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Critique de Musa_aka_Cthulie


Sophie Calle, je l'ai en gros découverte avec son livre Douleur exquise - j'ai vu très peu de choses d'elle au Centre Pompidou, et jamais d'exposition. "Que faites-vous de vos morts ?" était une question qu'elle avait posée, écrite sur des livres d'or lors d'une exposition au musée de la Chasse et de la Nature (musée qui ne m'attirerait carrément pas s'il n'était assez réputé pour ses expos d'art contemporain). Cette question, beaucoup de visiteurs y ont répondu, et ont sélectionné les réponses pour qu'elles apparaissent dans un livre - un livre qui n'est donc pas "de Sophie Calle" mais "de Sophie Calle et des visiteurs du musée de la Chasse et de la Nature", comme c'est indiqué noir sur blanc. Sophie Calle a inséré entre les pages de réponses des photographies prises dans des cimetières, surtout américains. J'imagine que c'est d'abord parce que les tombes des cimetières français indiquent très visiblement les noms des défunts, et que l'anonymat ne pouvait donc être respecté. Alors que là, on voit beaucoup de stèles, de plaques, avec l'indication "Father", "Mother", "Daughter", parfois "Baby". Et si ce choix de photographies (précisons que Sophie Calle n'est pas photographe et qu'elle prend des photos très ordinaires, le but n'étant de proposer des photos travaillées de façon professionnelle, bien au contraire) m'a paru frustrant, monotone, je me suis demandé si là n'était pas le but : montrer combien la mort prenait un aspect uniforme, qui remettait tout le monde à la même place. Et en cela, les grands cimetières à l'américaine sont bien plus à cette image qu'un cimetière français mythique comme le Père-Lachaise ou un cimetière de village.


Comme dans Douleur exquise, on trouve des histoires douloureuses. Les visiteurs répondent d'ailleurs parfois de façon détournée, il arrive qu'ils racontent l'histoire d'une mort plutôt que ce qu'ils font de leurs morts. Sophie Calle a également inséré quelques textes personnels, sur ses parents et son chat - et il m'est apparu qu'elle était presque la seule à avoir écrit sur la mort d'un animal, alors que tant de Français vivent avec des animaux domestiques. Pas étonnant qu'on soit les rois de l'abandon des animaux domestiques... (j'entends d'ici mon conjoint me dire "T'es toujours aussi naïve, t'es encore étonnée du manque de compassion des gens, après tout ce que t'as vu") Je suis également frappée par le fait que la plupart des textes parlent de la mort de parents - moins souvent de grand-parents, quasiment pas d'amis, de frères et soeurs, d'enfants. Et je me suis dit que sans doute, témoigner sur la mort de ses parents, c'était ce qu'il y avait de plus simple à partager - je parle de morts qui relèvent de la vieillesse, de la maladie et de la fatigue qui en découlent, pas de morts plus traumatisantes -, et que le reste était sans doute trop dur pour donner naissance à un court texte sur un livre d'or. Encore que certains se sont servis de ces livres d'or pour exorciser leur chagrin et tout que la mort d'un autre peut provoquer. D'autres, moins nombreux, ne se sont pas gênés pour être directs, voire provocants. Ben oui, parce que nos morts, on ne les aime pas forcément, ils ne nous ont pas forcément aimés, et on n'a pas forcément envie de leur rendre hommage. Chacun ses morts, chacun ses rituels, et ça peut aussi bien être tirer la chasse (comme l'a écrit quelqu'un) que conserver une urne dans une cave à vins (comme l'a écrit quelqu'un d'autre).


Comme pour Douleur exquise, qui parlait beaucoup de mort, de suicides, mais aussi de douleurs tout autres, le livre de Sophie Calle Que faites-vous de vos morts ? a la grande qualité de renvoyer son lectorat à des sentiments souvent tapis en nous, qu'on cherche pour certains à enfouir le plus profondément possible. Des tas de gens se sont exprimés sur un sujet difficile, sur une question difficile, et je parierais fort que, comme moi, pas mal de lecteurs se sont demandé : "Qu'est-ce que, moi, j'aurais écrit, qu'est-ce que j'aurais répondu à cette question ?" J'étais d'ailleurs partie pour écrire un texte beaucoup plus personnel (déjà que le début de la critique prend des chemins de traverse), sans y réfléchir vraiment, mais je préfère respecter une certaine distance pour la critique du livre. Après tout, le reste me regarde et si j'ai envie de répondre à mon tour à la question de Sophie Calle, dans un texte court ou long, ce sera toute seule dans mon coin.

Lien : https://musardises-en-depit-..
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