Depuis ton départ, un voile noir a recouvert notre maison. Nous peignons tes silences sur les papiers chagrin des murs.
Je les regarde passer, continuer leur chemin jusque là-haut, derrière l'église. Je n'y entrerai pas. À l'intérieur, je sais ce qui va se passer : un homme va expliquer à une famille dévastée et à un village en larmes qu'il y a un Dieu pas loin d'ici qui va accueillir dans son royaume cet enfant mort. Des conneries. C'est qui ce type ? Comment peut-on profiter comme ça du chagrin des gens en racontant autant de bêtises ?
Seuls les enfants savent aimer.
Seuls les enfants aperçoivent l'amour au loin, qui arrive de toute sa lenteur, de toute sa douceur, pour venir nous consumer.
Seuls les enfants embrassent le désespoir vertigineux de la solitude quand l'amour s'en va.
Seuls les enfants meurent d'amour.
Seuls les enfants jouent leur cœur à chaque instant, à chaque souffle.
À chaque seconde le cœur d'un enfant explose.
Le chagrin n'est pas un papillon prisonnier. Il ne s'envole pas.
C'est donc ça, la vie : des rêves qui se noient petit à petit, un sac où s'entassent pêle-mêle amours et joies, des chagrins qui pèsent et vous emportent vers le fond ? Un sac que l'on porte en vacillant ; alors on chute ; notre vie se blesse à chaque mètre.
Un dernier jour d'école porte en lui toute la vengeance d'une année scolaire.
Ce matin, larmes collectives. Même papa.
On nous a volé Tecky, notre setter irlandais.
Des salopards sont venus de nuit, ont plié le grillage au-dessus de la niche et l'ont emporté. C'était un tendre, il n'a pas protesté.
Hier encore, il léchait mes bottes en plastique jaune et remuait la queue. Il me lapait les joues en me tenant par terre de tout son poids, ses pattes posées sur mes épaules.
Hier encore, j'ouvrais les bras, fermais les yeux et il venait. C'était fantastique. Je le sentais contre moi, comme si les poils d'un pinceau couraient sur mes joues.
Ils ont volé Tecky.
Comment peut-on voler un chien ?
Quand il fait beau, c'est-à-dire presque tout le temps, on prend les vélos, on fonce sur les petites routes autour du village. On coince des bouts de carton pliés sur les pare-boue et ça pétarade comme une moto. Le carton tape sur les rayons et on se retrouve sur un vrai chopper... On joue aussi au foot dans le grand parc qui borde sa maison.
J'aime bien aussi leur chienne Diane, toute petite, toute minuscule. Leur bébé à eux. Tata Marcelle lui met même des pulls quand il fait trop froid. Eh oui, ça existe des pulls pour chiens. La preuve, elle en tricote.
On suit les cours de catéchisme que sa maman propose à tous les enfants du village. Ils sont tous si sérieux, alors que moi, rien à cirer de Dieu, Jésus et compagnie. Ce que je veux, c'est suivre Alec, faire tout comme lui.