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Critique de berni_29


Maintenant je peux me laisser choir dans la joie de l'été, sans autre forme que l'insouciance. La mort pourra bien venir après, malgré l'urgence de nos vies précaires. Il n'est pas facile d'entrer dans la Correspondance de deux êtres qui brûlent d'amour l'un pour l'autre. Parfois, nous hésitons à entrer dans la lumière des autres, ceux qui s'aiment. Je ne suis pas sûr de savoir bien dire les choses ici, je vais sans doute tâtonner un peu avec mes mots. Voilà, la Correspondance entre Albert Camus et Maria Casarès m'a donné tout d'abord l'impression d'entrer par effraction dans un rêve réveillé et brutal. Ces lettres incandescentes sont un acte d'amour de près de quinze années. Elles sont tout simplement belles et je me sens presque ridicule en vous le disant.
En lecteur indiscipliné, je n'ai pas pu m'empêcher d'aller à la dernière page. Mais je ne regrette pas. Je ne suis sans doute pas le seul. Nous savons qu'Albert Camus a trouvé tragiquement la mort dans un accident de voiture le 04 janvier 1960. Et la dernière lettre qu'il livre à Maria Casarès date du 30 décembre 1959. Pouvons-nous simplement retenir ce qu'il écrit : « Je t'envoie déjà une cargaison de tendres voeux, et que la vie rejaillisse en toi pendant toute l'année, te donnant le cher visage que j'aime depuis tant d'années (mais je l'aime soucieux aussi, et de toutes les manières). Je plie ton imperméable dans l'enveloppe et j'y joins tous les soleils du coeur » ?
Je me souviens de ce film « Les choses de la vie », avec Romy Schneider et Michel Piccoli. La première scène du film démarre par l'accident qui provoque la mort du personnage incarné par Michel Piccoli. Puis il s'agit d'un long flash-back pour revenir à la source de l'histoire. Voilà, c'est ce que j'ai ressenti en lisant la dernière page de cette Correspondance, puis en revenant aussitôt à la première page et en dépliant les pages suivantes. le reste est une histoire d'amour désormais livrée à nous-mêmes.
Une fois que je vous aurai dit que j'ai trouvé cette Correspondance passionnée, que dire d'autre ? Ce sont des lettres enflammées. Elles sont au nombre de 865. D'ailleurs, qu'importe le nombre...
Ils se portent l'un dans le souffle et la lumière de l'autre. La lumière est là. Elle est belle. C'est un soleil qui efface le doute et la mélancolie, le renoncement et les défaites possibles.
C'est une correspondance riche et croisée. Albert et Maria se parlent à distance dans leurs lettres, parlent un peu de tout, l'essentiel, l'insignifiant... Se questionnent, parlent encore, n'en finissent pas de parler, de leur vie, de leurs métiers... Ces lettres disent la joie d'aimer mais aussi les trop longues séparations, les jours sans l'autre, l'attente, la folle impatience des corps et des coeurs. Il suffit de balayer les pages pour entendre l'écho de leur voix.
Nous savons qu'Albert Camus a couru toute sa vie après le bonheur absolu. Nous le savons encore plus, après cette lecture.
Entre les pages, c'est parfois aussi lire entre les lignes. Dans la chronologie de ces lettres, il y a des trous, des absences de missives. Cela souvent veut dire que ces amants étaient ensemble à ce moment-là et donc, point besoin de s'écrire. Au fond, cela voudrait-il dire que ces lettres forment l'envers du décor de leur vie ?
L'écriture d'Albert Camus ne m'a pas surpris : solaire, exigeante, humaine. Nous découvrons aussi un homme à la santé fragile, parfois en proie au doute. L'écriture de Maria Casarès m'a étonné : flamboyante, sensuelle, excessive, ne cédant rien dans une forme d'intransigeance parfois cruelle. Elle voue à Albert Camus une fureur amoureuse, presque animale. Et il le lui rend bien.
Souvent, ils leur arrivent d'écrire sur la mort. Ils disent la peur de mourir. Étonnante et magnifique, cette phrase écrite presque criée par Maria Casarès dans une lettre datée du 15 septembre 1949, c'est-à-dire dix ans avant la mort d'Albert Camus : « La seule chose qui me sépare de toi maintenant et qui me pousse à la folie par instants, c'est l'idée qu'un jour la mort vienne nous obliger à vivre l'un sans l'autre. Lorsque cette pensée s'empare de moi avec assez d'acuité pour me faire vivre, par exemple, un matin, avec l'idée que tu n'es plus là et que tu ne seras plus jamais là, toutes mes facultés se brouillent dans un chaos total, je me sens une terrible envie de vomir, et des sons de folie se font entendre partout en moi ». La « faucheuse » viendra, nous le savons, pour l'un des deux de manière prématurée, à cause d'un platane, à cause d'une voiture qui sortit d'un virage, à cause d'un destin idiot qui voulut qu'Albert Camus ayant cependant un billet de train pour revenir du sud de la France pour Paris, accepta l'invitation de Michel Gallimard pour faire le trajet à bord de sa voiture...
Nous savons que la mort viendra et nous déroulons les pages avec des gestes encore insouciants : 1950, 1951, 1952, 1953... Pour l'instant, nous nous contentons de croiser la mort des autres : André Gide, Louis Jouvet, Marcel Herrand... Plus tard viendra celle de Gérard Philippe, leur grand ami, l'année même où s'achève cette correspondance.
Comme un voyage entre les mots, comme un train qui passe dans le paysage, nous visitons les villes qui ont hébergé leurs lettres, sinon leurs amours : Paris forcément, Ermenonville, Angers, Cannes, Cabris, Camaret-sur-Mer, Tipasa, Alger, Oran, Avignon, Moscou, Buenos Aires, Lourmarin enfin...
Le temps file, les pages s'égrènent comme des billes qui tombent d'un sac, elles sont brûlantes, le vent s'engouffre dans les doigts ou bien c'est peut-être le temps qui s'accélère. Décembre 1959, nous voudrions retenir leurs mots encore un peu, avant qu'ils ne s'éparpillent entre la terre et le ciel.
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