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Critique de kielosa


L'année dernière, j'ai fait un pèlerinage à Lourmarin, pour me recueillir sur la tombe du grand Nobel français Albert Camus et cela en l'excellente compagnie d'oran, Michèle (d'Avignon) pour ses nombreux ami(e)s sur Babelio, la grande experte de ce phénomène littéraire rare.

Le résultat de cette visite a été, bien entendu, que je suis rentré plein de livres de et sur Camus. Deux d'entre eux ont fait l'objet d'une critique de ma part : de l'auteur "Réflexions sur le terrorisme" (le 31 mai 2018) et un sur l'auteur "Camus ou les promesses de la vie" de Daniel Rondeau (tout de suite à mon retour, le 21 juin 2017).

"L'Envers et l'Endroit" est un "petit" livre, si l'on retient comme seul critère le nombre de pages, tout juste 120. Mais comme le grand maître l'a souhaité dans ses Carnets (VII) : "Je demande une seule chose, et je la demande humblement, bien que je sache qu'elle est exorbitante : être lu avec attention". (Source : "Albert Camus de Tipasa à Lourmarin une exposition pour le centenaire", page 143). Je ne trouve nullement qu'il s'agisse d'une requête exorbitante, quoique ses paroles m'aient incité à lire cette oeuvre avec extra attention. On n'ignore pas une demande, par ailleurs si légitime, à ce génie de la littérature française.

Dans la préface - à la 2ème édition - l'auteur note : "La valeur de témoignage de ce petit livre est, pour moi, considérable. Je dis bien pour moi, car c'est devant moi qu'il témoigne, c'est de moi qu'il exige une fidélité dont je suis le seul à connaître la profondeur et les difficultés".
Je crois que cette phrase est réellement révélatrice pour le souci d'exactitude qui caractérise toute son oeuvre.

Cette préface à ses 5 courts essais, écrits entre 1935 et 1936, lorsque Camus avait 22 ans, demande effectivement une certaine dose d'attention et même de concentration, si l'on veut pleinement apprécier le chemin parcouru par l'artiste depuis sa jeunesse en Algérie.

Le premier essai, intitulé "L'Ironie", nous brosse le portrait de 3 vieilles personnes faces à la mort. le thème clé en est la solitude. L'isolement de la vieille dame paralysée, confrontée à l'incompréhension de sa propre fille, mais qui semble revivre lorsqu'un jeune homme (Camus ?) s'intéresse à elle. le vieil homme qui réalise que "n'être plus écouté : c'est cela qui est terrible lorsqu'on est vieux". "Se faire écouter était son seul vice". Mais ses histoires n'intéressent plus les jeunes : "Il n'était même plus amusant ; il était vieux". le destin de la grand-mère de soixante-dix ans est semblable et pourtant different. "La mort pour tous, mais à chacun sa mort". Et la petite phrase de conclusion : "Après tout, le soleil nous chauffe quand même les os".

Aussi dans le 2ème "Entre oui et non", nous avons droit à quelques vérités camusiennes. Que penser de : "... les seuls paradis sont ceux qu'on a perdus..." et "Oui, c'est peut-être cela le bonheur, le sentiment apitoyé de notre malheur" ? Ici, l'auteur nous parle de sa mère Hélène, en partie sourde et totalement analphabète, et de son père Lucien qu'il n'a jamais connu, puisque le pauvre homme est mort dans la douleur sur le champ de bataille de la Marne, en octobre 1914, lorsque son fils, né le 7 novembre 1913, n'avait même pas un an.

En lisant le 3ème essai "La mort dans l'âme", j'ai eu l'impression que Meursault était sorti d'un des chefs-d'oeuvres de Camus "L'étranger", ou du moins sa préfiguration car ce roman de 1942 est bien ultérieur à l'essai. Toujours est-il, que j'ai suivi ce jeune Meursault déambuler sur la Place Wenceslas et le long de la rivière Vlatava à Prague et ensuite, en passant par la Moravie et Vienne, à Vicence en Italie. Bizarre !

Le 4ème "Amour de vivre", situé à Palma et Ibiza, en Espagne, pays pour lequel l'auteur a une profonde sympathie "...le peuple espagnol est un des rares en Europe qui soit civilisé" (page 100), m'a légèrement déçu. Toutefois, il y a cette phrase mémorable : "Mais il n'y a pas de limites pour aimer et que m'importe de mal éteindre si je peux tout embrasser" (page 109).

Dans le 5ème et dernier essai "L'Envers et l'Endroit", une femme solitaire achète avec son faible héritage une concession au cimetière de sa ville. Il s'agit d'un somptueux caveau, "sobre de lignes, en marbre noir, un vrai trésor à tout dire..." "Cette affaire la contenta si profondément qu'elle fut prise d'un véritable amour pour son tombeau".

Ce qui m'a fasciné le plus dans cet ouvrage du jeune Albert Camus, outre sa richesse littéraire légendaire bien sûr, c'est sa compréhension merveilleuse de la psyché particulière des vieilles personnes, qui se trouvaient à l'autre bout du cycle de l'existence où l'auteur lui-même se situait. Comment il a superbement traduit leur solitude, leur dépendance des autres et leurs angoisses devant la mort, cette inconnue.
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