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Critique de LaSalamandreNumerique


- de 37 à 41 règne Caius Augustus Germanicus appelé aussi Caligula. Ce surnom ironique, signifiant « petite sandale » puisqu'enfant et chaussé de petites bottines il suivait ses parents dans les camps militaires, a une saveur singulière par rapport à notre sujet.
- Entre 119 et 122 Suétone écrit « Vie des 12 Césars », incluant Caligula. Camus, né en 1913 (et mort de façon absurde en 1960), lit Suétone durant sa scolarité.
- En 1934 il rencontre Simone Hié, femme vive et belle mais dépendante à l'héroïne comme à la morphine. Il la séduit entre autre en lui procurant ces drogues et l'épouse en 1934. En 1936 il divorce, après qu'elle lui ait été infidèle avec son médecin, nouveau pourvoyeur de ces substances. Il gardera entre autre de ce premier mariage deux chats : Cali et Gula.
- le premier manuscrit de Caligula date de 1939 et sa première publication de 1944.

Comment ne pas être marqué par ces faits et ces dates en lisant Caligula de Camus ? Comment ne pas faire de liens avec la philosophie de l'absurde, avec le vécu de l'auteur comme avec le contexte mondial ? Je laisse de plus érudits que moi analyser en détail ces différents éléments, me bornant à les soumettre à votre curiosité.
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Un point me semble toutefois certain. Pour méditer sur les limites de la sexualité et du savoir autant questionner un être qui a pu tester puis dire que « la chair est triste, hélas, et j'ai lu tous les livres ». de la même façon qui mieux qu'un empereur romain pouvant faire « tout ce qu'il veut » pour se demander les limites de la volonté, du pouvoir et réfléchir à l'absurdité de l'existence ? La rencontre de Caligula et de Camus a l'évidence d'une tragédie classique.
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Soyons clairs, qui veut voir dans le Caligula de Camus l'histoire d'un « fou » (catégorie par ailleurs dépourvue de toute pertinence) n'a absolument rien compris. Qui recherche dans cet ouvrage une dénonciation des excès du pouvoir est tout aussi éloigné de l'oeuvre. Caligula est un condensé de la philosophie de l'absurde, ce sentiment qui «naît de cette confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde. »
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Caligula subit la mort de Drusilla, son amante et sa soeur. À partir de ce point, présenté comme presque anecdotique, il découvre son besoin d'absolu. Il veut la lune et ne l'a pas. Il constate aussi que « les hommes meurent et ne sont pas heureux ». Son refus des accommodements de chacun face à ce drame comme sa quête de vérité l'amènent à user de son pouvoir sans limites pour, avec passion, tenter de « rendre possible ce qui ne l'est pas ». Nous l'observons donc durant toute la pièce dans un combat à la fois lucide, logique, désespéré et effroyable destiné à trouver un sens à l'absurdité de vivre.
Autour de Caligula Camus nous présente, via ses personnages, différentes réponses possibles :
- Les patriciens sont largement des illustrations de diverses lâchetés humaines, du faux bon sens, de la compromission, de la trahison, de la veulerie ; de l'hypocrisie, de l'inconséquence, des petits calculs mesquins… Ces hommes sont fréquemment navrants et pathétiques…mais comment, en même temps et sauf à être aveugles, ne pas, parfois, nous reconnaître en eux ?
- Cæsonia, la vieille maitresse offre une représentation d'un amour fidèle et s'abandonne à la volonté de Caligula.
- Hélicon, ancien esclave représente la loyauté absolue comme un engagement sans failles.
- Cherea est l'intellectuel et l'homme de lettres. Il est droit, honorable, raisonnable.
- Scipion est un jeune idéaliste pur, sincère, sensible.


Chacun d'entre eux, comme d'autres, se retrouve entrainé dans la tornade d'une vie devenue sans repères, où à chaque instant, absolument tout peut advenir. Ils se positionnent comme ils le peuvent, en fonction de ce qu'ils sont comme de ce qu'ils haïssent, de ce(ux) qu'ils aiment, de ce qui fait sens dans leurs vies…. Comment ne pas penser à la guerre mais aussi à la maladie (Camus fait dire à Caligula qu'il « remplace la peste », allusion transparente au roman qui sera publié en 1947 mais aussi à une autre peste,brune, frappant l'Europe). Comment, surtout, ne pas penser au positionnement de chacun d'entre nous devant l'absurde de l'existence et la certitude de la mort ?
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Pour Camus, Caligula est l'histoire d'un homme qui apporte une mauvaise réponse à la question qu'il pose à la première phrase du mythe de Sisyphe : «Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie ». Caligula devient donc pour lui le récit d'un « suicide supérieur ». Une autre réponse, moins sombre, nous sera offerte dans « La peste ». Sans vouloir dévoiler quoi que ce soit la différence de fond tient à l'usage que nous pouvons faire de notre liberté en présence des autres hommes.
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Ce qui précède peut laisser craindre un rebutant exercice de « philosophie dialoguée », rejoignant l'esprit des romans à thèses que Camus lui-même critiquait. Ce serait une totale méprise tant l'écriture est lumineuse, vive, acérée. Certaines phrases de ce petit ouvrage sont comme les flèches d'un Cupidon qui aurait remplacé l'amour par la lucidité, la sensibilité et la connaissance. Au-delà, Cherea, Hélicon, Cæsonia et Caligula m'accompagnent, fidèlement, depuis ma jeunesse et ils sont une part de l'être humain que j'espère être devenu.
Je ne peux trop vous encourager à lire cette pièce, petite par la taille mais grande par son humanité (mes amitiés à Dustin Hoffman en passant).

Je voudrais finir en citant la dernière phrase de ce livre, énoncée par Caligula et qui, naturellement, a une portée dépassant largement cette pièce : « Je suis encore vivant ! ».

Oui, il l'est.
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