Les objets flottants

C'est un livre pratique qui m'a occupé ces derniers temps, une proposition d'outils successifs appelés « objets flottants » à utiliser dans le cadre d'entretiens systémiques. Sans doute qu'ainsi je prends les choses à l'envers puisque je découvre en filigrane quelques principes de systémie en même temps que je retrouve quelques-uns des supports que j'ai pu utiliser professionnellement dans un tout autre cadre. C'est d'ailleurs amusant de voir comment, selon l'angle depuis lequel on les envisage et selon le discours qui accompagnera leur introduction, les mêmes dispositifs peuvent être utilisées à des niveaux radicalement différentes.
Sur la systémie, il s'agissait pour moi, sans me perdre dans une bibliographie infinie, d'aller musarder du côté de thérapies autres qu'individuelles. J'avais à coeur d'explorer la manière dont certains professionnels accompagnent des familles, des couples, et leur proposent un échange qui ne se focalise pas sur l'élaboration individuelle mais mette davantage en lumière les interactions entre les différents membres du groupe. Plutôt habituée à travailler les résonnances intérieures et la relation duelle, je trouve en effet très stimulant de penser qu'un mieux peut jaillir d'interactions collectives et pas seulement d'une maturation singulière. Penser aussi que le groupe, à partir du moment où il est suffisamment demandeur, possède en lui les capacités à évoluer et à se réinventer. Une manière de ne pas jeter le bébé, toute sa fratrie, ses ascendants et les canards de bain, au moment où on constate qu'il faut décidemment en changer l'eau.
Les « objets flottants », ces propositions ludiques, poétiques, décalées, doivent aider à cette maturation. Au moyen de blasons qui restituent devise, passé, vision de l'avenir de la famille, de masques ou d'un jeu de l'oie revu et corrigé, ils ouvrent un possible. Là où tout semblait figé, là où les mots n'amenaient que discorde et malentendus, passer par le mime, la figuration plastique ou de conte offre un autre espace, permet que se jouent des variations invitant à l'amplitude d'un mouvement.
La construction du livre répond à des objectifs pratiques et s'articule autour de parties bien distinctes. On retrouve ainsi quelques réflexions posant le cadre puis chacun des sept objets flottants est présenté dans un chapitre distinct. le livre se termine sur quelques réflexions autour des enjeux, des limites et des implications des techniques évoquées. Si la partie théorique préliminaire m'a moins convaincue, je n'ai pas trouvé à l'ancrer dans un champ théorique clairement appréhendé mais c'est sans doute dû à mon manque de connaissances sur ce sujet, j'ai trouvé le reste du livre tout à fait convaincant.
Heureusement, ces « méthodes d'entretiens systémiques » ne posent jamais la technique proposée comme figée et parfaitement efficace. On est loin de ces manuels de développement personnel qui imposent les étapes obligatoires d'une démarche univoque. Les objets flottants sont des propositions que chaque thérapeute pourra réinterpréter, dans le cadre déontologique que suppose sa pratique, évidemment. Ce sont aussi des tentatives pour entrer en communication avec un groupe donné, lui apporter les outils qui lui permettent de s'aider lui-même et repartir ensuite sans dommage.
Alors même si je ne pense pas creuser plus avant et que je n'ai aucune utilité pratique de telles méthodes, j'ai beaucoup aimé réfléchir à ce qu'elles impliquaient et j'espère que la trace de ces réflexions continuera de nourrir ma vision des familles et de tous les groupes suffisamment constitué pour qu'ils acquièrent une identité commune.

Franchir la porte d'un Psy n'a rien d'anodin. Celui qui le fait doit vaincre ses peurs d'entrer dans le monde de l'étrange, de l'inconnu et, trop souvent, de l'incompris et du réprouvé par les autres. Les peurs qui habitent le patient sont si nombreuses : peur de devoir parler de ce qui fait souffrir, peur de raviver un passé douloureux qu'on voudrait oublier, peur de révélations aux vérités inaudibles et insupportables, peur d'être jugé.
Toutes ces résistances doivent être respectées plutôt que combattues car elles représentent toutes les défenses de survie du patient, aujourd'hui chancelant, mais encore debout et désireux d'être aidé.
Il s'agit de développer une « culture de sécurité », une zone de confiance où le patient se sentira suffisamment solide et volontaire pour être accompagné dans de nouveaux chemins qu'il co-construira avec son thérapeute. Car revenir sur un parcours douloureux constitue l'un des dilemmes de la thérapie qui doit pouvoir mettre en place un média utile qui se substitue à une approche frontale contre-indiquée
La parole, le jeu, le geste artistique, deviennent ces « objets flottants » par lesquels se traversent et se revisitent des histoires de vie douloureuses. L'évènement traumatique est mis en récit qui offre un regard distancié et parfois même ludique qui donne la possibilité d'être revécu et réapproprié par d'autres voies dans et par lesquelles le « narrateur-victime » se métamorphose en « acteur-thérapeute » de son propre trauma. L'exercice devient alors dynamique et ce nouvel « espace flottant » peut être utilisé pour intégrer les nouvelles donnes de l'existence. le thérapeute est le garant du cadre de sécurité afin d'éviter le débordement des émotions ou le retour aux habitus de la pensée et des comportements.
La souffrance émotionnelle, qui s'exprime le plus souvent comme une souffrance relationnelle, met en jeu le moi profond de notre identité et une autre partie de Soi qui s'est nourrit de la relation à l'Autre. Si toute relation humaine renferme une vocation à se pérenniser, elle doit également offrir la possibilité d'offrir la réciprocité de ces souhaits et de la valeur qu'elle entretient. En dépassant le sentiment d'appartenance des individus qui la composent, la relation acquiert une singularité du fait même que sa valeur s'accroît dans la poursuite de sa propre existence et du partage qui en est attendu.
Entre le « moi profond » et le « moi relationnel » se développent des interactions tantôt harmonieuses, tantôt conflictuelles, que ce soit en couple, au sein d'une famille, en entreprise ou en société en général.
Comme tout système vivant, le système humain ne peut évoluer qu'à partir de son propre cadre autoréférentiel. le thérapeute intervient dans un «espace intermédiaire » où son rôle est de permettre aux patients d'accéder à un « tiers-relationnel » nourri « d'objets flottants » symboliques et évolutifs à partir desquels pourra s'effectuer le rééquilibrage de la relation et à la découverte de nouvelles possibilités d'action.
À la manière de l'approche atypique et novatrice de l'école de Palo Alto, l'utilisation des « objets flottants » en thérapie contribue à créer de nouveaux espaces et outils de travail participatifs, catalyseurs du pouvoir créatif du patient ayant un rôle actif de thérapeute insoupçonné des solutions qu'une maïeutique « tiers-aidante » permet de faire advenir.