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Critique de moravia


1er juin
C'est ce jour-là, même si initialement je devais être ailleurs, une invitation que j'ai refusée au dernier moment, malgré à l'extérieur des gouttes de pluie, myriade de pois humides et saccadés, je revois tout cela très clairement, l'instant où je suis arrivé sur la place presque déserte, où je me suis aperçu que la dernière rafale de vent avait achevé de démonter la vieille poignée du parapluie, qu'il me faudrait soigneusement appuyer le pouce à l'endroit déboîté, crisper ma main, doubler d'effort.
En face de moi, au-delà des barrières qui coupaient la circulation, asphalte désormais territoire des piétons, l'horloge de l'église au cadran charbonneux marquait 8 heures. Un peu de vent frôlait le bas de mon visage et mon cou, un vent doux et poisseux, comme les poils d'un animal boueux.
Je me souviens, j'ai été soudain pris de lassitude, de peur (et j'étais perspicace : c'était bien ce genre de folie que j'appréhendais, seul avec moi-même), j'ai été envahi, toute une seconde, de l'absurde envie de renoncer, de fuir, de courir vers ma voiture pour effacer ce court périple dans lequel je m'étais égaré ; mais un immense fossé me séparait désormais des événements de la nuit, un fossé qui s'était démesurément agrandi tandis que je le franchissais, de telle sorte qu'il m'était impossible de capituler.
Ce matin, n'est-ce pas ce ciel si clair après l'orage, ce ciel qui, certes, ne pouvait nous être accordé pour bien longtemps, ce ciel tentateur, qui m'a engagé, à six heures, à me détourner de ma première résolution, oubliant même de laisser un message aux Pinget pour m'excuser.
Mais ne pourrais-je pas compter, pour achever de conjurer le mauvais sort, sur le récit que je vais faire maintenant de ma seconde rencontre avec cet homme qui est comme l'incarnation de ma propre chance, cet homme que je n'avais pas revu depuis qu'il m'avait refusé une vente dans un autre vide-greniers un des premiers jours d'avril, cet homme dont je ne savais pas encore le nom mais dont je n'avais pas oublié le visage (je l'ai reconnu dans l'instant), rencontre dont les conséquences ont été pour moi très heureuses, puisque c'est grâce à lui; dont je n'aurais jamais attendu autant (il vendait surtout du bric-à-brac), que j'ai enfin découvert ce livre envoûtant, ce livre dont je tente d'écrire la critique, ma seconde rencontre avec cet homme un jour de grand vide-greniers où je n'avais pu acheter tous les livres convoités, livres sombres et terribles, ne pouvant nous accorder sur le prix qui me semblait exorbitant, qu'aujourd'hui je reconnais comme raisonnable, mais qui était pour moi une raison fallacieuse de ne pas augmenter dangereusement ma pile à lire.

6 Juin.
C'est maintenant que commence la véritable critique ; puisque je mesure la distance qui me sépare de celui que j'étais en débutant ce livre, non seulement mon appréhension, mon ignorance, mes égarements, mais aussi mon enrichissement, mes progrès dans la connaissance de ce style et de cet auteur, de son flou et de ses moments de beauté ; car il me faut reprendre possession de tous ces événements que je sens fourmiller et s'organiser à travers un nuage de mots qui tentent de les masquer, les évoquer dans leur ordre afin de les sauver avant qu'ils ne sombrent dans cette éruption de lave rougeoyante.
Dès les premiers instants, ce livre m'était apparu étouffant, enlisant, mais c'est au cours de ces pages gloutonnes, quand j'ai peu à peu senti sa lymphe passer dans mon sang, son emprise se resserrer, mon présent perdre ses attaches, l'amnésie gagner, que lentement s'est développée cette communion passionnée à son égard, qui est en partie, je n'en puis douter, un effet de sa flamboyance, ce feu en quelque sorte envahissant, car si je sais bien que Michel Butor n'est pas seul de son espèce, si je sais bien que l'école dite du nouveau roman possède aussi des écrivains non sans intérêt, ou encore, sans doute, ces écrivains d'autres continents, auraient eu sur moi une influence similaire, il me semble que lui, Butor, pousse à l'extrême certaines particularités de ce genre, qu'il est, de tous, celui dont la sorcellerie est la plus mystèrieuse et la plus puissante.
Cinq étoiles.
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