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Critique de Kirzy


Dès les premières lignes d'un incipit fulminant, j'ai senti la puissance de ce roman, fresque sociale, familiale et historique dont le souffle romanesque m'a irrésistiblement emportée vers la région italienne des Marches et plus précisément le village de Serra de' Conti, sans jamais retomber.

Comme dans un conte, on suit la famille des Ceresa, misérable et surtout marquée par des secrets et une malédiction. « On racontait que les corbeaux mangeaient à leur table » tant les enfants meurent les uns après les autres, progéniture malheureuse d'un père boulanger violent et d'une mère perdant la vue, à moitié folle de dévoterie. le pivot central du roman est le duo formé par deux enfants survivants, Lupo et Nicola, deux frères polaires aussi opposés et complémentaires que le yin et le yang ou que le nadir et le zénith, liés de façon viscérale bien au-delà des liens du sang.

Un des grands bonheurs de ce roman, c'est son écriture. La prose de Giulia Caminito oscille entre poésie, lyrisme et néoréalisme, dans un style presque ancien sans pour autant paraître apprêté et artificiel. Au contraire, les dialogues étincellent d'une vivacité à la spontanéité presque contemporaine. L'auteure excellent aussi bien à inscrire son roman dans le fleuve des événements ( luttes paysannes contre les grands propriétaires terriens, montée de l'anarchisme, semaine rouge d'Ancône, Grande guerre, grippe espagnole ) qu'à l'habiter de personnages inoubliables tout en rendant hommage à la beauté austère de la nature des Marches.

Tous les personnages, même les plus secondaires existent, tous ont leur voix, même ceux qui ne traversent que quelques pages. Denses et magnifiquement caractérisés, ils nous prennent par la main pour ne plus nous quitter. Lupo, le frère rebelle animé par la flamme de la révolte ; Clara, la charismatique soeur noire du monastère de Serra de' Conti ( personnage inspiré de la Moretta, moniale clarisse d'origine soudanaise au parcours atypique, enlevée enfant, vendue comme esclave pour se finir abbesse mélomane ) ; et Nicola, sans doute le plus beau personnage car celui qui se métamorphose, lui qui était ainsi présentait : « On l'appelait l'enfant mie de pain parce qu'il était le fils du boulanger et qu'il était faible, il n'avait pas de croûte, laissé à l'air libre il moisirait, bon ni pour la soupe ou le pancotto, ni pour nourrir les poules ».

Le roman est traversé par la thématique de la foi et des actes de foi, qu'il s'agisse de la piété religieuse, de l'engagement anarchique ou du dévouement à la famille. Il faut croire en quelque chose pour survivre aux assauts de l'extérieur et de l'Histoire. Les personnages principaux sont tous des résistants dont l'unique but tend à trouver sa manière d'être au monde, jusqu'à se dépasser en cassant la fatalité de ce qui semblait cristalliser leur identité initiale. Pour les y guider, Giulia Caminito a construit un roman spiralaire, maniant allégrement ellipses, prémonitions et analepses, laissant son roman suivre une voie libre, jetant des indices, éclairant des détails qui prennent tout leur sens au fil des chapitres, offrant des surprises au lecteur ou l'irruption de personnages importants en cours d'histoire.

Ce roman éblouissant m'est allé droit au coeur ! J'ai tout aimé, sans aucune réserve. Cette première échappée des éditions Gallmeister hors d'Amérique du Nord révèle une nouvelle fois la qualité de la ligne éditoriale de cette maison .
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