Citations sur L'apparence de la chair (30)
C’est un reportage démago, comme la télé sait parfaitement le faire. Les flics et leur implication dans la socialisation. Et puis quoi encore ? Toujours aux mêmes de faire tout le boulot : comprendre ces pauvres chéris, courber l’échine sous les coups – surtout ne pas répondre car bavure potentielle à la clé – et puis les remettre dans le droit chemin avec des discours à deux balles qui feraient marrer des gamins de 5 ans. Gangrène de merde ! Tout part en vrille. La France n’est plus le pays que j’aimais. Ce pays qui défendait des valeurs simples. Elles ont disparu petit à petit, insidieusement. La surenchère médiatique combinée au manque d’action des politiques ont fait d’elle ce qu’elle est aujourd’hui. La France a perdu sa majuscule, laissant la loi du plus fort remplacer le respect d’autrui.
Je suis rentrée, épuisée par ma journée. Des émotions comme s'il en pleuvait, mais aussi un tas de désillusions. Dès la porte refermée, l'intérieur me renvoie à mon mal-être. Un appartement froid et lugubre. Sans vie. Même pas la place pour un chat ou un quelconque animal de compagnie. Je suis seule. Désespérément seule.
Il m'en veut terriblement et a décidé de me le faire savoir. C'est bien une réaction d'homme. Une petite contrariété au plumard et c'est la fin du monde.
Mon imagination a pris le pas sur ma mémoire.
Mon cauchemar se poursuit mais ne reflète plus du tout la réalité. Alors que, dans mes souvenirs, je n’arrivais pas à sortir de la maison et essuyais une pluie de coups, j’ai réussi à nous tirer de ses griffes.
Je ne sais pas comment j’ai fait mon compte mais désormais, nous sommes sur la route, lancées à pleine vitesse malgré les intempéries. Martin nous suit de près, seulement à quelques mètres. Il pleut toujours. La buée et les gouttes qui s’écrasent sur mon pare-brise m’empêchent de discerner correctement la trajectoire.
Les rêves sont bien souvent très différents de la réalité car il s’agit d’un amalgame de souvenirs qui s’imbriquent de façon aléatoire.
terrorisée,elle s'exécute puis détourne la tête attendant la sentence.
respiration lente,ponctuée de grognements.
le sifflement de la pointe d'acier lancée à pleine vitesse.
la douleur vive.
puis le néant.
Elle m’interrompt d’un geste de la main amical puis place sa paume au-dessus de la carte la plus à droite.
L’est, le passé.
Comme pour transmettre un fluide ou une énergie invisible, elle réalise plusieurs mouvements circulaires avant de s’en saisir. C’est encore une figure. Un homme pendu par le pied gauche. Elle en fait l’interprétation immédiate :
– Le pendu. Debout. La carte du sacrifice. Du don de soi. Une cause. Une cause que vous jugiez élevée. Votre travail, sans doute. D’après ce que je vois, vous avez mis entre parenthèses votre vie familiale au profit de votre carrière.
La nuit est tombée et un froid glacial s’est abattu sur la ville. La séance de psychanalyse est terminée et mes espoirs se sont évanouis avec elle.
Je marche dans la rue, hagarde, encore sonnée par mes visions.
À chaque fois, cela me fait le même effet. Pourtant, ce n’est pas faute de m’y être préparée. Affronter mes vieux démons, les matérialiser pour mieux les terrasser, cela fait partie de ma thérapie. Mais, visiblement, brasser les souvenirs relève toujours pour moi d’une expérience extrêmement douloureuse.
Ces images, ces images terribles, baignent encore mon inconscient malgré les années. Je suis marquée au fer rouge – le sceau du diable – pour l’éternité.
Je le dévisage, encore perdue dans cette déferlante d’horreur, peinant à retrouver mes repères. Réalisant enfin mon retour dans le monde réel, je détaille la pièce rapidement. Elle m’est familière. L’homme aussi. Quinze ans que nous nous fréquentons.
Lui, c’est le docteur Pérusa, psychiatre de son état.
(...) Exténuée par l’expérience, je hoche la tête puis lui adresse un timide sourire.
– Ça va. Ça va, docteur.
– Que s’est-il passé ? Ça avait l’air plus intense que d’habitude.
– C’était… c’était horrible. J’étais avec lui. Il me menaçait. Je l’ai vu comme je vous vois.
– Tu sais que si tu ne fais pas ce que je te demande, je me vengerai sur quelqu’un de ton entourage.
– Non !
– Ton mari, peut-être ?
– Non ! !
– À moins que ce ne soit ta fille. Tu sais où est ta fille ? Hein… Tu sais où elle est en ce moment ?
La douleur est telle que j’ai l’impression que mon cerveau va exploser…
(– Je vais compter jusqu’à 3…)
– Ta fille.
(– 1…)
– Ta putain de fille… Tu imagines ce que je vais lui faire quand tu ne seras plus de ce monde ? (– 2…)
– Elle sera mon garage à…
(– 3…)
J’ouvre les yeux, en nage. Tremblante.
Il me surplombe, blanc comme un linge, assurément inquiet.
– Madame Branetti, est-ce que ça va ?