« Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre –
C. Baudelaire », extatique beauté des langueurs lapidaires !
Françis Ponge déplorait le peu d 'épaisseur des choses dans l'esprit des hommes. Oui, les
pierres méritent plus que l'acier de nos outils.
Matériau pour la main, matière pour l'esprit.
Il faudrait songer au
pierres comme on songe à d'autres pays.
N'est il pas plus dense matière pour notre esprit que le monde muet des
pierres, métamorphoses du silence à travers la métaphore du rêve ?
« Appartenir non pas à la terre, mais à la roche, c'est là un grand rêve... » G.
Bachelard (
La terre et les rêveries de la volonté).
L'attachement naturel de l'homme est à la terre, mais se pourrait il que dans le coeur des
pierres se trouvent les sentiers de son âme ?
Espaces infinis, espaces de turbulences poétiques. « la poésie est un trait d'union entre les opposés » écrivait
Bachelard.
« rêver le minéral de façon azuréenne et rêver le bleu du ciel d'un façon minéral. L'unique et l'universel, l'instantané et le permanent,l'abstrait et le concret,la rêverie et la nature,le repos et le mouvement,la hauteur et la profondeur, la profondeur et la surfaces s'y allient dans un accord au sommet des valeurs. » en déduit
Edmundo Morim de Carvalho.
Il y a ciel, ombre, sève, spectre, souffle, volute, drapé, lumière, obscurité, fulgurance, sommeil, rythme, transparence, mouvement, abîme dans le paysage infini des roches .
Dans son espace la pierre n'est pas froide, ni dure, ni tranchante. Dans l'étroitesse de notre réalité elle le devient.
Il faut entrer dans la permanence, dans la pleine réalité de la pierre. Un incertain regard permet d'y entrer. Encore faut il y songer...
Roger Caillois, l'enfant qui marchait dans les ruines de Reims, est un fabuleux randonneur.
Il faut le suivre de béryl blanc, en dentrite, de quartz en hématite, de pyrite en silice, de sables en ammonite, de Septaria en Jaspe.
Il observe l' « écriture des
pierres » pour nous convier à la lecture des « structures du monde ».
Géométriquement inopposables elles révèlent un ordre qui nous laisse entrevoir « des formes concevables de la perfection », la loi d'équilibre.
Le chaos luminescent qui les a engendrées nous est inconnu, il nous est inconcevable.
Elles sont d'un temps qui ne peut exister pour nous. Pression, fusion, déflagration,...Quels mots suffiraient pour rejoindre ce qui nous dépasse ?
Ces « énergies plus rudes sans instinct ni sagesse, qui sont au-delà de la vie », ces « pyrotechnies immobiles dans une nuit pétrifiées »
« Les
pierres n'attestent qu'elles. ». Elles ont leur propre mémoire elles sont plus âgées que la vie.
Que cette vie que nous nommons si promptement et qui est notre unique essence.
Elles sont d'avant ce que nous sommes mais elles sont aussi la totalité de de ce que nous n'avons jamais cessé et ne cesserons jamais d'être : des poussières d'étoiles.
« C'était une particule de poussière où se trouvait offert un monde » (Encrier-Montagne de
Mi Fou).
« Je parle des
pierres nues, fascination et gloire, où se dissimule et en même temps se livre un mystère plus lent, plus vaste et plus grave que le destin d'une espèce passagère ».
Naturellement remarquables, extraordinaires, merveilleuses, grandes, rares, uniques dans leur étrangeté, multiples dans leur singularité. Nous n'avons aucune réponse à donner aux
pierres. Unique signe possible à notre impossible parenté.
A travers les mots de
Roger Caillois, devant leur déploiement, leur hauteur, on en vient à se reprocher de ne pouvoir donner à la vie qu'une si petite échelle humaine.
Les
pierres ont leur règne, elle ont leur vie.
Vie minérale. Mais acte de vie.
Elles engendrent, elles se meuvent, elles engloutissent, elles aimantent, elles repoussent, s'effritent, s'évanouissent, perdurent, se refroidissent, se fondent, s'échauffent, résonnent, explosent, se chevauchent, s'explorent, se frôlent, se perforent, se touchent, ondulent, s'imbriquent, filent, défilent, se précipitent, se renversent, se déversent, et il suffit parfois d'un simple son pour les fendre.
« à leur manière elles avertissent l'esprit qu'il est de plus vastes lois qui gouvernent en même temps l'inerte et l'organique. ».
Là « où s'inscrit et se résume le destin entier de la tentative artistique ».
Voilà le recueil des
pierres : « le répertoire entier, le vacarme et l'opulence des formes libres ». Et il suffit d'« une aire presque incolore pour rendre sensible le miracle ».
Les
pierres dans les mots de Pierre Caillois respirent.
Un nodule d'agate peut contenir l'amorce d'une vie. Une eau antérieure, un gaz enfermé là depuis la création du monde. Et par modification de la température il est possible de voir ce coeur d'agate battre sous l'effet de sa dilatation. Phénomène inorganique pour notre réalité, et pourtant le coeur de la
pierre se met à battre... « le flux et le jusant inexplicables d'une mer immense et seule, sans lune ni rivages ». le mouvement est symbole de vie.
« rien de pareil ne saurait arriver dans la réalité ».... Et pourtant la perméabilité constante des volumes et des vides étoilés nous laisse imaginer que tout sait, depuis toujours, être là.
Et c'est naturellement que les
pierres inventent l'homme au voyage.
« Les Immortels savent créer des sites, y pénétrer, s'y évanouir. Il leur suffit de dessiner de peindre : une montagne surgit. »
« Laisser passer en soi la nature, ce n'est pas pour l'homme tenter ou feindre de retourner au nerf ou à l'inerte, ni essayer de se démettre des pouvoirs qui lui sont échus. C'est au contraire, les approfondir, les exalter et les contraindre à de nouveaux devoirs ».
Qui ne comprend pas les
pierres se vantera toujours de les posséder. Aucune ne lui appartiendra jamais.
Les
pierres sont d'un autre règne, celui de la totalité.
Même brisée une pierre reste toujours ce qu'elle est.
Astrid Shriqui Garain