Facile ou pas facile, c'est la vie qui glousse et qui grince. Six chapitres, six contes cliniques déroulant leurs histoires de tout et de rien, de sexe, de désir, d'amour et de mort – en une rare langue obstétricienne.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/08/27/note-de-lecture-
tu-ouvres-les-yeux-tu-vois-le-titre-arno-calleja/
Six chapitres, enchaînés les uns aux autres au point que le texte lui-même nous indiquera, en rappelant souvent la page même où nous nous trouvons, qu'il y a changement de scène et de décor : les pauses et les éventuelles pages blanches (qui sont ici bleues, en résonance avec ce qui se joue au fil des caractères de la même couleur ayant envahi sans douceur manifeste la grosse centaine de pages de l'ouvrage) se situent au coeur des six contes, fabliaux, nouvelles, compte-rendus d'opérations ou de séances oniriques – la lectrice ou le lecteur choisiront le terme qui leur semblera le plus adapté, le moment venu, quitte à changer d'idée face au déroulé des faits.
Le ton volontiers clinique adopté pour cette narration multiple témoigne certainement d'une volonté de ne pas laisser, en apparence, les émotions en prendre à leurs aises, car il est question ici, avant tout mais pas exclusivement, d'amour, de désir, de sexe, de frustration, de colère, de désarroi peut-être surtout, face à ce qui survient et qui déstabilise, souvent de manière terminale. Les protagonistes, qui peuvent aller du revenant au garçonnet, du peintre au travailleur du sexe, vivent et meurent dans ces rapports officieux, magnifiquement secs et pourtant si pleinement humains. Il y a ici du quotidien et du fatal, de l'inexorable et du broyeur, de la folie et du ressort. C'est beau et étrange comme une vie qui court vers sa perte, à son propre rythme.
Six ans après «
La performance » et un an avant «
Un titre simple », le poète-performeur
Arno Calleja nous offrait en 2018, dans l'étrange collection Othello du Nouvel Attila, ce «
Tu ouvres les yeux tu vois le titre ». Dans sa superbe recension sur Poezibao (à lire ici), Éric Darsan évoque avec beaucoup de justesse et de finesse les fantômes de Julien d'Abrigeon (« le Zaroff »), de
Pablo Katchadjian («
Quoi faire », mais aussi sans aucun doute «
Merci » et «
La liberté totale »), de
Jason Hrivnak («
La maison des épreuves »), ou encore de Romain Verger (« Ravive ») : l'étroit enchevêtrement entrepris par
Arno Calleja, où crudité et cruauté (physiques et psychologiques) sont des ingrédients poétiques majeurs, établit indéniablement un battement sourd, en phase avec ces textes-là, par plusieurs de leurs angles.
J'y ajouterai peut-être, et un réflexe anachronique ou uchronique en renforcera l'impression lorsque paraîtra en 2020, deux ans plus tard, «
La mesure de la joie en centimètres », qu'il y a une poésie du non-dit qui se fraie un chemin dans les éboulis au pied de ces différentes parois abruptes issues des coups de couteau ou de serpe pratiqués dans le récit dès qu'il voudrait prendre de l'épaisseur ou de la touffeur, pour n'en garder que la sécheresse vertigineuse des faits, une poésie qui pourrait aussi évoquer la causticité paradoxale des « bons conseils » chers au «
Roman dormant » d'
Antoine Brea, les abîmes fuligineux d'une
Gabrielle Wittkop qui auraient été détournés par les ruses d'une
Anne-Sylvie Salzman, ou encore le travail de captation d'un réel aussi instantané que déjà fantomatique d'un Éric Arlix.
Arno Calleja teste pour nous les limites d'une enveloppe conceptuelle et vivante au contenu mathématiquement variable et constant, avec sa langue de praticien hospitalier chevronné n'ayant peur ni de ce qui glousse ni de ce qui grince.
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