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EAN : 9788804461104
Arnoldo Mondadori Ed. (30/11/-1)
3.87/5   2865 notes
Résumé :
L'histoire du "K", qui donne son titre au recueil, contient tous les thèmes familiers à Dino Buzzati, l'auteur du "Désert des Tartares", et définit parfaitement un art où le merveilleux et l'humour se mêlent à l'observation lucide avec une maîtrise que confirment les cinquante autres récits suivants. Une sensibilité exacerbée, un sens aigu de la justice, un certain pessimisme aussi donnent une résonnance poignante au "Compte", à la "Petite Circé", à "L'Ascenseur", a... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (157) Voir plus Ajouter une critique
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sur 2865 notes
Ville, solitude, indifférence, violence. Mais petit coin de paradis.
Gloire, pouvoir, orgueil. Mais envie. Mais oubli et indifférence après la mort.
Amour, mais jalousie.
Pureté de l'enfance, espoir de la jeunesse, mais jeunesse qui écrase impitoyablement les vieux.
Amis, le sel de la vie. Amour d'une mère. Mais remords d'avoir été égoïste.
Faute, culpabilité, dette, mais réparation.
Vie et mort.
Enfer.

Il y a des nouvelles qui broient, qui tuent. Mais il y a celles qui enfantent une onde pure.
Il y a des nouvelles qui entrainent dans un gouffre obscur. Mais il y a celles qui chantent parmi les anges.
Incapable de résumer ce recueil de vie, je ne peux que jeter les quelques mots qui sortent de moi après cette lecture.
Dino Buzatti m'a littéralement entrainée dans une spirale de réflexion, jusqu'aux racines mêmes de la vie. Vie quotidienne, vie universelle, mais vie profondément humaine. Et pour obtenir cela, il a recours au conte fantastique, à la science-fiction, à la fable, à la fantaisie loufoque, ou tout simplement à la réalité telle qu'elle est – et là, il me touche et me fait vibrer encore davantage - .

Une façon d'écrire claire, fulgurante.
Un sens profond de la nature humaine. Je me suis sentie explorée, fouillée.

Ce recueil de 50 nouvelles n'a pas fini de se propager en moi. C'est une sensation bizarre et merveilleuse.
Je me tais, je fais silence. Et j'accueille le Monde.
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J'ai lu ce livre au collège, en tant que lecture imposée, mais je m'en souviens très bien car, bien que moi, j'adorais lire, mes camarades de classe, eux, ne partageaient pas tous la même passion que moi. Et pourtant, ce livre leur a plu, à tel point que ce n'était pas un calvaire pour eux que d'avoir à le lire...bien au contraire.
Je suis d'accord avec la plupart des critiques qui ont déjà été faites sur ce livre, aussi ne vais-je pas répéter une fois encore ce qui a déjà été dit.

A travers des différentes nouvelles, qui ne se ressemblent en rien, il y en a pour tous les goûts, passant du réalisme au fantastique...quoi de mieux pour faire découvrir la lecture aux ados sans pour autant leur infliger un pavé de cinq-cents pages d'un coup ? Ici, ils peuvent voguer selon leur bon loisir, sauter une nouvelle si leur titre ne leur plaît pas et y revenir par la suite, sans pour autant perdre le fil de l'histoire. A découvrir et à faire découvrir !
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Excellent recueil de nouvelles, qui satisfera tous les goûts. Certaines sont orientées fantastique (pacte avec le diable, don d'ubiquité, …), les autres sont plus classiques. Mais toutes marquent par leur symbolique profonde et la force des sentiments qu'elles provoquent. Les murmures de la jalousie, la jeunesse qui s'enfuit alors qu'on pensait la tenir fermement entre les mains, l'amour qui rend esclave, Buzzati parvient à les capturer en un récit de quelques pages.

Il n'y a aucune excuse pour passer à côté de ce recueil ! Les nouvelles peuvent se lire en cinq minutes dans le métro ou dans une salle d'attente. Et qui oserait les préférer à un vieux numéro de Paris-Match ?
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Le K est le premier recueil de nouvelles de Buzzati que j'ai lu après avoir dévoré le désert des Tartares.
On y trouve d'emblée, à travers de nombreuses nouvelles toutes différentes, l'univers de Dino Buzzati.
Cet univers où le réel côtoie de près le rêve et l'irréel est rempli des angoisses qui taraudaient l'auteur. La nouvelle titre illustre ainsi la prise de conscience tardive d'un homme qui finit par se rendre compte qu'il est passé toute sa vie à côté de l'essentiel.
On passe d'une nouvelle à l'autre avec beaucoup de plaisir et le K donne envie de découvrir encore davantage Buzzati.
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Je l'ai commencé, et après deux ou trois nouvelles, parce que ça me semblait fort distrayant autant qu'intéressant, je m'en réservais la suite pour occuper mon prochain trajet pour les fêtes de fin d'année... mais ça a été plus fort que moi, je n'ai pas pu attendre... l'appel du K qui semblait lui aussi m'attirer irrésistiblement ; allez, encore une ! Car même si ces nouvelles ne nous donnent pas toutes un plaisir égal, c'est comme un envoûtement, à peine une terminée, il m'en fallait une autre, addictif ce Buzzati !….Et voilà, FINITO !

En une cinquantaine de récits très courts, dont certains ne font pas plus de 4 à 5 pages, Buzzati nous dépeint la société italienne dans les années 1960 , on y trouve quelques références qui datent un peu, spoutnik, le juke-box... par ex, mais qui sur le fond ne donnent aucune rides à ce recueil.

Empreinte d'absurde, de fantastique, d''humour grinçant, l'atmosphère de ces récits est très sombre, voire déprimante. On a l'impression de lire une série de faits divers (peut-être est-ce dû à la formation journalistique de l'auteur) qui chacun recèle un sens caché et qui nous dévoile tour à tour nos solitudes, nos fantômes, nos vertiges, nos attentes, nos folies, le temps, la vieillesse, la mort et mille autre choses encore selon la perception de chacun.
Par un un savant mélange vraisemblance, invraisemblance, absurdité, rationalité, Buzzati nous pointe la dimension fantastique de la vie, et on sent alors qu'à tout moment dans nos vies, à partir d'un rien même, un élément inquiétant peut surgir soudain, et bousculer voire anéantir nos croyances ou nos certitudes.
Parmi mes préférées : Douce nuit, Week-end, La leçon de 1980, Les deux chauffeurs, La tour Eiffel.
Le K, premier récit qui donne son nom au livre, m'a beaucoup plus, mais n'a cependant pas eu ma préférence, sans doute du fait que le sens qu'il recèle, à savoir celui de l'homme à la poursuite de chimères sa vie durant, pour ouvrir les yeux alors qu'il est trop tard pour vivre, m'est apparu un peu banal. Mais il est particulièrement important aussi, en cela qu'il donne d'emblée le ton, qu'il dicte même la manière dont il conviendra de lire les récits suivants.
Je crois que le récit qui a eu ma préférence est celui des Deux chauffeurs, c'est la dernière nouvelle du recueil, avant « Voyage aux enfers » qui semble se situer un peu à part, comme « en supplément ». Ce récit se distingue des autres par le fait qu'il abandonne l'aspect fantastique, l'auteur y parle à la première personne pour s'interroger sur les futilités que peuvent bien se raconter les deux chauffeurs (habitués à banaliser la mort) du corbillard qui conduit sa mère à sa dernière demeure.
En même temps, il semble faire pendant et boucle avec le premier récit, le K,, en même temps qu'il englobe l'orientation de l'ensemble des récits, à savoir un regard sur nos illusions et la nécessité d'un regard au-delà (sur l'au-delà).

Un livre à lire absolument, mais sans précipitation surtout pour une belle moisson de messages
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Citations et extraits (107) Voir plus Ajouter une citation
PAUVRE PETIT GARÇON !


Comme d'habitude, Mme Klara emmena son petit garçon, cinq ans, au jardin public, au bord du fleuve. Il était environ trois heures. La saison n'était ni belle ni mauvaise, le soleil jouait à cache-cache et le vent soufflait de temps à autre, porté par le fleuve.
On ne pouvait pas dire non plus de cet entant qu'il était beau, au contraire, il était plutôt pitoyable même, maigrichon, souffreteux, blafard, presque vert, au point que ses camarades de jeu, pour se moquer de lui, l'appelaient Laitue. Mais d'habitude les enfants au teint pâle ont en compensation d'immenses yeux noirs qui illuminent leur visage exsangue et lui donnent une expression pathétique. Ce n'était pas le cas de Dolfi ; il avait de petits yeux insignifiants qui vous regardaient sans aucune personnalité.
Ce jour-là, le bambin surnommé Laitue avait un fusil tout neuf qui tirait même de petites cartouches, inoffensives bien sûr, mais c'était quand même un fusil ! Il ne se mit pas à jouer avec les autres enfants car d'ordinaire ils le tracassaient, alors il préférait rester tout seul dans son coin, même sans jouer. Parce que les animaux qui ignorent la souffrance de la solitude sont capables de s'amuser tout seuls, mais l'homme au contraire n'y arrive pas et s'il tente de le faire, bien vite une angoisse encore plus forte s'empare de lui.
Pourtant quand les autres gamins passaient devant lui, Dolfi épaulait son fusil et faisait semblant de tirer, mais sans animosité, c'était plutôt une invitation, comme s'il avait voulu leur dire : « Tiens, tu vois, moi aussi aujourd'hui j'ai un fusil. Pourquoi est-ce que vous ne me demandez pas de jouer avec vous ? » Les autres enfants éparpillés dans l'allée remarquèrent bien le nouveau fusil de Dolfi. C'était un jouet de quatre sous mais il était flambant neuf et puis il était différent des leurs et cela suffisait pour susciter leur curiosité et leur envie. L'un d'eux dit :
« Hé ! vous autres ! vous avez vu la Laitue, le fusil qu'il a aujourd'hui ? »
Un autre dit :
« La Laitue a apporté son fusil seulement pour nous le faire voir et nous faire bisquer mais il ne jouera pas avec nous. D'ailleurs il ne sait même pas jouer tout seul. La Laitue est un cochon. Et puis son fusil, c'est de la camelote !
« Il ne joue pas parce qu'il a peur de nous », dit un troisième.
Et celui qui avait parlé avant :
« Peut-être, mais n'empêche que c'est un dégoûtant ! »
Mme Klara était assise sur un banc, occupée à tricoter, et le soleil la nimbait d'un halo. Son petit garçon était assis, bêtement désœuvré, à côté d’elle, il n'osait pas se risquer dans l'allée avec son fusil et il le manipulait avec maladresse.
Il était environ trois heures et dans les arbres de nombreux oiseaux inconnus faisaient un tapage invraisemblable, signe peut-être que le crépuscule approchait. •
« Allons, Dolfi, va jouer, l'encourageait Mme Klara, sans lever les yeux de son travail.
- Jouer avec qui ?
- Mais avec les autres petits garçons, voyons ! vous êtes tous amis, non ?
- Non, on n'est pas amis, disait Dolfi. Quand je vais jouer ils se moquent de moi.
- Tu dis cela parce qu'ils t'appellent Laitue ?
- Je veux pas qu'ils m'appellent Laitue !
- Pourtant moi je trouve que c'est un joli nom. A ta place, je ne me fâcherais pas pour si peu. » Mais lui, obstiné :
« Je veux pas qu'on m'appelle Laitue ! »
Les autres enfants jouaient habituellement à la guerre et ce jour-là aussi. Dolfi avait tenté une fois de se joindre à eux, mais aussitôt ils l'avaient appelé Laitue et s'étaient mis à rire. Ils étaient presque tous blonds, lui au contraire était brun, avec une petite mèche qui lui retombait sur le front en virgule. Les autres avaient de bonnes grosses jambes, lui au contraire avait de vraies flûtes maigres et grêles. Les autres couraient et sautaient comme des lapins, lui, avec sa meilleure volonté, ne réussissait pas à les suivre. Ils avaient des fusils, des sabres, des frondes, des arcs, des sarbacanes, des casques. Le fils de l'ingénieur Weiss avait même une cuirasse brillante comme celle des hussards. Les autres, qui avaient pourtant le même âge que lui, connaissaient une quantité de gros mots très énergiques et il n'osait pas les répéter. Ils étaient forts et lui si faible.
Mais cette fois lui aussi était venu avec un fusil.
C'est alors qu'après avoir tenu conciliabule les autres garçons s'approchèrent :
« Tu as un beau fusil, dit Max, le fils de l'ingénieur Weiss. Fais voir. »
Dolfi sans le lâcher laissa l'autre l'examiner.
« Pas mal », reconnut Max avec l'autorité d'un expert.
Il portait en bandoulière une carabine à air comprimé qui coûtait au moins vingt fois plus que le fusil. Dolfi en fut très flatté.
« Avec ce fusil, toi aussi tu peux faire la guerre, dit Walter en baissant les paupières avec condescendance.
- Mais oui, avec ce fusil, tu peux être capitaine », dit un troisième.
Et Dolfi les regardait émerveillé. Ils ne l'avaient pas encore appelé Laitue. Il commença à s'enhardir.
Alors ils lui expliquèrent comment ils allaient faire la guerre ce jour-là. Il y avait l'armée du général Max qui occupait la montagne et il y avait l'armée du général Walter qui tenterait de forcer le passage. Les montagnes étaient en réalité deux talus herbeux recouverts de buissons ; et le passage était constitué par une petite allée en pente.
Dolfi fut affecté à l'armée de Walter avec le grade de capitaine. Et puis les deux formations se séparèrent, chacune allant préparer en secret ses propres plans de bataille.
Pour la première fois, Dolfi se vit prendre au sérieux par les autres garçons. Walter lui confia une mission de grande responsabilité : il commanderait l'avant-garde. Ils lui donnèrent comme escorte deux bambins à l'air sournois armés de fronde et ils l'expédièrent en tête de l'armée, avec l'ordre de sonder le passage. Walter et les autres lui souriaient avec gentillesse. D'une façon presque excessive,
Alors Dolfi se dirigea vers la petite allée qui descendait en pente rapide. Des deux côtés, les rives herbeuses avec leurs buissons. Il était clair que les ennemis, commandés par Max, avaient dû tendre une embuscade en se cachant derrière les arbres. Mais on n'apercevait rien de suspect.
« Hé ! capitaine Dolfi, pars immédiatement à l'attaque, les autres n'ont sûrement pas encore eu le temps d'arriver, ordonna Walter sur un ton confidentiel. Aussitôt que tu es 'arrivé en bas, nous accourons et nous y soutenons leur assaut.
Mais toi, cours, cours le plus vite que tu peux, on ne sait jamais... »
Dolfi se retourna pour le regarder. Il remarqua que tant Walter que ses autres compagnons d'armes avaient un étrange sourire. Il eut un instant d'hésitation.
« Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il.
- Allons, capitaine, à l'attaque!» intima le général.
Au même moment, de l'autre côté du fleuve invisible, passa une fanfare militaire. Les palpitations émouvantes de la trompette pénétrèrent comme un flot de vie 'dans le cœur de Dolfi qui serra fièrement son ridicule petit fusil et se sentit appelé par la gloire.
« A l'attaque, les enfants ! » cria-t-il, comme il n'aurait jamais eu le courage de le faire dans des conditions normales.
Et il se jeta en courant dans la petite allée en pente.
Au même moment un éclat de rire sauvage éclata derrière lui. Mais il n'eut pas le temps de se retourner. Il était déjà lancé et d'un seul coup il sentit son pied retenu. A dix centimètres du sol, ils avaient tendu une ficelle.
Il s'étala de tout son long par terre, se cognant douloureusement le nez. Le fusil lui échappa des mains. Un tumulte de cris et de coups se mêla aux échos ardents de la fanfare. Il essaya de se relever mais les ennemis débouchèrent des buissons et le bombardèrent de terrifiantes balles d'argile pétrie avec de l'eau. Un de ces projectiles le frappa en plein sur l'oreille le faisant trébucher de nouveau. Alors ils sautèrent tous sur lui et le piétinèrent. Même Walter, son général, même ses compagnons d'armes !
« Tiens ! attrape, capitaine Laitue. »
Enfin il sentit que les autres s'enfuyaient, le son héroïque de la fanfare s'estompait au-delà du fleuve. Secoué par des sanglots désespérés il chercha tout autour de lui son fusil. Il le ramassa. C n'était plus qu'un tronçon de métal tordu. Quelqu'un avait fait sauter le canon, il ne pouvait plu servir à rien.
Avec cette douloureuse relique à la main, saignant du nez, les genoux couronnés, couvert de terre de la tête aux pieds, il alla retrouver sa maman dans l'allée.
«Mon Dieu ! Dolfi, qu'est-ce que tu as fait ? » Elle ne lui demandait pas ce que les autres lu avaient fait mais ce qu'il avait fait, lui. Instinctif dépit de la brave ménagère qui voit un vêtement complètement perdu. Mais il y avait aussi l'humiliation de la mère : quel pauvre homme deviendrait ce malheureux bambin ? Quelle misérable destinée l'attendait ? Pourquoi n'avait-elle pas mis au monde, elle aussi, un de ces garçons blonds et robustes qui couraient dans le jardin ? Pourquoi Dolfi restait-il si rachitique ? Pourquoi était-il toujours si pâle ? Pourquoi était-il si peu sympathique aux autres ? Pourquoi n'avait-il pas de sang dans les veines et se laissait-il toujours mener par les autres et conduire par le bout du nez ? Elle essaya d'imaginer son fils dans quinze vingt ans. Elle aurait aimé se le représenter en uniforme, à la tête d'un escadron de cavalerie, ou donnant le bras à une superbe jeune fille, ou patron d'une belle boutique, ou officier de marine. Mais elle n'y arrivait pas. Elle le voyait toujours assis un porte-plume à la main, avec de grandes feuilles de papier devant lui, penché su le banc de l'école, penché sur la table de la maison, penché sur le bureau d'une étude poussiéreuse. Un bureaucrate, un petit homme terne. Il serait toujours un pauvre diable, vaincu par 1a vie.
« Oh ! le pauvre petit ! » s'apitoya une jeune femme élégante qui parlait avec Mme Klara.
Et secouant la tête, elle caressa le visage défait de Dolfi.
Le garçon leva les yeux, reconnaissant, il essaya
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LA CRÉATION

Le Tout-Puissant avait déjà construit l'univers, disposant avec une irrégularité fantaisiste les étoiles, les nébuleuses, les planètes, les comètes, et il était en train de contempler ce spectacle avec une certaine complaisance, quand un des innombrables ingénieurs-projeteurs à qui il avait confié la réalisation de son grand projet, s'approcha d'un air très affairé.
C'était l'esprit Odnom, un des plus intelligents et des plus dynamiques de la nouvelle vague des anges (n'allez surtout pas penser qu'il avait des ailes et une tunique blanche, les ailes et la tunique sont une invention des peintres de l'ancien temps qui trouvaient que c'était pratique sur le plan décoratif).
« Tu désires quelque chose ? » lui demanda le Créateur avec bienveillance.
— Oui, Seigneur, répondit l'esprit-architecte. Avant que tu n'apposes le mot « fin » à ton oeuvre merveilleuse et que tu ne lui donnes ta bénédiction, je voudrais te faire voir un petit projet auquel nous avons pensé, avec quelques jeunes collègue. Oh ! quelque chose de très secondaire, une vétille, comparée à tout le reste, un détail, mais qui nous a quand même semblé intéressant. »
Et d'un porte-documents qu'il portait à la main, il tira une feuille où était dessinée une espèce de sphère.
« Fais voir », dit le Tout-Puissant, qui naturellement connaissait déjà tout du projet mais faisait semblant de l'ignorer et simulait la curiosité afin que ses meilleurs architectes en ressentissent un plus grand plaisir.
Le plan était très précis et portait toutes les cotes souhaitables.
« Voyons, qu'est-ce que cela peut bien être ? » dit le Créateur, poursuivant sa feinte diplomatique. On dirait une planète, mais nous en avons déjà construit des milliards et des milliards. Faut-il vraiment en faire encore une, et de dimensions aussi restreintes, de surcroît ? »
— Il s'agit en effet d'une petite planète, confirma l'ange architecte, mais, contrairement aux autres milliards de planètes, celle-ci présente des caractéristiques particulières. »
Et il expliqua comment ils avaient pensé à la faire tourner autour d'une étoile à une distance telle qu'elle en recevrait de la chaleur mais pas trop, il énuméra les éléments du devis, avec leurs quantités respectives et leur prix de revient. Dans quel but tout cela ? Eh bien, toutes ces conditions préalables étant réalisées, il se produirait sur ce globe minuscule un phénomène très curieux et amusant : la vie.

[Dino BUZZATI, "LA CREAZIONE" / "LA CRÉATION" in "Il colombre" / "Le K", Arnoldo Mondadori Edotoro (Milano), 1966 — traduit de l'italien par Jacqueline Remillet pour les éditions Robert Laffont (Paris), 1967 — rééd. en coll. "Pocket"/"Les grands textes du XXème siècle", Robert Laffont, 1992, pages 15 et 16]
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Au volant de la "Bull 370", je suis plus jeune et plus fort, je suis devenu aussi plus beau, moi qui ai toujours tellement souffert de mon physique. Je me suis composé une expression désinvolte, hardie et plutôt moderne, les femmes devraient me regarder avec plaisir et me désirer. Si je ralentis et que je m'arrête, les belles filles vont se jeter à l'abordage, quelle fatigue d'avoir à se défendre de leurs pluies de baisers.
[...]
Ce qui est merveilleux surtout, c'est mon assurance quand je roule dans ma "Bull". Jusqu'à hier je n'avais pas la moindre importance, maintenant je suis devenu très important, je pense même que je suis l'homme le plus important, à vrai dire l'unique de la capitale toute entière, il n'y a pas de superlatifs assez forts.

La confiance en moi, le bien-être physique, une charge d'énergie sauvage, la superbe athlétique – j'ai des pectoraux comme la porte du Dôme, j'ai envie de faire sentir qui je suis j'ai envie de chercher querelle, pensez donc ! moi qui à la seule idée d'une discussion en public me sentais défaillir.
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C'est là que dorment coude à coude, pourrait-on dire, les grands du Milan industriel, les puissants, les redoutables, les légendaires, les infatigables qui tous les matins de l'année sans exception à sept heures précises donnaient l'exemple, et maintenant dorment..... En ce très bel après-midi qui vous appelle à la mer, à la forêt, dans les prés, vous autres les magnats du fer, de l'acier, du textile, du papier, des appareils électroménagers, que faites-vous enfermés là-dedans ? Que faites-vous tout seuls, sans secrétaire, sans conseil d'administration, sans personnel permanent ou auxiliaire, sans femme enfants ou parents ? Peut-on vous demander, messieurs, si le poids de tant de marbre vous est léger ?
(Week-end)
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Littérature, art ?... tout ça c'est des grands mots..,, Mais l'art au jour d'aujourd'hui ne peut être qu'une denrée, comme un bifteck, un parfum, un litre de vin. De quel art s'occupent les gens ? Regarde la marée montante qui est en train de tout submerger. De quoi est-elle faite ? De chansons, de chansonnettes, de paroliers, de musiquette... bref d'une marchandise d'usage courant. Voilà la gloire. Tu as beau écrire, toi, des romans très intelligents et même géniaux, le dernier des yéyés t'écrasera sous le poids de ses triomphes. Le public va droit au solide, à ce qui lui donne un plaisir matériel, palpable, immédiat. Et qui ne lui coûte pas de fatigue. Et qui ne fasse pas travailler le cerveau...
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Avez-vous déjà eu l'impression que votre vie se passait à attendre ? Attendre l'amour fou, attendre le poste de vos rêves, attendre le prochain voyage, attendre, au fond, que la vraie vie commence enfin ?
« le désert des Tartares » de Dino Buzzati est publié en poche chez Pavillons Robert Laffont.
>Littérature (Belles-lettres)>Littérature italienne, roumaine et rhéto-romane>Romans, contes, nouvelles (653)
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