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Critique de Fleitour


Est-ce le timbre de la voix d'Isabelle Adjani qui me bouleverse ou les mots qu'elle prononce ? Dans la lettre du 30 juin 1949, adressée par Maria Casarès à Albert Camus, le lecteur devient le témoin de la plus poignante intimité des amants, la plus saisissante des confidences amoureuses, celle portée par la voix d'Isabelle Adjani semble avoir été écrite hier.


Prenant à témoin la mer, si forte, si riche, si immense, elle prononce ces mots à celui qui lui a écrit des lettres si déchirantes, si débordantes de fièvre et d'angoisse : "mon Amour, tu entendras crier mon amour comme jamais je ne l'ai crié devant toi, ne te tourmente plus, et tu verras mon beau visage que tu aimes tant, quand je suis sûr de ton amour je n'envie pas la mer d'être si belle."


Mais toi prêt de moi, toi, et ton amour, toute ma vie est remplie, et justifiée.


La voix d'Albert camus, dont je ressens le phrasé si ample, si détaché parfois tant la qualité de l'écriture dense et serrée tremble avec une émotion toujours contenue, et donne une mélodie mélancolique à la beauté de son style imagé. Les nombreux textes qu'il a lus ont imprégné notre mémoire, et là dans cette voix de Lambert Wilson, c'est Camus vivant qui nous parle.


Pourtant elle sait qu'elle pourrait perdre Albert Camus. Elle pressent qu'un accident peut arriver. La seule chose qui me sépare de toi maintenant et qui me pousse à la folie par instants, c'est l'idée qu'un jour la mort vienne nous obliger à vivre l'un sans l'autre. "Lorsque cette pensée s'empare de moi avec cette acuité ... Avec l'idée que tu n'es plus là et que tu ne seras plus jamais là, toutes mes facultés se brouillent dans un chaos total."


Quand le rideau tombe fin décembre 1959, ce sont nos pleurs qui chiffonnent le papier. L'inacceptable est arrivé au plus grand écrivain du
XX ème siècle. Tout se dit et s'écrit sous sa plume avec une intelligence subtile, aimante, prenant toute la vie à bras le corps, les fulgurances de l'amour comme les ténèbres de son siècle, de sa ville, Alger, de son pays.


Je me souviens de Maria Casarès dans la somptueuse pièce de Bertold Brecht, Mère Courage, je me revois en 1968 ou en 1969, écouter cette voix féroce, cassée, si forte qu'elle emportait tout comme un ouragan. Est-ce le deuil qui a fait d'elle la très grande tragédienne, comme portée par une blessure si démesurée.


Ils se découvrent dans ces correspondances intemporelles, le choix des lettres lues dans ce livre audio accentue cette impression de bonheur inaltérable. Ils touchent presque le ciel, ils sont lumineux, ils dialoguent, se conjuguent, et de leur rencontre émerge des écrits d'une beauté et d'une profondeur inouïe.


Dans cette correspondance Albert Camus laisse toutes ses fibres confier ses plus belles émotions d'homme, puiser dans ses vagabondages, dans le désert, dans une autre lumière, celle des amants, et confier au ciel des vœux fixés à des étoiles filantes. "Qu'ils retombent en pluie sur ton beau visage, là-bas, si seulement tu lèves les yeux vers le ciel, cette nuit. Qu'ils te disent le feu, le froid, les flèches, l'amour, pour que tu restes toute droite, immobile, figée jusqu'à mon retour, endormie toute entière, sauf au cœur, et je te réveillerai une fois de plus...Écrit Camus le 31.07.1948 "


Mais, l'absence de Maria Casarès, irradie son corps tout entier, un corps privée de sa source, de cette eau qui lave et apaise, car dit-il, j'étouffe, la bouche ouverte, comme un poisson hors de l'eau. J'attends que vienne la vague, l'odeur de nuit et de sel de tes cheveux. AC à MC 24 août 1948


le chassé croisé des lettres s'harmonise pour fluidifier cet intense dialogue à distance, entre Maria Casarès à Albert Camus, les échanges se font plus sensuels et plus poétique le jeudi 30 décembre 1948.

Elle lance," Ah viens vite et tout au creux de tes grandes jambes, lors , tout se fera tout seul... Et je t'emmènerais au milieu du vent, de la pluie battante, des rosaces, des vagues, dans l'odeur du varech, et je te ferais comprendre, "sale lacustre brûlé de soleil", " je t'aime de ce mouvement infini, tout mouillé, salé, où l'on ne peut vivre qu'au passé tellement l'instant est fugitif, et inaccessible".

"Que tu m'aides un peu, très peu, et cela suffira pour que j'ai de quoi soulever les montagnes répond encore Camus à Maria Casarès."


Maria Casarès y répond avec cette beauté singulière que donne au cœur l'intelligence de l'âme.
"La mer devant moi est lisse et belle, comme ton visage parfois quand mon cœur est en repos".
"Mais l'amour que j'ai de toi est plein de cris. Il est ma vie et hors de lui, je ne suis qu'une âme morte."


Ainsi cette sélection de lettres qui esquivent le travail d' Albert Camus et de Maria Casarès, est un pur bonheur d'écoute pour moi qui fut si friand de théâtre, et qui souhaite avec ardeur, que la poésie trouve par la musique et les voix un nouveau chemin vers le coeur des passionnés de beaux textes ?

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