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Caroline Bouet (Traducteur)
EAN : 9782264083951
408 pages
10-18 (01/02/2024)
4.1/5   103 notes
Résumé :
Lorsque Tamsin Calidas arrive pour la première fois sur une île isolée des Hébrides écossaises, on a l'impression de rentrer à la maison. Désenchantés par Londres, elle et son mari ont quitté la ville et les carrières de haut vol pour déménager les 500 milles au nord, bien qu'ils n'aient absolument aucune expérience du crofting ou de la vie insulaire. C'était idyllique, pendant un moment. Mais à mesure que les mois passent, que les enfants qu'elle rêvait ne se matér... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (33) Voir plus Ajouter une critique
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Beauté sauvage d'un changement de vie radical, régénérateur et rédempteur…Ce livre m'a touchée au point d'infuser mes idées de clarté et d'humanité. Un coup de coeur serti par une écriture belle à tomber…

« Notre souffle forme un nuage blanc quand je frotte vigoureusement son épaisse robe avec mes mains gercées. Des tessons tremblants de glace déversent sur nous une pluie blanche et chatoyante. Nos silhouettes sont illuminées par une lueur dorée tandis que le soleil commence à se lever et que la journée semble d'une immense beauté dans sa réalité physique et sa simplicité nue ».

Ce livre est l'histoire de l'auteure, Tamsin Calidas, sous forme de témoignage…Un prénom et un nom aux sonorités de promesses d'île que je murmure désormais avec émotion, presque avec sensualité, avec respect assurément. Cette londonienne a quitté sa vie citadine pour s'installer sur une petite île des Hébrides en Écosse. Elle et son mari ont tout plaqué, laissant de côté leurs carrières de haut vol, pour pouvoir vivre davantage en lien avec la nature, comme nous sommes nombreux parfois à l'imaginer, à le rêver, mais bien peu à le faire de manière aussi radicale, dans un « croft », sorte de micro-exploitation rudimentaire, sur une île éloignée de tout, au climat hostile, là où les falaises sont taillées de façon anguleuse par les embruns salés et les vents venus de la mer produisant un son de cornemuse, là où les clochettes des bruyères se font éclatantes tandis que les collines roussies s'assombrissent en hiver, là où les rivages nus scintillent de berniques qui s'accrochent aux rochers. Là où « le vent chante à travers les vieilles charrues abandonnées tel un métier à tisser invisible qui continue à entremêler les fils de la terre et ses souvenirs, tramant chaque jour un passé et un présent différent ». Là où les ciels d'automne tourmentés peuvent devenir noirs et frappés avec fureur, là où les fleurs sauvages au printemps se font aquarelle polychrome. Là où le silence est si intense qu'il en devient poreux. Sur cette petite île d'un vert brillant dans le soleil étincelant, minuscule joyau des Hébrides.

Tamsin Calidas a réussi à atteindre un mode de vie d'une simplicité âpre et extrême qu'elle a appris à aimer au-delà des mots. Tamsin Calidas, femme-île, bercée par les eaux, fouettée par les vents, adoptée par les oiseaux, vénérée par ses animaux, à la peau tannée, aux joues sèches, aux mains blessée, à la force rugueuse, une petite poignée de vent en guise de voix.

Mais, quelle est la contrepartie, du moins le processus pour atteindre une telle osmose avec la nature et d'une telle connaissance de soi ?… En vivant désillusions sur désillusions, au point que l'idée même de mort soit réconfortante.
La stérilité mine le couple qui se brise, l'argent vient à manquer au point de devoir glaner des végétaux pour se nourrir et de ne pouvoir se chauffer, les deux mains se cassent, la solitude est extrême, l'ostracisme des insulaires est menaçante, la seule amie décède…Réduite à néant, ce dépouillement total la conduit tout d'abord à l'amertume, au ressentiment, rendant la narration répétitive et douloureuse… jusqu' à l'acceptation permettant à la douleur la plus aigüe de marquer son coeur. En vivant en accord avec le principe de destruction et d'altération de l'univers. En lâchant prise. En se débarrassant de routines éculées. En se laissant guider par le vent qui offre une source de force et de renouveau. En se laissant mordre par la mer glaciale, tous les jours, cette eau des origines, primordiale, quelle que soit la température, quelles que soient les conditions météo. En communiant avec la faune et la flore environnante.

D'année en année, son instinct devient connecté aux multiples indices livrés par la nature, aux moindres petits signaux que son corps assimile :
« C'est le milieu de la matinée. le toit en tôle ondulée de la vieille grange aux agneaux est pris d'assaut par un vent de nord-est, inhabituel en cette fin d'été. La poussière dans la cour se soulève, tourbillonne en rafales ; l'air lourd est chargé, saturé du parfum épais de la pluie. Mais hormis un éclat couleur de plomb, le ciel demeure clair. C'est déroutant de regarder le ciel et de constater qu'il est en décalage avec lui-même. Cela aiguise l'instinct, le met sur le qui-vive. Je sais qu'une véritable tempête est imminente, file à l'horizon, pas uniquement parce que j'ai aperçu les goélands blottis contre les mangeoires, ni parce que les moutons se sont réfugiés dans les bois dans la partie sud-ouest du croft, ni tout bêtement parce que j'ai vu le mercure chuter dans le baromètre. Je le sais pour toutes ces raisons, mais surtout à cause du goût fade et gris caractéristique qui stimule la production de salive dans ma bouche. Je lève la tête pour humer et goûter un peu plus l'air. Ce goût émoussé sur les bords est le signe annonciateur soit d'un problème, soit d'un changement ».

Cette connexion devient même interconnexion réveillant ses instincts ataviques profonds, puisant dans ses pulsions anciennes et ses souvenirs ancestraux, élans animistes durant lesquels « le temps parait à la fois passer en un clin d'oeil et simultanément dilaté à l'extrême ».

Ce beau livre publié aux jeunes éditions Dalva, aux pages souples et généreuses, nous offre, à chaque début de chapitre, de petites photos, photos de ses animaux, fragments de lèvres et de sourire, de bouts de doigts gelés enveloppant une tasse chaude , de paysages austères et puissants, photos qui m'hypnotisaient et me permettaient de bien me rendre compte du réalisme du récit, notamment celles où nous la voyons s'immerger dans l'eau glaciale.

"Tout doit s'effondrer pour que le renouveau puisse advenir"

J'ai vécu sur cette île aux côtés de Tamsin Calidas le temps de ce livre, vécu ce sentiment de gratitude et de résilience. J'ai ressenti sa capacité à s'endurcir, à enfoncer ses racines peu profondes comme elle le pouvait, à la manière d'un chardon, en s'adaptant et en luttant.
Ce fut une lecture marquée par une forme de douce sororité, de compassion, d'apaisement donnant furieusement envie de l'épauler et, comme elle, de se reconnecter à la nature sauvage. Pour autant, ce coup de coeur n'est pas qu'affaire de compassion et d'empathie. Il s'explique aussi par cette façon lumineuse qu'à cette femme de réussir à mettre en mots des vérités indicibles qui vibrent en moi…

«La vision du monde que vous développez est déformée. Vous niez l'existence de la noirceur parce que tout votre être s'accroche à la lumière. La vie est une lutte acharnée entre sentiment d'appartenance à un lieu et déracinement ».
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Gros coup de coeur pour ce livre dont le titre a attiré mon attention. La photo de couverture également, son nom : Tasmin Calidas... sans savoir exactement pourquoi.
Pour achever le tout, je me suis lancé dedans sans chercher à connaître les tenants et aboutissants, sans savoir si c'était un roman ou un récit.
Alors, quand à un certain moment, plutôt vers la fin, je me suis dit : "Dommage que ce soit un roman, une telle introspection ne peut être basée que sur du vécu" suivi de "mais c'est quoi finalement ce truc?", j'ai compris que j'étais en présence d'un récit de vie. Quelle vie !
Donc, chers amis vous l'aurez compris, ce qui suit n'est absolument pas objectif : je suis littéralement tombé sous le charme de cette personnalité hors du commun qui s'exprime dans ces pages. de ses mots également.
Au point d'aller visiter son site, de l'écouter y lire un passage de son livre avant d'écrire ces quelques lignes.
On peut dire que c'est un récit de vie, de survie, mais c'est bien plus. C'est une invitation à la réflexion sur ce que peut vouloir signifier communier avec la nature. Chaque jour. Chaque saison. Avec chaque élément. Seule mais avec de la vie autour.
Sans pathos, avec rugosité et tendresse, elle dresse le portrait de son évolution psychologique, de ce chemin intérieur qu'elle s'impose et qui dévoile assez pudiquement un caractère exceptionnel.
C'est un billet d'invitation pour certains amis susceptibles de se laisser entraîner dans ce genre de littérature introspective. Lisez-la au plus vite.

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Il en est de certaines lectures qui tout doucement s'instillent en vous, vous emporte insidieusement sans que vous en rendiez forcément compte, distille en vous quelque chose d'indéfinissable et qui vous porte vers une réflexion tout aussi vertigineuse que bienfaitrice.
Et bien "Je suis une île" est de celles-là.

D'abord, une pensée toute particulière pour HordeDuContrevent qui par sa somptueuse critique de cet ouvrage a su éveiller ma curiosité quant à cette auteure, cette maison d'édition dont le credo est de mettre "à l'honneur des autrices contemporaines. À travers leurs textes elles nous disent leur vie de femme, leur relation à la nature ou à notre société. Elles écrivent pour changer le monde, pour le comprendre, pour nous faire rêver." J'ajouterai dans le cas présent nous renvoie également à nous-mêmes.
Et me sortir de ma zone de confort, au propre comme au figuré

2 livres me sont revenus en mémoire, lors de l'avancée au fil des pages que je prenais le temps de lire pour m'en imprégner
- Un effondrement d'Alexandre Duyck ;
- Tomber sept fois, se relever huit de Philippe Labro.

Peut-être est-ce aussi car ce roman provoque une sorte d'effet miroir qui ne peut laisser indifférents certains....

Car au risque de ma lancer dans des assonances, plusieurs adjectifs me viennent à l'esprit à l'évocation de l'histoire de Tamsin Calidas :
Expérience, accoutumance, vigilance, puissance, transparence, violence, persistance, résonance, et résilience.

Expérience car "C'est toujours pendant une forme de traversée, le passage d'un espace à un autre, que votre coeur s'ouvre et que tous vos rêves commencent." Et expérience car la lecture de cet ouvrage s'apparente à la lecture d'un livre qui ne ressemble à aucune autre.

Accoutumance car : "Lorsque j'emprunte cet itinéraire quotidiennement pour me rendre au travail, j'ai conscience d'être en proie à un sentiment d'agitation perturbant. le fait de trimer jour après jour peut vous pousser à vous poser toutes sortes de questions ouvertes. Vous en venez parfois à lever les yeux vers le ciel pour y trouver des réponses, les épaules redressées, parées contre une angoisse existentielle sans cesse renouvelée." Et accoutumance aux mots posés par l'auteur sur le papier.

Vigilance car "L'humanité est une chose vulnérable et vigilante". Et vigilance tant on en éprouve pour l'héroïne.

Transparence car "Le stress est invisible ; subtil et insidieux, il se renforce au fil du temps. L'angoisse est pareille à un feu qui se consume lentement.". Et transparence tant les mots parfois bruts, les sentiments exacerbés, disent tant de nous, de nos peurs, de nos joies, de nos craintes, de nos peine

Violence car "Parfois, votre vie peut vous paraître étriquée à la manière d'un pull devenu trop petit pour vous depuis longtemps, qui entrave tant vos mouvements qu'un besoin pressant de vous étirer pour vous en défaire s'empare de vous. Depuis des années, je désirais secrètement tirer d'un coup sec sur ce dernier fil pour me libérer." Et violence car elle peut parfois s'avérer salvatrice, ou comme un déclic dont seul notre inconscient a le secret.

Persistance car je dirais à l'instar d'une lecture récente et dont une citation convient parfaitement à celui-ci également : "de même que le stylo quitte la surface de la page entre deux mots, de même les pieds du marcheur se lèvent et s'abaissent entre deux pas ; de même que le cerf continue de courir quand son bond l'arrache au sol, et que le dauphin continue de nager quand il saute et jaillit par-dessus les vagues, de même l'écriture et la navigation sont des activités continues, une ligne ininterrompue, la persistance d'un même courant, d'un même élan." Et persistance dans ma mémoire de ces mots et images qui ont émaillés ma lecture.

Résonance car cette femme-île va devoir entrer en résonance avec le milieu avec les éléments bruts, avec l'environnement, avec la nature, avec l'île elle-même. Et résonance car "cette histoire nous rappelle que d'étranges forces sont toujours à l'oeuvre, souvent invisibles, au sein du paysage. Dans ce vol tourbillonnant, ce que j'ai vu, c'est que la prédation et la protection sont les deux facettes d'un même instinct." Et résonance comme peut l'être la vie parfois. Et résonance également tant je suis doué "pour nourrir les autres des trésors rutilants de ces cueillettes, mais j'ai beau être calme, j'ai toujours eu bien du mal à m'en nourrir."

Résilience car :" Il est effrayant de se regarder, de regarder ses faiblesses, dans toute leur nudité crue. de comprendre vraiment que la vie n'est qu'un unique souffle intense et tremblant.Cela me fait peur d'en être arrivée là. Je sais que mon existence est différente des autres. J'ai appris à vivre chaque jour avec de moins en moins. À présent, je vis avec tellement peu que j'ai du mal à savoir ce qu'il manque.Vient un moment où nous savons que quelque chose ne fonctionne pas. Ce moment est venu puis reparti pour moi, sauf que j'ai continué, en m'épuisant, mais en me battant. C'est comme nager sur place, avec le courant chaque jour un peu plus fort qui, lentement, irrésistiblement, m'entraîne vers le fond. J'ai simplement continué à faire les choses, parce que nous adhérons tous à une règle simple : nous ne cessons jamais d'essayer. Personne n'a le droit de laisser tomber. On peut s'arrêter, mais jamais passer la main." Et résilience car parfois quelque chose, quelqu'un, une force inconnue, une force surhumaine dans son acception littérale vous pousse à sortir du gouffre. Peut-être aussi parce tout doit s'effondrer pour que le renouveau puisse advenir ?

Tamsin Calidas écrit : "Les belles choses se produisent souvent quand on s'y attend le moins."
Je me permets d'écrire : Les belles lectures se produisent souvent quand on s'y attend et le moins....
Mais c'est bien là que réside la force de la lecture au travers des autres trouver une part de soi-même, ou la retrouver tout simplement.
Et tout simplement j'ai envie de prononcer un merci...
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Coup de coeur intersidéral pour Je suis une île et le récit de Tamsin Calidas.

Entre témoignage et récit autobiographique, Tamsin Calidas nous raconte son changement de vie. Un cap à 360° pour cette londonienne qui plaque tout pour aller s'installer avec son mari sur une île des Hébrides en Ecosse. Dans les pages d'un journal, ils trouvent leur bonheur : une ferme entourée de champs, de plénitude, de nature. Au départ ce ne sont que 4 murs et des conditions de vie spartiates puisqu'ils habitent une caravane le temps de la rénovation mais en quelques lignes, l'auteure nous livrera des sources de bonheur multiples. Se reconnecter à l'essentiel, profiter de l'instant, communier avec la nature, apprendre de la faune et de la flore. Son récit est parsemé d'embruns et d'iode et c'est un peu comme si nous aussi nous nous installions dans ce croft sur les falaises de l'île.
Tamsin Calidas m'a touchée par tant de bienveillance et de simplicité. Adopter ce nouveau mode de vie, c'est aussi revenir aux sources, apprécier l'authentique, se lever aux chants des oiseaux, respecter chaque vie, chaque pousse, chaque animal qui l'entoure. A la force de ses mains, pleine de volonté, elle n'aura de cesse de prouver aux natifs de l'île qu'elle mérite son lopin de terre et qu'une femme aussi, peut le faire.
Je ne dirai pas que ce récit est féministe car l'auteure n'a aucune prétention. Elle livre un récit tellement vrai, tellement simple et touchant qu'on n'a qu'une envie : faire de même ! Mais cette nouvelle vie qui s'annonçait sous les meilleures augures sera difficile : d'abord parce que la stérilité du couple finira par les éloigner et les briser, le manque d'argent également et surtout l'agressivité des insulaires qui voient leur arrivée d'un mauvais oeil.
Je pense qu'il faut beaucoup de résilience et d'acceptation pour encaisser tant de désillusions et de violence pour une seule personne et trouver la force d'en ressortir grandie. C'est le cas de l'auteure qui se retrouve avec les deux mains cassées et devra tout de même gérer son croft avec un tel handicap.

J'ai été absolument subjuguée par ce récit et la combativité de cette femme. La force intérieure qu'elle possède est incroyable et mérité d'être saluée. J'ai été aussi bouleversée par la communion qu'elle entretient avec la nature et les animaux, tout particulièrement avec sa chienne. Une telle connexion entre deux êtres, tant d'amour à donner et à partager, ce récit est criant d'humanité et de bienveillance. La superbe couverture aux éditions Dalva y est aussi pour beaucoup. Tamsin Calidas a parsemé son récit de quelques photos qui nous vont droit au coeur. Cette jeune maison d'éditions est à garder dans le viseur car assurément se cachent quelques pépites parmis leurs rangs !

Un formidable coup de coeur que je recommande à tous les amoureux de la nature. Une ode à la vie !
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No man is an island,
Entire of itself,
Every man is a piece of the continent,
A part of the main.
If a clod be washed away by the sea,
Europe is the less.
As well as if a promontory were.
As well as if a manor of thy friend's
Or of thine own were:
Any man's death diminishes me,
Because I am involved in mankind,
And therefore never send to know for whom the bell tolls;
It tolls for thee.

Nul homme n'est une île,
entière en elle-même ;
tout homme est un morceau du continent,
une partie de l'ensemble.
Si une motte de terre était emportée par la mer,
l'Europe en serait diminuée,
aussi bien que si c'était un promontoire,
aussi bien que si c'était le manoir de tes amis
ou le tien propre :
la mort de tout homme me diminue,
parce que je fais partie du genre humain,
et en conséquence, n'envoie jamais demander pour qui sonne le glas ;
il sonne pour toi.

John Donne, No Man is an Island

Je suis une île est le premier livre de Tamsin Calidas qui relate les quinze années qu'elle a passées sur une île des Hébrides. Traduit en français par Caroline Bouet et publié aux toutes jeunes et prometteuses éditions Dalva que je découvre, son titre semble démentir les vers que John Donne écrivit il y a près de quatre cents ans et que nous connaissons tous grâce à Papa Hemingway.

❝Quel moment extraordinaire que celui où vous revoyez le calibrage de votre compas et trouvez un cap. Je rêvais de fixer mon regard sur un horizon brut et dégagé depuis des années — depuis que j'avais trouvé une vieille carte de l'Écosse et que je l'avais épinglée dans le couloir de mon appartement.❞

Qui n'a jamais rêvé de faire table rase du passé, se tourner résolument vers l'avenir et trouver un lieu où être enfin soi ? Combien de ces rêveurs ont fait de leur rêve une réalité ? Plusieurs événements traumatisants ont conduit Tamsin et Rab, son époux, à quitter leur maison londonienne de Notting Hill et leurs emplois pourtant prospères pour chercher à s'établir dans un lieu qui leur rendrait leur sérénité perdue.

Ce lieu nous le découvrons tout d'abord grâce à une carte placée au début de l'ouvrage divisé en trois actes, eux-mêmes divisés en chapitres avec un seul mot pour titre et une photo noir et blanc prise par l'autrice pour illustration. (J'ouvre une parenthèse pour dire combien l'objet livre est beau et le travail d'édition, soigné. La traduction me paraît parfois hasardeuse, mais n'ayant pas lu le texte original, ce n'est que mon impression de lectrice). le croft, un de ces territoires scrupuleusement délimités et changeants, que Tamsin et Rab achètent sur une île des Hébrides, bien que passablement décrépit, sans eau courante ni électricité, contient la promesse d'une vie à réinventer loin du tumulte de la ville, d'une famille à fonder, de nouvelles relations à nouer.

❝C'est le silence qui me frappe. Il a quelque chose de poreux, comme si le ciel tout entier s'était déversé à l'intérieur, ne laissant que peu de place au reste. Ici, nul éclat de voix, nulle brique à travers la vitre. Nul fracas métallique de bâton sur une grille métallique ni grondement de bus. À l'intérieur, le silence qui règne rappelle l'eau fraîche et pure. Et je sais que c'est ce calme que je recherche depuis longtemps.❞

C'est sans compter sur les difficultés que tous deux ont assez inexplicablement occultées, sans doute tout à l'euphorie de ce nouveau départ décidé sur un coup de tête, en six semaines à peine. Il faut dire qu'elles ne manquent pas pour ces Londoniens sans aucune expérience de l'élevage de moutons et de vaches, et il est illusoire de penser que les relations avec les îliens fiers et ouvertement hostiles pacifieront leur installation sur l'île.

Dans ce monde à quelque dix miles du continent que l'on relie par un ferry tributaire des caprices de la météo, à l'écart de tout, replié sur lui-même, la bonne entente et l'entraide sont vitales. La coutume veut que l'on ne ferme pas à clef les maisons, qu'une lumière restée allumée soit une invitation à entrer à l'improviste pour discuter autour d'une tasse de thé ou d'un verre de whisky quelle que soit l'heure. Qu'en est-il quand toute une communauté vous rejette vous faisant chaque jour le reproche de n'être pas né sur ces terres, de les usurper, de vous y installer au nez et à la barbe des personnes auxquelles elles doivent revenir selon un tacite code ancestral ?

❝Les pierres et les souvenirs sont l'ossature géologique et culturelle de l'île. […] Acquérir le droit d'avoir sa place ici est aussi ardu qu'arracher ces rochers au sol de l'île. Ce droit est offert joyeusement à chaque enfant qui naît ici, ainsi qu'aux personnes liées par le mariage au petit groupe uni de familles locales. […]
Chaque poche de sol est jalousement gardée, comme on veillerait sur un parent proche. Ce sont des territoires que l'on défend bec et ongles. […] malgré tous vos efforts, jamais vous ne les méritez. Avoir sa place ici dépend du bon vouloir des autres.❞

Certaines personnes ne sont pas faites pour s'entendre, et Tamsin et Rab en font chaque jour la douloureuse expérience en se retrouvant mis au ban de la petite société de l'île qu'ils n'intègreront jamais.

❝C'est un très beau monde où la fierté obstinée, la haine de la différence et la peur du changement règnent en maître. À bien des égards, ce monde demeure féodal, avec son propre système d'honneur prompt à s'indigner mais lent à pardonner.❞

Pour Tamsin et Rab, l'embellie pourrait venir de cette famille qu'ils ont à coeur de fonder, mais les échecs répétés des FIV auront raison de leurs ultimes espoirs. Tout est précaire, au croft comme dans leur couple, et Rab finit par jeter l'éponge pour s'en retourner vivre sur le continent, laissant Tamsin seule, au pire moment puisqu'avec deux poignets cassés, toute tâche lui devient d'une difficulté insurmontable. N'importe qui aurait songé à renoncer. N'importe qui, sauf elle.

Écrire une autofiction est un choix narratif assumé où le « je » de l'autrice se met en scène. L'écueil est de n'être pas capable d'objectivité et, ici, Tamsin Calidas ne l'évite malheureusement pas. Pour intéressantes que sont les péripéties qu'elle rapporte à propos de ces années-là, le personnage qu'elle se crée est trop lisse et on cherche en vain un défaut à cette Tamsin idéalisée. À la lire, et à l'exception notable de Cristall, les îliens ne sont que des hommes et des femmes bourrus, inhospitaliers, acrimonieux — ❝Tous ces regards qui me mangent. […] Pas besoin de gril, l'enfer c'est les autres❞, écrivait Sartre dans Huis clos — envers lesquels elle ne montre aucune curiosité et dont elle se garde bien de sonder les motivations. de même qu'elle ne cherche pas à comprendre quelles pourraient être les raisons profondes du revirement de son mari, se contentant de noter son changement physique et de ses humeurs.

❝Je l'ai vu dans son corps qui s'étiolait. Dans les années qui ont suivi, j'ai vu ce problème[l'isolement, la solitude] creuser au point de buriner ses traits et sa peau.❞

À l'évidence, écrire est un exutoire, et bien que sa phénoménale force de caractère et son instinct sûr ne puissent être mis en doute, elle se regarde souffrir et en ferait presque oublier que derrière ses récriminations se tapit une vraie souffrance, celle de la solitude ❝je suis tellement seule que parfois je ne me reconnais pas❞, de l'impossible maternité, d'une vie pécuniairement et socialement précaire sur une île où, assez contradictoirement disons-le, elle ne s'intègre pas tout en souhaitant ardemment s'y enraciner.

Le troisième acte est de loin, de très loin même, le mieux réussi, qui raconte le trouble exaltant de se reconnecter à la nature sauvage pour y trouver l'apaisement.

❝Je perds le contact avec les mots. Je vais dans les bois car ils m'offrent une conscience silencieuse plus douce et plus durable que tout ce que je connais. Je presse ma joue contre l'écorce fraîche, j'appuie ma tête lasse contre un tronc solide. Je me fabrique un abri rudimentaire et j'y apporte des couvertures épaisses. […] Je suis prête à me défaire du monde que je connais. […] le matin venu, je n'ai pas envie de m'en aller. Alors je reste.❞

Les cent dernières pages, hymne à l'âpre beauté des Hébrides qui exalte sa communion avec la faune et la flore environnantes, sont tout simplement splendides. Les passages recuits d'aigreur du début cèdent enfin devant de sages élans littéraires qui, en autorisant enfin l'émotion à passer, rendent grâce à la grandeur des paysages changeants de l'île, l'éblouissement polychrome des fleurs sauvages au printemps, la noirceur des ciels d'automne tourmentés, les caprices dévastateurs des tempêtes soudaines, la morsure des hivers rigoureux, les rencontres inopinées avec les animaux qu'à l'image de Saint-François d'Assise, elle soigne et tente d'apprivoiser. Et l'eau, l'eau primordiale, l'eau matrice réconfortante dans laquelle elle nage chaque jour quelle que soit la température, quelle que soit la météo.

❝Chaque jour, je jette quelques heures perdues dans l'eau. Chaque jour, cela renouvelle ma force, enflamme une résilience intérieure et me procure un sentiment de gratitude pour mon souffle chaud et mon coeur qui bat. […] La mer vous modèle habilement, vous dotant de nouveaux contours capables de résister aux coups durs de la vie.❞

Malgré la faim qui lui tord l'estomac et la pousse à se nourrir de ce qu'elle trouve quand les finances sont en berne,

❝La feuille épaisse du sycomore est la plus dure. le hêtre est doux, froissé, avec de minuscules poils comme une peau duveteuse […] Goûter ces premières bouchées est étrange, comme un secret illicite dans ma bouche. Mais c'est plus que cela. C'est un soulagement. Je suis affamée, j'ai désespérément besoin de nourriture.❞

les jours passés auprès de Maude sa chienne et de Fola sa jument sont empreints d'une sérénité qu'elle a enfin trouvée après s'être dépossédée de tout.

❝Je n'ai ici ni famille, ni proche, ni ami, ni lien affectif. Ce sentiment inconnu est étrangement libérateur.❞

Je suis une île est le récit en trois actes d'un changement de vie radical. Lent, répétitif et quelque peu maladroit dans ses deux premiers tiers, il devient le passionnant récit d'un voyage intérieur et d'une renaissance, avec le secours d'une nature âpre mais toujours généreuse et les somptueux paysages indomptés de ce coin d'Écosse.

Je suis une île. J'ai un nom. Une poignée de vent en guise de voix. J'offre à la mer ce silence froid qui est en moi.❞

Je remercie Babelio et Juliette Ponce des éditions Dalva pour cet envoi et leur confiance.

Lien : https://www.calliope-petrich..
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critiques presse (1)
LeMonde
10 mai 2022
Dans une prose limpide et d’une grande simplicité, Tamsin Calidas réussit, sans naïveté, à illustrer ce cliché, sans jamais le prononcer. Ce qu’elle montre avant tout, avec précision et sensibilité, c’est la transformation progressive de cette femme. Sa lutte avec et contre l’environnement.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (38) Voir plus Ajouter une citation
Parfois, votre vie peut vous paraître trop étriquée à la manière d’un pull devenu trop petit pour vous depuis longtemps, qui entrave tant vos mouvements qu’un besoin pressant de vous étirer pour vous en défaire s’empare de vous.
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Les coquelicots qui grandissent trop seront impitoyablement fauchés.
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Notre maison a été bâtie avec des pierres de l'île. Ses souvenirs sont tissés dans le paysage, cousus d'antiques noms gaéliques et norrois. Ma bouche s'enroule autour de leurs formes qui ne me sont pas familières. Le norrois est anguleux, dur comme les montagnes des fjords, tandis que le gaélique est doux comme les champs. Les pierres et les souvenirs sont l'ossature géologique et culturelle de l'île. Les histoires s'échangent autour de tasses de thé, de petits verres et de scones beurrés, et sont transmises par ceux dont les noms sont gravés par les maçons de l'église dans des pierres verticales au fil des générations. Acquérir le droit d'avoir sa place ici est aussi ardu qu'arracher ces rochers au sol de l'île. Ce droit est offert joyeusement à chaque enfant qui naît ici, ainsi qu'aux personnes liées par le mariage au petit groupe uni de familles locales. Vous ne pouvez l'obtenir qu'en déversant le sang de votre vie, de vos joies et de vos chagrins dans la terre sombre et peu profonde de cette île.
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Il n'est pas toujours aisé de vivre tranquillement quand le ciel est immense à ce point et que le vent souffle, se déchaîne, courageux, irascible et violent, enveloppe le paysage magnifique, nous incitant à tenter de mesurer nos petites vies à sa grandeur, dans la colère comme dans l'amour. Peut-être que l'échelle du paysage réduit tellement les émotions humaines que, dans un effort d'être comprises, les voix des insulaires se font plus acerbes, courageuses, magnanimes, généreuses, cruelles ou méchantes. C'est un très beau monde où la fierté obstinée, la haine de la différence et la peur du changement règnent en maîtres. A bien des égards, ce monde demeure féodal, avec son propre système d'honneur prompt à s'indigner mais lent à pardonner. Le pardon est une qualité aussi difficile à exhumer que les roches dans le sol.
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J'ignore ce qui chez les goélands invite vos yeux à s'élever au-dessus de l'horizon, à aller chercher un ciel plus lointain, par-delà le voisinage immédiat, plus haut. Pourtant, toujours, lorsque je perçois leur lamentation, mon cœur s'emballe, et autre chose en moi ose se laisser emporter. Comme si, à l'intérieur, quelque chose se détachait, se désenchevêtrait de tous les liens ténus et étroits filets qui vous prennent au piège d'une existence que vous savez trop comprimée pour vous.
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Vidéo de Tamsin Calidas
À l'occasion du Festival Étonnants Voyageurs à Saint Malo, Tamsin Calidas, vous présente son ouvrage "Je suis une île : récit" aux éditions Dalva.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2610122/tamsin-calidas-je-suis-une-ile-recit
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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