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Eh beh ! Quelle claque ! Il est des textes qu'il faut relire des décennies plus tard, cela fait un bien fou. En tout cas moi cela m'a fait du bien. Ça repositionne les choses, les relativise, et ce, avec d'autant plus de majesté qu'en trente années, j'ai le recul, l'expérience et une connaissance de moi plus complète. Il a bien fallu les gravir les montagnes, mais à quel prix. La chute ! Je sais comment j'ai agi et pourquoi. C'est ainsi que cette lecture est totalement différente aujourd'hui. J'ai beaucoup plus de points de comparaison pour sentir l'ironie de Camus et en prendre pour mon grade. A seize ans, que sait-on de soi-même... Mes maigres certitudes actuelles qui finalement n'en sont pas. Et ma générosité qui n'est en fait que l'amour de moi pour moi. J'ai tout aimé dans ce texte, tout. le narrateur discourt avec un personnage que l'on n'entend jamais autrement que par les questions ou réponses que reprend le narrateur, ce fameux juge-pénitent. La plume est vive et féroce. Rien ni personne n'est oublié, Camus est imparable et son regard perçant. Un très grand texte pour moi.
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"La chute" d'Albert Camus est le monologue d'un individu à bout de souffle dont les phrases se succèdent dans un rythme effréné, se livrant à un interlocuteur attentif. Les confessions d'un homme rongé par la culpabilité de ne pas avoir réagi au suicide d'une jeune femme qui s'est laissée jeter d'un pont.
Cette culpabilité va réveiller sa conscience humaine...
Jean Baptiste Clamence, bourgeois vaniteux et égocentrique, avocat renommé, que ses bonnes actions calculées distinguent, va abandonner sa riche vie parisienne, son travail suite au suicide d'une jeune femme. Il décide alors d'inverser son rôle en se positionnant au banc des accusés afin de se juger sans duplicité.
Il s'exile donc en Hollande, pays rocailleux froid, hostile qu'il décrit comme les portes de l'Enfer.
Clamence veut se repentir de ses péchés, il devient observateur, contemple l'ignominie humaine, mais il souffre, s'enivre et côtoie des endroits mal famés. Il s'attribue un poste de juge pénitent au bar Mexico City où il se confesse à nu publiquement et s'accuse des fautes de l'humanité afin de les renvoyer à ses interlocuteurs espérant qu'eux mêmes prendront conscience de leurs erreurs. Ainsi tel un prophète en pleine rédemption, il s'accorde le droit de juger les hommes (Plus je m'accuse et plus j'ai le droit de vous juger), sa cible la bourgeoisie!
Mais sa culpabilité le poursuit amèrement, la confession et la rédemption ne peuvent pas toujours offrir le pardon...
Dans un ton froid, glacial, écrit avec une grande éloquence Albert Camus nous frappe à coup de mots percutants, critique l'humanité égoïste sans oublier toutefois qu'il est bien conscient d'en faire partie.
"La chute" provoque chez le lecteur un malaise troublant et nous amène à se poser certaines questions existentielles.
A lire ou étudier du moins par curiosité.

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« Vous avez entendu parler, naturellement, de ces minuscules poissons des rivières brésiliennes qui s'attaquent par milliers au nageur imprudent, le nettoient, en quelques instants, à petites bouchées rapides, et n'en laissent qu'un squelette immaculé ? Eh bien, c'est ça, leur organisation. « Voulez-vous d'une vie propre ? Comme tout le monde ? » Vous dites oui, naturellement. Comment dire non ? « D'accord. On va vous nettoyer. Voilà un métier, une famille, des loisirs organisés. » Et les petites dents s'attaquent à la chair, jusqu'aux os. »

Jean-Baptiste Clamence s'adresse, depuis un tripot d'Amsterdam, à un interlocuteur anonyme dont les répliques, si elles se laissent parfois deviner, restent hors-champ, renforçant l'impression que Camus, par le truchement du narrateur, s'adresse directement au lecteur. Ce que cet homme au mitan de son existence est devenu, à savoir un homme désabusé qui cache un profond désarroi derrière une ironie mordante, un cynisme roboratif, semble être l'exact opposé de ce qu'il était hier : foncièrement généreux, naïvement altruiste, s'ingéniant à trouver chaque jour mille et une façons d'aider son prochain et de manifester sa compassion, courant littéralement derrière les aveugles pour les aider à traverser la chaussée, se réjouissant qu'une grève des transports lui donnât l'opportunité de charger dans sa voiture des inconnus attendant en vain le bus, etc, etc… Mais là où ses talents d'homme admirable s'exerçaient le mieux, là où véritablement il s'élevait au-dessus de la mêlée, c'était dans son métier d'avocat :
« Etre arrêté, par exemple, dans les couloirs du Palais, par la femme d'un accusé qu'on a défendu pour la seule justice ou pitié, je veux dire gratuitement, entendre cette femme murmurer que rien, non, rien ne pourra reconnaître ce qu'on a fait pour eux, (…) croyez moi, cher monsieur, c'est atteindre plus haut que l'ambitieux vulgaire et se hisser à ce point culminant où la vertu ne se nourrit plus que d'elle-même. »
Ah! Les vertiges de l'illusion ! Qu'il est doux de se croire le meilleur des hommes, qu'il est exaltant de se croire « désigné », élu entre tous parmi la grouillante foule anonyme de ses semblables. Quoi de comparable au fait de « se hisser à ce point culminant où la vertu ne se nourrit plus que d'elle-même »? Quoi de plus merveilleux que de mirer dans les yeux de son prochain l'amour qu'on se porte à soi-même? Même ce libertin de vicomte De Valmont dans Les liaisons dangereuses, qui, s'étant adonné jusqu'alors aux seuls plaisirs du vice, ne voit dans l'exercice de la vertu qu'une chose mortellement ennuyeuse et vaguement repoussante, découvre à son corps défendant que secourir des malheureux peut procurer du plaisir, une véritable jouissance :
« J'avouerai ma faiblesse; mes yeux se sont mouillés de larmes, et j'ai senti en moi un mouvement involontaire, mais délicieux. J'ai été étonné du plaisir qu'on éprouve en faisant le bien; et je serais tenté de croire que ce que nous appelons les gens vertueux n'ont pas tant de mérite qu'on se plaît à nous le dire. »

Emmanuel Kant, dans sa grande prescience, avait également flairé la supercherie, allant jusqu'à imaginer le personnage du misanthrope moral, seul à même de faire le bien d'une façon purement désintéressée, donc morale. La compassion de l'altruiste, dit-il, « mérite des louanges et des encouragements, mais non point de l'estime. »
« Mais non point de l'estime »… Nous y voilà. Jean-Baptiste Clamence croyait, depuis les sommets où son âme admirable l'avait hissé, être estimé de tous, échapper à l'inexorable jugement que les hommes pratiquent entre eux avec la même implacable vigueur que la fornication, jusqu'au jour où… ou plutôt jusqu'à la funeste nuit où il chuta aussi sûrement que ce corps chutant du haut du pont royal dans la Seine. Mais contrairement au corps qui bascule dans l'eau noire au milieu du silence et de l'indifférence, sa chute à lui est intérieure et insidieuse. Tout d'abord invisible à ses propres yeux car les vapeurs de l'illusion sont tenaces, elle se révèle peu à peu par petites touches ricanantes et mortifiantes. L'univers entier se met à rire de lui, de lui, Jean-Baptiste Clamence, ex-surhomme, ex-homme admirable, ex-avocat de la veuve et de l'orphelin désormais « juge pénitent ».
Que s'est-il passé? Peu importe l'événement déclencheur au fond. Il s'est passé que Clamence est frappé d'un mal dont personne ne guérit vraiment tout à fait : la lucidité. Son regard décillé voit enfin clair en lui, mettant au jour sa duplicité profonde. Il a compris au terme d'une douloureuse introspection que sa modestie l' « aidait à briller, l'humilité à vaincre et la vertu à opprimer. »

À ce point du récit, parvenue presque à la fin du monologue Clamence, j'étais tout à fait réjouie. Ah! La belle lucidité, le merveilleux acte de contrition! Puis, le doute commença à s'insinuer en moi. J'avais déjà relevé quelques propos suspects, voire séditieux, comme cette troublante apologie de la servitude découlant de la nécessité de traiter l'homme (tout homme, même le Christ) en coupable. Mais, emportée par le flot de paroles et l'impétuosité du discours, je ne m'y étais pas arrêtée.
Et puis, j'ai compris.
J'ai compris que la convaincante confession que je venais de goûter avec une joie mauvaise et un brin de condescendance n'était pas tant l'acte de contrition d'un homme ayant accédé à la lucidité qu'un implacable réquisitoire contre l'humanité entière. J'ai compris que le portrait sans concession que Clamence dresse de lui n'est autre qu'un miroir qu'il tend à chacun de nous. Et que l'habile bretteur avait encore une fois trouvé le moyen de s'élever au-dessus de la multitude, tirant sa supériorité de celle de savoir ce que les autres ignorent.

« Je règne enfin, mais pour toujours. J'ai encore trouvé un sommet, où je suis seul à grimper et d'où je peux juger tout le monde. »

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J'avais fort peu goûté "L'étranger", je ne m'en sors donc pas trop mal avec cette relecture de "La chute", presque vingt ans après la première tentative qui m'avait trouvée bien désarmée devant la prose de Camus.

Forcément, avec vingt ans de plus (punaise, vingt ans !) et une expérience de la nature humaine mieux développée, je suis plus à même de comprendre ce long monologue aux allures de soliloque - la chute du roman (sans jeu de mots) me fait en effet davantage penser à un examen de conscience doublé d'une auto-psychanalyse qu'à une confession - même si l'humilité la plus fondamentale me contraint à avouer que certains passages sont restés bien opaques à ma petite cervelle.

Le narrateur se confie à l'étranger (toujours pas de subtil jeu de mots) de passage dans son bar fétiche, sur le port d'Amsterdam, et bien qu'il le découvrira seulement après s'être confessé, il se trouve que cet étranger lui ressemble fort et exerce la même profession que lui - il est avocat. Cette tendresse particulière et instinctive du narrateur pour son auditeur entraîne la confiance puis les confidences.

Mais de quoi parle ce livre, nom d'un petit bonhomme ?
Une chute. La chute.
Une chute qui entraîne la chute.
La chute d'une jeune femme dans les eaux sombres de la Seine provoque la chute morale du narrateur.

Lui dont la vocation est de défendre son prochain sans le juger, lui dont la vie privée n'est que facilité et jouissances, se rend compte brutalement que lui aussi peut être jugé, et sévèrement, après s'être refusé à secourir une citoyenne en détresse au moment de son suicide, survenu presque sous ses yeux. Après cet incident, la vérité lui saute aux yeux : on ne peut échapper aux jugements des autres, ni vivant, ni mort ; ni bon, ni mauvais ; ni méritant, ni criminel. Dès lors, inutile de s'en faire, ni de chercher une rédemption qui ne viendra jamais, le bonheur de l'être humain réside dans l'acceptation de sa duplicité.

"J'ai accepté la duplicité au lieu de m'en désoler. Je m'y suis installé, au contraire, et j'y ai trouvé le confort que j'ai cherché toute ma vie. J'ai eu tort, au fond, de vous dire que l'essentiel était d'éviter le jugement. L'essentiel est de pouvoir tout se permettre, quitte à professer de temps en temps, à grand cris, sa propre indignité. Je me permets tout, à nouveau, et sans rire, cette fois. Je n'ai pas changé de vie, je continue de m'aimer et de me servir des autres."

Le monologue du narrateur s'articule en six périodes axées, au centre du roman, par la fameuse chute de la malheureuse jeune femme dans la Seine et qui n'aura pas reçu le secours du narrateur. Camus développe autour du thème du jugement, ceux de la justice, de la liberté, de l'estime de soi, des relations sociales, de l'amour et de la finalité de l'existence, toute philosophie qui, sans me désintéresser, ne me passionne pas excessivement et le propos de Camus, souvent verbeux, a le mérite de rester digeste parce que concis.

On pourrait, à l'envi, débobiner consciemment chacune de ses phrases et se retrouver très vite avec un épais traité de philosophie entre les mains mais je laisse ce labeur aux amateurs. Tout comme il y a vingt ans sur les bancs du lycée, je me prescris la philosophie en doses homéopathiques.


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« Dans le port d'Amsterdam,
Y a des marins qui chantent
Les rêves qui les hantent... »

Dans ce bar d'Amsterdam, il y a Jean-Baptiste Clamance qui se proclame juge-pénitent, hanté qu'il est par le souvenir d'une jeune femme qu'il n'a pas sauvée de la noyade.
Autrefois avocat réputé à Paris, homme mondain, généreux, apprécié de tous et toutes, il a quitté sa vie d'aises et de luxe pour s'exiler à Amsterdam, qu'il considère comme l'une des portes de l'Enfer. Il exerce désormais ses talents d'orateur dans un bar interlope, où tous les soirs, il confesse publiquement ses fautes jusqu'à la lie, pour ensuite renvoyer ses interlocuteurs à leurs propres culpabilités.
Pourquoi ce changement de vie radical, cet exil, cette chute ? Parce qu'en l'espace d'un instant, la conscience de Clamance a basculé dans l'abîme de la vérité et a découvert le sentiment de culpabilité.
Cet instant, c'est celui où, sur un quai de Paris, il a assisté à une autre chute, celle d'une jeune candidate au suicide dans la Seine, et où il n'a rien tenté pour la sauver.
Mais avant cette/ces chute(s), il y a un autre moment, plus fugace, quelques mois plus tôt, où sa conscience endormie avait frémi et commencé à se réveiller : au cours d'une promenade nocturne et solitaire, un rire anonyme dans l'obscurité l'avait atteint au plus profond, sans qu'il en mesure encore tout l'impact. Etait-ce un rire moqueur, en était-il la cible, si oui, pourquoi ? Qu'avait-il donc de risible, de ridicule ? "Il a fallu d'abord que ce rire perpétuel, et les rieurs, m'apprissent à voir plus clair en moi, à découvrir enfin que je n'étais pas simple".
Taraudé par ces questions, blessé par cette moquerie supposée, Clamance a commencé de réaliser que sa vie bourgeoise et lui-même ne sont que vanité, écran de fumée, hypocrisie, superficialité, égoïsme, vide abyssal, médiocrité.
Lui, l'avocat qui défendait ses clients sans juger leurs comportements et qui se croyait tellement supérieur, hors d'atteinte du jugement du commun des mortels, tombe des nues en découvrant qu'il est un lâche, ou un indifférent, capable de laisser un être humain se noyer.
Ce choc déclenche une profonde remise en question, un examen de conscience radical et absolu. A travers son auto-mise en accusation, il cherche (vainement) sa rédemption, et voudrait, par ricochet, provoquer celle de l'humanité : puisqu'il se juge et s'accuse sans complaisance, il a le droit de juger les autres, pour leur faire prendre conscience de leurs propres fautes.

« La chute » est un monologue intelligent, d'une noirceur brillante, féroce, lucide, implacable, moralisateur, un miroir qui renvoie son cruel reflet à une certaine bourgeoisie égoïste et orgueilleuse.
Ce texte pousse à la réflexion, à un questionnement existentiel sur le sens de la vie, la sincérité ou la duplicité des relations, la liberté, l'image de soi, la culpabilité. Même si je ne me suis pas vraiment senti concernée par le sort du narrateur, j'ai trouvé ce personnage (et ses semblables, ces gens sûrs d'eux, imbus d'eux-mêmes, convaincus de leur supériorité, de leur quasi-perfection et ne se remettant jamais en question) fascinant. Et l'analyse philosophico-psychologique du processus de sa chute encore davantage, tant il tombe de haut. Un vertige difficile à concevoir, je crois, quand on est soi-même la proie d'un envahissant et chronique sentiment d'infériorité (mais c'est une autre histoire et un autre débat).
Quoi qu'il en soit, ce roman distille de l'humain, aveugle à sa propre nature, une vision pessimiste et peu engageante mais, me semble-t-il, pas totalement désespérée.
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Dans un bar d'Amsterdam, un homme se confesse à un autre. Narrateur unique de cet étrange et sombre récit, cet homme, Jean-Baptiste Clamence, va se raconter et, revenant sur les grands épisodes de sa vie passée, il nous narre sa chute, qui a débuté un soir, quand il n'a pas réagit devant le suicide d'un jeune fille se jetant sous un pont de Paris.
A partir de cet évènement, l'homme est non seulement descendu aux enfers, mais il a aussi commencé le chemin d'une prise de conscience peu habituelle sur l'humanité et le sens de la vie. S'auto-proclamant "juge pénitent", Jean-Baptiste Clamence observe, juge et condamne sans concessions, lui-même mais aussi toute l'humanité avec lui. Revenant sur ses expériences, c'est un portrait noir et peu glorieux de l'Homme avec un grand H, qu'il dresse dans son récit, et comme il le conclut lui-même, "Quand on a beaucoup médité sur l'homme, par métier ou par vocation, il arrive qu'on éprouve de la nostalgie pour les primates."

Roman sombre et terrible réflexion sur l'homme moderne, "La chute" est un livre puissant qui m'a beaucoup marquée. L'intelligence de nombre de réflexions de notre narrateur pénitent sur l'homme ainsi que certaines descriptions merveilleusement troublantes d'Amsterdam restent très vives dans ma mémoire. Certes c'est lourd, certes c'est noir, mais paradoxalement, "La chute" est l'un des romans qui me redonnent confiance en l'homme, car il faut que son auteur ait été bien loin du primate, pour pousser sa réflexion et ses mots aussi loin sur le chemin de la conscience!
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Il y a un « avant » et un « après » la chute, moment à partir duquel notre héros, brillant avocat, va prendre conscience de sa vanité et du caractère quelque peu factice de sa vie. Il va bien essayer de se bercer de quelques illusions en tombant amoureux ou en s'adonnant à la débauche mais il finira par échouer à Amsterdam. C'est là, où il se pose en juge « pénitent », en s'accusant lui-même afin d'éviter le jugement des autres mais aussi, et par reflet, pour accuser les autres.
Un très grand livre, riche, complexe et dérangeant avec des thèmes chers à Albert Camus, tels la religion, la foi, ou encore le jugement.
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Commentaire reformulé le 29/06/2017, à la demande insistante de… Dgwickert !
Difficile de rédiger une critique d'un de mes livres mythiques que je choisirais d'emporter sur une l'île déserte (non pas le tome de la prestigieuse collection de la Pléiade, mais ce bouquin fané, un peu écorné, beaucoup souligné et très annoté, celui de Folio - Gallimard plus adapté pour affronter les embruns du Pacifique !)
Un livre lu et relu et dans lequel j'y trouve, chaque fois, matière à réflexion, à divagation, à imagination, à remise en question.
Chaque fois une nouvelle découverte, un détail plus précis qui se dévoile, s'ajuste à la réalité, comme après l'examen attentif avec une lentille très grossissante du polyptyque de van Eyck , et plus spécifiquement du panneau « Les juges intègres "que recèle, peut-être Jean-Baptiste Clamence.
Un livre qui parle, qui me parle qui me pose des questions, impératives, insidieuses, mais c'est moi seule qui doit formuler les réponses, en proposer d'autres, de nouvelles , erratiques, jamais définitives car amendées par le temps, par d'autres réflexions, fertilisées par les épreuves affrontées et la maturité de la vie.
Vox clamens in Mexico -City, ce bar interlope, pour contrer l'oxymore du ' mutisme assourdissant' de mon verre solitaire.
Et j'entends cette clameur, cette confession qui prend alors les intonations de la voix chaude, lumineuse , sensuelle celle de Camus. Je vois ,dans le miroir piqueté par le temps , les traits de Clamence qui se délitent , qui laissent place à un autre visage pas tout à fait inconnu qui fait une drôle de tête , prête à rire ou à pleurer… le mien, lectrice.
J'aime l'humour féroce déployé dans ce récit ,la leçon de lucidité qu'il donne , la lumière méditerranéenne qui illumine certains propos et la brume poétique d'Amsterdam qui permet d'amortir la réalité, les références à l'Histoire aussi, qu'il faut repérer, décrypter pour en saisir la valeur ironique .

Si je possède des richesses ? Quelques unes, mes chers livres en particulier ! Je les partage? Quelquefois mais pas forcément avec les pauvres ! Avec mes amis oui, mais il faut (pour certains ) me les rendre ! Alors je ne suis pas une vraie saducéenne, pas pharisienne non plus, mais un peu, beaucoup, passionnément camusienne, ça oui !
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Quel talent pour réussir en quelques 150 pages à évoquer l'homme, la société, les croyances et faire, face à un autre homme, sa confession, son mea-culpa. le premier se dit juge confesseur, l'autre pourrait être un témoin, sa conscience ou le lecteur tant le narrateur dresse un portrait édifiant de lui et à travers lui de nous, du monde et de ses vérités. Il possède l'art du discours et son métier d'avocat lui a donné l'aisance verbale. Il met dans les plateaux de la balance les différents visages des humains : à la fois satisfaits de ce qu'ils sont mais peu à peu conscients de leur face cachée, l' intime, les failles. Rien n'est mis de côté : amour, religion, philosophie, réussite, amitié etc... Un magnifique plaidoyer dans lequel chacun peut se reconnaître, à un moment où à un autre de sa vie. le jugement, la sentence et la pénitence nous appartient.
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Un homme étrange, un certain Jean-Baptiste Clamence fait sa confession à un interlocuteur qui reste dans l'ombre, dans le silence, Clamence est le seul à prendre la parole. le récit débute à Mexico-City, un bar louche d'Amsterdam, entre malfaiteurs, voleurs, prostituées. Clamence, en cinq jours, cinq épisodes pourrait-on dire, tant il entretient le suspens, arrête son récit au moment le plus intéressant, diffère ses révélations, raconte son existence, qui l'a menée d'une belle situation d'avocat à Paris, reconnu voire admiré, à cette position équivoque dans laquelle il alpague un interlocuteur pour lui narrer sa déchéance. Mais son récit suscite d'emblée un questionnement sur ses objectifs, car il revendique presque de suite l'appellation de juge-pénitent. Donc se met en position de non seulement reconnaître ses erreurs mais aussi de traquer celle des autres, dans une sorte de confusion des deux.

Donc avocat, homme admirable, défenseur de la veuve et de l'orphelin, épris de justice, prêt à toutes les bonnes actions, Clamence bascule un jour vers le côté sombre. Au point de raconter sa vie lumineuse comme une tricherie, faire le bien n'étant au final qu'une manifestation d'orgueil, d'amour de soi, de mensonge. Il détaille les deux événements qui ont fait dérailler son existence, avec luxe de détails. Un étrange rire entendu un soir sur le pont des Arts, inexpliqué, presque angoissant, qui aurait semé une inquiétude, un doute, un trouble, qui aurait commencé à faire craquer la belle enveloppe du personnage qu'il jouait pour le monde et pour lui-même. Et puis un événement sur lequel il insiste, qu'il présente comme un point de rupture : ne pas avoir assisté une femme qui s'est jeté d'un pont et vraisemblablement noyée, être resté passif, s'être sauvé. A partir de là, toutes les belles apparences lâchent, n'ont plus de sens, et Clamence met tout en question et prend le contre-pied exact de ses comportements vertueux d'avant. Jusqu'à aboutir dans ce bar mal famé, en conseiller de criminels, en receleur de tableau volé.

Des tas d'analyses de ce livres ont été faites, un nombre inépuisable de références a été trouvé pour mettre en lien ce livre avec d'autres textes importants. Je n'ai donc pas la prétention d'épuiser ses sens ni en donner une explication ultime. Justes quelques idées qui sont peut-êtres les plus significatives pour moi. La forme du monologue est frappante, où l'interlocuteur que nous ne verrons ni n'entendrons jamais, n'a d'existence que par la parole et le regard de Clamence, au point où l'on finit par se demander s'il existe vraiment, où si Clamence (ou Camus) ne parle qu'au lecteur, qu'il prend à témoin, qu'il entraîne, qu'il rend complice. La fin est particulièrement ambiguë, et je pense que Camus prend soin de nous laisser avec cette interrogation.

Puis, il y a aussi cette sensation qui s'insinue qu'au final, malgré cette sincérité apparente, cette impitoyable mise en cause de soi, la présentation des aspects les moins reluisants, les plus honteux, le personnage de Clamence nous ment, nous manipule. L'épisode central, celui qui est le plus mis en lumière, ce suicide qu'il n'a pas empêché par lâcheté, est-il vraiment ce dont il a honte, ce qui le mine, ce qui le condamne à ses propres yeux ? Car, à y regarder de plus près, il y a dans son existence un épisode bien plus atroce, sur lequel il glisse pourtant très rapidement et sur lequel il ne revient pas : dans un camp en Afrique, il a volé l'eau d'un mourant, ou même juste d'un homme affaibli qu'il a condamné à la mort, par un acte volontaire, et non pas par omission. Et cet homme était un ami, quelqu'un qu'il admirait, et non pas une inconnue. La différence de traitement dans les deux épisodes, paraît disproportionnée. Lorsqu'il évoque la possibilité de rédemption, de changer quelque chose dans le passé, ou d'avoir la chance de revivre une situation semblable à une situation déjà vécue dont il pourrait cette fois changer l'issue, c'est du pont parisien qu'il parle, pas du camp africain. Comme si c'est cela qui était impossible à effacer. Comme si c'est cela qu'il fallait dissimuler, cacher dans des discours très bien construits, brillants, semblant une traque sans pitié pour ses faiblesses, les faiblesses humaines.

Camus me semble mettre en cause la possibilité pour un homme de faire une confession authentique, tout au moins en littérature. Il semble indiquer que tous ceux qui l'ont précédé dans cet exercice, à un moment ou un autre, ont forcément menti, travesti, dissimulé. Toute la bonne foi affiché, l'honnêteté, a forcément été à un moment donné ou un autre détourné, le lecteur abusé, manipulé, amené là ou l'auteur a voulu l'amener. Et bien évidemment, le premier en Occident à écrire ses Confessions, Saint-Augustin. La chute regorge d'allusions bibliques : rien que le nom du personnage, Jean-Baptiste Clamence. Clamans signifie parole en latin et Saint-Jean Baptiste est le prophète avec une voix clamant dans le désert (vox clamantis in deserto ). On pourrait donc poser l'hypothèse, que Camus (qui a écrit son mémoire de maîtrise sur Saint-Augustin) met en cause l'idée d'une culpabilité posée sur l'homme, sur tout homme, à cause du péché originel, dont il ne peut se sauver tout seul, mais uniquement par une grâce divine accordée arbitrairement à quelques rares élus. Clamence essaie d'entraîner par ses aveux, auxquels il donne une allure de sincérité absolue, ses interlocuteurs à se sentir coupables. Car ses fautes, ses faiblesses, ses défaillances pourraient être les nôtres. Ce qui paraît une accusation de soi est une tentative d'accuser l'humanité toute entière. le mal qu'un homme traque en lui, il l'attribue au final à toute son espèce, qui doit désormais faire pénitence. Et si Dieu n'existe pas (ou plutôt comme Dieu n'existe pas) cette culpabilité et cette pénitence sont de la pure auto-destruction. Comme ce qui vit le personnage de Clamence à Amsterdam.

Mais il y a d'autres lectures, d'autres références, et je reviendrai à ce livre….
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