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Critique de Henri-l-oiseleur


Avec cet extraordinaire essai, Anthony Kaldellis poursuit son oeuvre salutaire de relecture et de réhabilitation de la culture et de la littérature byzantines. Les meilleurs byzantinistes n'ont jamais eu que du mépris pour les auteurs qu'ils étudiaient, à cause de deux préjugés tenaces : le premier, ancien et enraciné, consiste à voir en Byzance un monde figé dans un christianisme fixiste et une culture réduite à la répétition stérile des grands modèles antiques ; le second préjugé est plus moderne, et découle de l'ignorance des savants d'aujourd'hui, chacun enfermé dans son étroit domaine de compétences et incapable de mesurer la culture générale des auteurs anciens qu'on cherche à exploiter dans la seule perspective d'un domaine particulier. On ne lit pas, au mieux, ou au pire, on lit mal Procope de Césarée, historien majeur du VI°s.


Anthony Kaldellis restitue la figure d'un grand écrivain de l'antiquité tardive, disciple de Thucydide et de Platon, qui, comme tous les auteurs antiques, ne conçoit pas la création littéraire autrement que comme la réécriture des grands modèles anciens. Cette réécriture n'est ni un plagiat, ni une répétition mécanique et creuse : elle consiste à adapter (en ce qui concerne Thucydide) les modes du récit historique de la Guerre du Péloponnèse au temps de Justinien (ce qui choque nos esprits modernes marqués par l'historicisme littéraire d'Erich Auerbach) ; et Platon fournit à l'historien le cadre théorique et conceptuel qui l'aide à structurer son histoire. La réécriture va très loin, jusque dans le choix des mots et les déformations discrètes des citations, et j'en ai copié et traduit plusieurs exemples pour le lecteur intéressé.


Il ressort de ce très bel essai une figure intellectuelle d'opposant à la tyrannie bigote de Justinien et de Théodora, contestant les débordements persécuteurs de la religion d'état, en somme un frère de ces auteurs latins de la fin du IV°s vaincus par Théodose, et si bien évoqués par Stéphane Ratti. Les récits magistraux des trois guerres de Justinien (ou plutôt de son général Bélisaire, car l'empereur ne sortait pas du palais) mettent en évidence (outre leur intérêt évident en matière d'histoire militaire) le règne incontestable de la Tykhè, ce hasard aveugle que Procope nomme ainsi, et parfois aussi, ironiquement, Dieu ou Providence. Avec ce livre, on apprend à lire les grands historiens antiques : l'hommage liminaire à Catherine de Romilly, consacrant sa vie à Thucydide, rappelle que ces auteurs anciens dépassent largement le cadre de la discipline historique, sont des philosophes ou des sages à part entière. Anthony Kaldellis nous suggère de faire avec Procope comme Catherine de Romilly, qui lisait Thucydide pour sa pensée et sa langue, non plus pour son Histoire.


L'auteur est grec, enseigne aux USA et écrit en anglais. Bien sûr, ce livre-ci n'est pas traduit dans notre langue : en France, on se dispute sur "Aristote au Mont Saint-Michel" de Sylvain Gouguenheim et l'on continue d'oublier Byzance. S'y intéresser menacerait le mythe de la transmission islamique de la culture grecque, et la nouvelle bigoterie.
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