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Critique de Alzie


Les textes réunis ici sont très divers et leur lecture est source de grand plaisir tant la pensée de l'auteur est riche et prolifique. Animés par son esprit encyclopédique ils entraînent dans le sillage de sa curiosité et de surprises en découvertes. Ecriture généreuse profonde et légère d'Italo Calvino (1923-1985) qui offre en un seul livre la possibilité d'une multitude de lectures dont chacune constitue une expérience en soi. Une rencontre fortuite, heureuse, bref lumineuse. le recueil regroupe un ensemble de textes écrits à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingts, publiés pour la plupart à cette époque en Italie, dans La Republica et le Corriere della Sera.

« Collection de sable », introduction à la première partie et qui donne son titre au livre, donne la tonalité d'ensemble du volume. Visitant une exposition parisienne consacrée à des collections bizarres (sonnailles à vache, billets de train, grenouilles naturalisées, insignes de la collaboration sous l'Occupation etc.), Italo Calvino se prend à imaginer à partir des fioles remplies de sables du monde entier d'une vitrine qui l'a fasciné quels morceaux de sa mémoire aurait bien pu y enfermer une collectionneuse inconnue...

Le livre est construit selon le principe d'une série de variations où le motif de la collection, comprise comme trace de toute forme de connaissance plus ou moins organisée, est récurrent ; ce motif permet d'appréhender à travers les disciplines les plus diverses - peinture, sculpture, archéologie, histoire, linguistique, philosophie, littérature, épigraphie, mathématiques ou optique - l'éphémère et le durable, le visible et l'invisible, l'image et la représentation, la parole et l'écriture ; A la manière de l'archéologue, l'écrivain s'attache à faire parler des fragments de connaissance et tente de les assembler. Ces assemblages suscitant toujours plus de visions, la lecture prend vite un tour labyrinthique plutôt jouissif.

Des pérégrinations muséales sont prétexte à d'érudites explorations de la pensée, mais conduites comme le ferait un conteur. Sorte de méditation poétique où l'étrange a aussi sa place. le côté savant de l'exercice peut aussi bien céder le pas à une rêverie voyageuse communicative et parfois drolatique. Se jouant de l'espace et du temps, Italo Calvino embarque le lecteur, de collections de tableaux, de gravures et d'objets de musées, en périples cartographiques et en planisphères, pour le transbahuter des côtes d'Espagne à celles du Nouveau Monde, puis le faire revenir en Basse Mésopotamie, berceau antique de l'écriture cunéiforme, et aux origines d'un alphabet miraculeux formé d'une collection de vingt-deux signes. Allers-retours vertigineux où l'on apprend à composer avec une nouvelle vision du monde, à repenser la géographie intérieure de ses propres itinéraires ou paysages, à reconsidérer le langage et la communication en examinant, pourquoi pas, des noeuds (« Dites-le avec des noeuds ») ou à redécouvrir l'écriture par les images et vice-versa.

C'est dans la deuxième partie, "le Rayon du Regard", me semble-t-il, que les notions d'éphémère et de durable sont approchées de la manière la plus sensible, à travers l'évocation des sculptures de l'artiste romain Fausto Melotti (1901-1986) au Belvédère de Florence, mais aussi à travers les pages très émouvantes consacrées à sa lecture de "La Chambre claire. Note sur la photographie" quelques semaines avant la mort de Roland Barthes ; ou encore grâce à la réflexion archéologique magnifique suscitée par les fouilles d'une immense propriété romaine des environs d'Ortebello (« le cochon et l'archéologue »), ainsi que par la narration érudite de l'épopée sculptée de la colonne Trajane à Rome. Et toujours Italo Calvino nous fait la grâce de nous parler de ses innombrables lectures. "La lumière dans les yeux" donne une idée des parcours exploratoires livresques auxquels peut s'adonner et s'absorber l'écrivain.

Les deux essais sur la ville - "la ville écrite : épigraphes et graffitis" et "la ville pensée" - livrent une réflexion, étourdissante par le raccourci, sur l'évolution de l'espace urbain européen depuis l'Antiquité et la place de l'inscription écrite dans la sphère publique, appuyée sur un commentaire éclairé de l'essai d'Armando Petrucci "L'écriture entre idéologie et représentation". "La rédemption des objets", évocation de l'anthologie personnelle de Mario Praz, ébauche une logique du collectionnisme : le rapport homme/objet, la possession, sont analysés sous un angle passionnant.

Philosophe et conteur Italo Calvino révèle dans cet essai son goût irrépressible pour les fables et les aventures excentriques. Des automates, construits à Neuchâtel au XVIIIe siècle, évoquent avant l'heure par leur aspect troublant, des androïdes de science-fiction ; la poésie des lieux imaginaires s'impose à propos du Dictionnaire des lieux imaginaires d'Alberto Manguel ; "La géographie des fées" est l'occasion de nous parler d'un savant angliciste italien, Mario Manlio Rossi, ou de Jules Verne ; les monstruosités du docteur Spitzner et les merveilles des faits divers, réjouiront les adeptes de sensations morbides ou d'extravagances. Mais des pages encore plus extraordinaires sont réservées à deux créateurs de mondes imaginaires : un inventeur de timbres poste imaginaires, Donald Evans (1945-1977), et Luigi Serafini, inventeur du Codex Seraphinianus (éd. Franco Maria Ricci), un univers unique doté d'une langue imaginaire, non encore déchiffrée à ce jour.

Mais ceci n'est qu'une première lecture.






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