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Critique de ATOS


ATOS
23 décembre 2014
Isadora, Dorothée Anastasie, Despina, Bersabée, Andria.... elles sont innombrables les villes que Marco Polo décrit au grand Khan.
Un espace qui se construit à travers ce qui nous échappe. C'est à dire le temps. La ville cristallise mémoire et désir.
Allez là bas. Se voir là-bas. Ailleurs. S'y rêver bien plus que d'y être véritablement.
Imaginer. Nous constituons nos villes en livre d'images. Aucune ville n'est semblable et pourtant toutes ressemblent à celles que nous reconnaissons. Un plan universel peut être que chacun développe en soi.
Soi dans le temps d'un espace.
Soi dans un autre ville, plus loin, là où réside tous les possibles que nous aurions pu connaître, et une multitude de nos possibles futurs que d'autres vivent au présent.
Les villes anticipent le devenir des hommes.
Le pont fait traverser le fleuve. L'homme traversera. le pont est là. Ce pont a son histoire. A l'homme d'empreinter le pont et de poursuivre l'histoire.
C'est ainsi que les hommes entrent dans les villes en projetant leur désir et en se soumettant parfois au désir de la ville.
La ville est une sirène qui fait perdre la mémoire à celui qui la façonne afin qu'elle puisse conserver son âme. Architecture mnémonique.
Prend garde conquérant ! La ville peut te transformer en esclave.
La ville tient registre d'elle même. Par les signes qu'elle porte en elle elle offre un nouveau langage à l'homme. Signe de pouvoir, de servitude, de magnificence, de plaisir , de rêve.
Tout fait signe dans la ville. Celui qui a reçu la lecture des signes d'une ville , où qu'il se trouve tentera de retrouver ces signes n'importe où. C'est le langage de la ville qu'il l'occupe à présent, qu'il a à l'esprit. Il ne sait plus voir dans un vol d'oiseau l'arrivée d'un orage mais à présent il reconnaîtra le visage d'un dieu dans l'écorce d'un arbre...
La ville pourrait elle parasiter nos pensées ? Pourrait elle faire naître devant nous quelque mirage ? Ainsi une ville se trouvant au bord de l'océan est pour le marin la porte du désert et pour le chamelier la porte de l'océan....
Et si les mirages n'étaient que l'écho d'un futur ? Puisque le passé n'est que l'embryon d'un devenir.
Les villes prennent le visage les désirs que l'on porte, les subliment, les anéantissent parfois. Troublante métamorphose. Mais non éternelle, car la ville a une âme mais conserve et retient provisoirement une mémoire. Tant il est vrai que la ville d'hier n'a absolument rien de commun avec l'actuelle. La ville change, grandit, croit, se transforme, elle perd l'âme que l'on croyait savoir.
On la garde en mémoire. Et puis une autre à la même place surgit. le même nom.peut être. Plus les mêmes habitants, plus la même ville, en autre devenu soi. Étrange histoire.
Puisque la ville est faite de mains, de savoir, de mémoire humaines. Est elle pour cela à notre image?
Innombrables villes, innombrables questions, innombrables possibles.
Ville repère, ville frontière. Elle marque la ligne où l'homme peut s'affranchir.
Il n'y a peut être pour finir effectivement que deux plans possibles. Celui de la ville qui forme notre désir et celui de celle que notre désir construit.
Ville piège, ville souricière. « Il n'est pas de langage sans pièges ».
Toutes les villes ont leur langage, et elle ont toutes leurs pièges.
Et ce qui les différencie pour finir ne serait ce pas uniquement par ce quoi elles s'associent ?
«  le mensonge n'est pas dans le discours, mais dans le choses ».
La ville ne ment pas et la décrire telle qu'on la voit suppose qu'on la sache telle qu'elle est.
Toute chose suppose son contraire.
Ainsi la blancheur des paons dans un parc nous explosent elle au yeux par la présence de la suie qui recouvre les murs.
Ville contraste, où le silence n'est que le réceptacle des mots.
Ville théâtre. Les rôles sans cesse redistribués. Laissant croire à l'éternité de l'intrigue. Même scène, même personnages. L'illusion d'un spectacle, où l'on ne s'aperçoit pas que les dialogues changent au fur et à mesure de la distribution des rôles. La ville avance d'elle même. On pense posséder une ville, on pense l'apprivoiser. Et puis elle vous devient étrangère. Les mots eux mêmes nous sont devenus étrangers.
Pourtant la même ville, les mêmes rôles, la même intrigue, et l'histoire avance.
Persistance rétinienne de la ville imaginée, persistance de sa mémoire. Nous fouillons les décombres d'un monde qui se recompose continuellement. C'est la seule condition pour que les villes survivent, elle se nourrissent en se développent sur les restes de nos mémoires.
La pierre d'une cheminée seigneuriale figée dans le mur d'une étable. La porte d'une étable servant de table dans un palais, un palais qui devient un musée, un musée qui garde l'alphabet des pavés, et des pavés de glace qui mènent vers des châteaux oubliés.
Ville souterraine, ville pont, ville céleste, ville canopée.
L'éternité des villes repose sur leur inconstance.
La possibilité d'une ville repose sur la probabilité du langage.
La ville n'est qu'un peut être, un modèle qui se tient en équilibre entre l'exceptionnel et la vraisemblance.
Fragilité d'une position qu'elle ne devrait jamais oublier.
« Il n'y a rien d'inhumain dans une ville sinon notre propre humanité. » écrit Georges Perec.
«  Ce qui commande au récit, ce n'est pas la voix : c'est l'oreille. » nous rappelle Italo Calvino.
«  Et par ta voix, j'écoute les raisons invisibles pour lesquelles vivaient les villes, et pour lesquelles, peut être bien, après leur mort, elles vivront de nouveau ».
Merveilleux récits, fabuleuses visions, une incroyable lucidité qui éclaire le spectre de notre imagination.
Il faut peut être écouter l'invisible pour percevoir une réalité.

À découvrir :
http://vimeo.com/111443875
http://vimeo.com/84457863 Urbanité/s de Jacques Levy

Astrid Shriqui Garain

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