"Aujourd'hui, j'ai réalisé les meilleurs portraits depuis que je suis arrivé au Mexique: le visage de
Nahui Olin" écrivit
Edward Weston. Celle que l'on surnommait "la plus belle femme de Mexico" dans une ville qui comptait en ses murs des femmes remarquables, fut immortalisée par
Diego Rivera dans sa fresque La création, et devint rapidement la muse des intellectuels et des artistes de l'époque. Elle possédait un corps splendide et un regard si intense qu'il hypnotisait ceux qui le croisaient. “De que
Nahui Olin tenía el mar en los ojos no cabe la menor duda. El agua salada se movía dentro de las dos cuencas, y adquiría la placidez del lago o se encrespaba furiosa tormenta verde, ola inmensa, amenazante. Vivir con dos olas del mar dentro de la cabeza no ha de ser fácil”., dira de ce regard
Elena Poniatowska.
Trop belle, trop libre, née trop tôt,
Nahui Olin -qui signifie renouvellement des cycles dans le calendrier aztèque- fut une comète, une personnalité singulière dont l'audace causa la perte. Muse elle le fut, femme libre, elle le devint. En rompant avec son milieu -son père était un général proche de Porfirio Diaz- elle s'affranchit de son éducation bourgeoise, peignit, écrivit, voyagea, aima et s'étourdit. Devenue folle de chagrin après la mort de son grand amour, le capitaine Eugenio Agacino un triste jour de 1934,
Nahui sombra dans la folie et dans l'oubli. Elle termina sa vie seule dans la maison familiale délabrée au milieu de ses chats, le corps enveloppé dans un drap sur lequel elle avait peint le portrait de son grand amour.
Qui aurait pu reconnaître dans cette vieille étrangement attifée qui vendait des photos devant le Palais des
Beaux Arts, la femme splendide qui déclarait autrefois "J'ai un corps si beau que je ne pourrais jamais priver l'humanité du droit d'admirer cette oeuvre"? Pas même le poète Homero Aridjis Fuentes, que met en scène
Pino Cacucci dans cette biographie romancée, en cette journée de 1961. C'est ainsi que commence le récit d'une existence hors du commun, qui débuta dans l'opulence d'une famille de la bourgeoisie, illumina l'intelligentsia mexicaine, se consuma par amour et se termina dans la folie. Heureusement pour nous, Cacucci évite les écueils que l'on retrouve dans ce genre d'ouvrage, quand l'auteur, fasciné par l'objet de son affection, n'ose pas toucher au mythe ou bien part dans des digressions à n'en plus finir, de peur de taire une anecdote ou une rencontre.
Nahui Olin est une icône dont on exhume depuis quelques années les tableaux, les poèmes, les photographies. Cacucci n'est pas tombé pas dans le piège de l'adoration, et lorsqu'il évoque des périodes particulièrement denses (La révolution mexicaine, La décade tragique...), les digressions sont les bienvenues. Quant à la "légende
Nahui", il parvient à en retranscrire les grandes étapes et dit ses multiples facettes sans en favoriser aucune. Elles sont toutes présentes, la muse, la peintre, la poétesse, la féministe, l'amoureuse, la femme brisée sombrant dans la folie... Au fil des pages se dessine le portrait poignant d'une femme tourmentée qui apparaît, au coeur même de la révolution culturelle mexicaine marquée par les combats et la personnalité de femmes exceptionnelles (Modotti, Guadalupe Marin, Dolores del Rio...) comme trop libre. Kahlo n'écrivit-elle pas à Alejandro Gomez en 1925: "Je n'oublierai jamais que toi, que j'ai aimé comme moi-même et peut-être davantage, tu m'as considérée comme une
Nahui Olin ou pire."
Nahui est un fort beau roman qui sort Carmen Mondragon de l'oubli dans lequel elle était injustement tombé. Ceux qui ne la connaissent pas découvriront une femme singulière, ceux qui l'aiment déjà seront touchés par de très belles pages (les retrouvailles fortuites entre Olin et Modotti au début de la guerre). Les curieux pourront jeter un oeil à www. feltrinelli.it (photos et archives).