments, des sieges, des fenetres, et bien sur des voyageurs, leurs habits, leurs attitudes, leurs mouvements. Tous ces personnages secondaires parlent, mais le lecteur ne les entend pas. Leurs portraits (j'allais dire leur image), leurs gestes, sont tres nets, mais leurs raisons de se remuer et d'agir, leurs possibles destinations et destinees ne nous parviennent qu'a travers le philtre du personnage principal, qui s'imagine et invente leur passé, leur futur immediat, leurs possibles vies. Eux aussi ne sont que le décor ou se deroule le drame interieur de ce personnage: un quarantenaire parisien, directeur de la succursale francaise d'une firme italienne, faisant donc des sauts periodiques a Rome, ou il a une amante. Il a decide de rompre avec sa terne vie, c.a.d. avec sa femme qui le meprise (c'est du moins ce qu'il ressent ou s'imagine), ses enfants qu'il ne comprend pas et qui ne le comprennent pas mieux. D'abandonner les facilites falotes de sa grise routine, de ramener son amante a Paris pour vivre avec elle une nouvelle jeunesse. Il prend donc – cette fois ci en maquillant son voyage, en se cachant de ses employeurs – le train de Rome pour la surprendre et lui annoncer sa decision.
Mais voila, le trajet est long.


Pendant ce long trajet vont lui passer par la tete des details, decousus, de ses rencontres avec son amante, de ses deambulations a Rome, de son travail a Paris, de ses habitudes familiales, de ses rapports avec sa femme, melant passé present et futur. Et c'est en ressassant ses souvenirs et sa decision qu'il arrive, en fin de voyage, a la modifier. Je ne devoile rien qui ne soit dans le titre, et si je devoile cela n'a aucune importance. L'interet du livre de Butor, sa grandeur, n'est pas dans le suspense mais dans la reproduction, a l'infinitesimale, du processus mental qui amene la modification.


Je sais bien que ce livre est apparente au "Nouveau Roman". Par contre je ne sais pas tres bien ce qu'a ete, ou ce qu'a voulu faire ce "nouveau roman" si ce n'est abandonner, detruire ou deconstruire tout ce qui a trait a l'intrigue ou au personnage. Mais ici il y a bien une intrigue, il y a bien une action –pas seulement mentale – qui se deroule en un espace-temps determine, il y a bien un personnage, auquel on peut s'attacher bien qu'il soit falot; avec lequel on peut meme arriver a s'identifier (nous ne sommes pas tous des hommes et des femmes forts et surs de nous, et nous avons tous passé, ou nous passerons tous, une sorte de crise de la quarantaine), meme si on ne se sent pas directement concernes par le "vous" qu'emploie Butor en decrivant son personnage.
Si le "nouveau roman" a voulu se differencier des classiques, si La Modification s'est voulue oeuvre de cette ecole, le temps, espiegle et inattendu comme toujours, leur a fait un beau pied de nez. Ce livre est aujourd'hui un classique. Un classique par son ecriture, un classique par son personnage. Et comme tous les classiques, a lire et a relire.
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