Deux mondes – et moi je viens de l'autre.
Derrière et dans
les rues trempées
derrière et dans
brume et lacération
au delà de chaos et raison
portes minuscules et rudes tentes de cuir,
monde caché au monde, imprégnant le monde,
inénarrablement ignoré du monde,
par le souffle divin
un instant suscité,
par le souffle divin
aussitôt effacé,
il attend la Lumière voilée, le Soleil enseveli,
la prodigieuse Fleur.
Deux mondes – et moi je viens de l'autre.
Le Tigre Absence
pro patre e matre
Hélas le Tigre,
Le Tigre Absence,
ô mes aimés,
a tout dévoré
de ce visage retourné
vers vous ! Seule la bouche
pure
encore
vous prie : de prier encore
pour que le Tigre,
le Tigre Absence,
ô mes aimés,
ne dévore la bouche
et la prière…
-
La Tigre Assenza
pro patre e matre
Ahi che la Tigre
la Tigre Assenza,
o amati,
ha tutto divorato
di questo volto rivolto
a voi ! La bocca sola
pura
prega ancora
voi : di pregare ancora
perché la Tigre,
la Tigre Assenza,
o amati,
non divori la bocca
e la preghiera…
Traduit de l’italien par Monique Baccelli
pp. 56-57
Le Terrible, connaissant l'esprit
flexible comme le saule au vent de l'idolâtrie,
ayant transfusé dans la divine icône
son indicible regard sur les hommes,
voulu un jour subtilement éprouver
son ancien œil de chair
transfusant un éclair du suprême Masque
en un visage de chair:
centre caché dans le cercle, essence dans la présence,
rivage insaisissablement découvert et recouvert
de la Ressemblance, horizon fixe de l'image,
au carrefour du temps et de l'éternel,
là où la Beauté
la Beauté à double lame, la délicate
la meurtrière, est posée
entre l'altière douleur et la sainte humiliation,
l'éblouissement salvateur et
la brûlure,
Pour la vivante, efficace séparation
de l'esprit et de l'âme, de la moelle et la jointure
de la passion et la parole...
Diario bizantino
I
Due mondi - e io vengo dall'altro.
Dietro e dentro
le strade inzuppate
dietro e dentro
nebbia e lacerazione
oltre caos e ragione
porte minuscole e dure tende di cuoio,
mondo celato al mondo, compenetrato nel mondo,
inenarrabilmente ignoto al mondo.
dal soffio divino
un attimo suscitato,
dal soffio divino
subito cancellato,
attende il Lume coperto, il sepolto Sole,
il portentoso Fiore.
Due mondi - e io vengo dall'altro.
La soglia, qui, non è tra mondo e mondo
né tra anima e corpo,
è il taglio vivente ed efficace
più affilato della duplice lama
che affonda
sino alla separazione
dell'anima veemente dallo spirito delicato
- finché il nocciolo ben spiccato ruoti dentro la polpa -
e delle giunture degli ossi
e dei tendini delle midolla;
la lama che discerne del cuore
le tremende intenzioni
le rapinose esitazioni.
Due mondi - e io vengo dall'altro.
O chiave che apri e non chiudi,
chiudi e non apri e conduci
teneramente il vinto fuor della casa del carcere
e fuor dell'ombra della morte
e il senzatetto negli atri luminosi
dei mille occhi impassibili
di chi ha compiutamente patito
e delle mani contro la notte levate
nel santo ideogramma della benedizione -
disegnati
ridisegnati
secondo gli otto toni che separano gli otto cieli
con l'erotico incenso e il ferale myron,
al centro del petto, al centro del Sole, là dove il Nome
- myron effuso è il Tuo Nome -
rapisce in vortice immoto alla vita del mondo,
zampilla nuovi sensi dal mondo della morte.
SINDBAD
L’air de jour en jour s’épaissit autour de toi,
de jour en jour consume mes paupières.
L’univers s’est couvert le visage,
des ombres me disent : C’est l’hiver.
Toi dans le vierge espace où se bercent
de nonchalantes îles, moi dans la terreur
des lilas, dans une flambée de tourterelles
sur la douce, familière route de la folie.
S’entassent chanvre, olives,
marchés et années. Je ne baisse pas les yeux.
Minuit viendra, le premier cri
du silence, la très longue retombée
du faisan entre ses ailes.
« Cristina Campo, pseudonyme de Vittoria Guerrini (1923-1977), déclarait elle-même qu'elle avait peu écrit mais qu'elle eût aimé avoir encore moins écrit. Prise entre la fascination du silence et celle de l'expression […], elle ne pouvait proférer que des paroles exactes et rares. […] Ses réticences, autant que la brièveté de sa vie, expliquent et justifient l'économie de l'oeuvre : quelques poèmes dispersés dans des revues, deux petits textes en prose publiés de son vivant, puis une oeuvre posthume au titre énigmatique, Les impardonnables, qui rassemble des articles écrits entre 1962 et 1972. le tout tient dans un volume de taille moyenne, mais un volume qui peut se permettre d'être unique.
À son propos la critique italienne a parlé de «fleur indéfinissable et inclassable». […]
[…] En lisant les étranges poèmes de Cristina Campo, très peu nombreux, si denses, tellement clos sur eux-mêmes qu'on les pénètre par autre chose que par la raison, on comprendra que leur auteur définisse la pure poésie, « grand sphinx au visage illuminé», comme hiéroglyphe et beauté, inséparables et indépendants. […] le lecteur se trouve en face de germes de réponses, proposées, jamais imposées, à la vaste question que pose le Livre unique de Cristina Campo : « Comment prendre le monde? »
Jeune femme au corps fragile (malformation cardiaque), moitié-sainte moitié-poète, elle tente avec toute la force de son esprit d'introduire dans le concert assourdissant de notre monde le son de la flûte, sa propre voix […]. » (Monique Baccelli)
« Un poète qui prêterait à toute chose visible ou invisible une égale attention, pareil à l'entomologiste qui s'ingénie à formuler avec précision le bleu inexprimable d'une aile de libellule, ce poète-là serait le poète absolu. » (Cristina Campo, Les impardonnables)
0:00 - 1er poème
0:49 - 2e poème
1:49 - 3e poème
2:11 - Sindbad
3:01 - Été indien
3:52 - le Tigre Absence
4:22 - Générique
Référence bibliographique :
Cristina Campo, le tigre absence, Éditions Arfuyen, 1996
Image d'illustration :
http://outsidersweb.it/2018/03/14/un-reading-elena-stancanelli-ricordare-cristina-campo/cristina-campo-4/
Bande sonore originale : Dream Machine - Digression
Digression by Dream Machine is licensed under a CC-By license.
Site :
https://icones8.fr/music/search/digression
#CristinaCampo #LeTigreAbsence #PoésieItalienne
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