Il fait en outre ajouter que les langues ne disparaissent pas seulement par « imposition d'un nouvel idiome appartenant à une race plus forte » (qu'est-ce d'ailleurs qu'une race plus forte ?), mais souvent parce que leurs locuteurs les abandonnent, ne les transmettent pas à leurs enfants, et que si cet abandon est en partie le produit de rapports de force, il est aussi lié à des représentations, à l'idée par exemple que l'autre langue est plus belle, plus utile, que les enfants réussiront mieux dans la vie s'ils la dominent, etc. De nombreuses enquêtes sur les langues minoritaires ou sur les langues de migrants en témoignent.
En d'autres termes il y a peut-être un langage des abeilles, qui a été décrit avec précision, mais il n'y a pas le langage des abeilles françaises, celui des abeilles russes, celui des abeilles tunisiennes... Et si les baleines de l'océan Indien n'ont pas tout à fait les mêmes cris que celles de l'Atlantique, la trentaine de cris qu'elles utilisent ne constituent pas des « langues » différentes. Or les êtres humains parlent, sur la surface du globe, un grand nombre de langues différentes, et cela les distingue autant des animaux que le seul fait de parler.
Au cours de l'histoire du monde parlant, les langues n'ont cessé d'évoluer, et les groupes n'ont cessé de changer de langue : ce point est d'une extrême importance, comme nous le verrons plus loin.
La ville, et en particulier la capitale, est une grande dévoreuse de langues, elle attire des ruraux ou des provinciaux qui viennent à la fois tenter d'y gagner leur vie et y perdre en quelques générations leur langue.
La dissociation des deux systèmes ne peut être que théorique ou expérimentale : elle ne correspond à aucune situation réelle ; car il est très rare que devant une parole intimidante (qui est toujours une parole connotée), on ait le pouvoir de séparer in petto le message dénoté (le contenu du discours) du message connoté (l'intimidation).
"La Méditerranée, mer de nos langues" : entretien avec Louis-Jean Calvet .