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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Je me rends compte que je n'ai jamais fait de fiche de lecture sur ce livre, voilà qui va être réparé ! C'est en classe de Première que j'ai lu ce livre pour la première fois car il était dans ma liste du bac (quel est le sagouin qui a dit que ça remontait aux calendes grecques ?). Sur le coup, avec ce fameux "Aujourd'hui maman est morte, ou peut-être hier, je ne sais pas", je me suis dit que la lecture allait être difficile... Bien évidemment, je n'avais pas compris sur le moment toute la finesse de cette phrase et je pensais que le sieur Camus s'adonnait à la boisson.

Trêve de plaisanterie, ce roman met en oeuvre l'absurde, celui de la condition humaine. le personnage, sorte d'anti-héros, prénommé Meursault, est étranger au monde qui l'entoure. Et quiconque ne rentre pas dans le moule se verra rejeté, exclu et pénalisé par la peine ultime, la mort. Voilà qui pourrait résumer un peu l'idée, bien que cela reste complexe.

Ce qui fait tout le succès de ce roman, c'est d'abord ce personnage qui est également le narrateur. Souvent, le lecteur a de l'empathie lorsqu'un récit est à la première personne. L'autre facette du succès, c'est que ce roman parait simple. Il raconte une histoire somme toute banale, celle d'un homme qui vient à l'enterrement de sa mère, qui tombe amoureux de Marie et dont le voisin de palier a des problèmes avec une de ses maîtresses. Ce voisin, Raymond, invite Marie et Meursault dans un cabanon appartenant à l'un de ses amis, sur la plage. le groupe croise alors des jeunes gens parmi lesquels figurent des frères de la maîtresse bafouée. Bien évidemment, une bagarre s'ensuit, dans laquelle Raymond est blessé. Un peu plus tard, alors qu'il se baladait sur la plage, Meursault rencontre à nouveau l'un des protagonistes de la bagarre. Aveuglé par le soleil, n'ayant plus, dès lors, tous ses sens, le narrateur prend le revolver qui se trouvait dans sa poche et tire à l'aveugle, tuant le jeune. Voilà qui pourrait figurer dans les faits divers... Oui mais Meursault ne s'arrête pas là. Une balle aurait pu, à la limite passer pour un accident... mais certainement pas les quatre autres qui ont suivi ! Et que dire ensuite du procès ? Meursault ne montrera pas une once de regret face à son geste, tout comme on lui reprochera de ne pas avoir pleuré à la mort de sa mère... Les conventions sont les conventions... mais Meursault y est étranger.

Je lis et je relis ce roman avec plaisir, y découvrant à chaque fois une signification. Sous ses dehors d'une simplicité confondante se cachent en fait une symbolique et une poésie représentatives de Camus.
Lien : http://www.lydiabonnaventure..
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Lorsque les Editions Gallimard publient “L'étranger” en 1942, Albert Camus n'a pas encore trente ans. La critique de l'époque accueille ce court roman, le premier de la tétralogie “Le cycle de l'absurde”, sans enthousiasme et pourtant soixante-dix ans plus tard cette oeuvre de jeunesse est de loin la plus connue du Nobel de littérature.

Le narrateur, Meursault, habite Alger qui en cette première moitié du 20e siècle est encore la préfecture éponyme d'un département français. Insensible au monde qui l'entoure, ce pied-noir sans histoire a une personnalité des plus atypiques. Les événements du quotidien, les choses de la vie ne l'atteignent pas vraiment et semblent glisser sur lui comme les gouttes de pluie sur les plumes d'un oiseau.
Stoïque lors des obsèques de sa maman dont il refuse de voir le corps, conciliant avec ses deux voisins de palier aux comportements primaires, prêt à se marier avec sa petite amie Marie alors qu'il ne l'aime pas vraiment, Meursault prend la vie comme elle vient. Tout lui est égal et rien n'a vraiment d'importance.

Le jour où sur une plage écrasée de soleil Meursault abat à bout portant un jeune arabe au couteau menaçant, “L'étranger” plonge soudain dans les sables mouvants de l'absurdité.

L'irrationalité d'un comportement a toujours le don d'exacerber le ressentiment, d'articuler avec force le bras vengeur de la société ; et la justice aux grandes oeillères de s'engouffrer dans la brèche, de se mettre au diapason de cette absurdité.
Imperturbable au fond de sa cellule Meursault reste fidèle à lui-même : le remord ne fait pas partie de ses états d'âme. le verdict de cette pseudo-justice il s'en accommode et arrive même à apprécier l'indifférence du monde à son égard.

On ne sort pas indemne d'un roman tel que celui-ci dans lequel la bêtise semble la chose la mieux partagée. Trente ans après une première lecture, je le referme aujourd'hui encore avec un sentiment de révolte vis à vis d'un monde qui trop souvent par manque de volonté ou de vigilance se laisse aller à la facilité, tombe dans la médiocrité.

Ce roman d'Albert Camus au titre si justement choisi fait partie de ces oeuvres intemporelles dont le message humaniste impacte durablement l'inconscient collectif.
Lire “L'étranger” c'est faire un pas en direction de l'Autre et c'est déjà beaucoup !

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Albert Camus - L'étranger - 1942 : Quelqu'un s'est-il déjà dit que ce livre ressemble à l'ébauche d'un vrai roman un peu comme les pastels de Degas semblent préfigurer la réalisation d'un plus grand tableau. L'histoire est squelettique et son résumé tient en une phrase. Un individu sans but, extérieur a sa propre vie assassine un ressortissant arabe sans vraiment le vouloir et sans le regretter non plus. Pourtant ce court texte sorti en 1942 est considéré comme un des chef d'oeuvre de la littérature mondiale. Dépouillé à l'extrême, il raconte la vie d'un homme insensible et désabusé considérant que son existence même ne le concerne pas y compris dans les épisodes les plus dramatiques qu'il traverse (la mort de sa mère, l'assassinat de l'homme, sa condamnation à mort). Cette absence de sentiments et de ressorts dramatiques contrebalancée par une écriture simple mais puissante rend ce livre fascinant bien des années après sa sortie. On peut se demander rétrospectivement si «l'étranger» n'est pas la plus grande escroquerie littéraire du 20ème siècle. En effet toute personne ayant un tant soit peu d'ambition plumitive chercherai à étoffer son propos autrement qu'en expliquant qu'elle a mangé des oeufs le midi ou qu'elle s'est lavée les mains en guise d'ablutions pour le reste de la journée. Oui mais tout le monde n'est pas Albert Camus, et lorsqu'on dit que le plus compliqué dans la vie est de faire simple, on parle sans doute de ce grand écrivain et de son livre le plus célèbre. Un autre avantage lié à «l'étranger» tient dans sa brièveté. Voilà un livre qu'on peut relire souvent. Lors d'un voyage en train par exemple, disons Bordeaux / Paris, l'allé retour sera suffisant pour en venir à bout. Essayez avec «Belle du Seigneur», le tour du monde ne suffira pas à égrainer ces phrases ampoulées qui font encore grimper aux rideaux de manière incompréhensible les femmes installées et les jeunes béotiennes avides de contes de fée. Cette comparaison à la Meursault (l'indigent qui sert de héros à cette histoire) n'est pas vaine car les deux livres sont vraiment la thèse et l'antithèse d'une littérature qui se voulait à une époque exagérément froide et sans lyrisme où totalement mièvre et démonstrative. On parle aussi de révolte quand on évoque cette oeuvre, mais une révolte contre quoi ? on est plutôt là dans l'affichage d'un nihilisme et d'un état dépressif qui mèneront un homme au suicide physique et social. On ne sait quelles raisons ont poussé Camus à déshabiller ainsi son écriture et sans doute aussi son âme mais «l'étranger» restera toujours pour nous les petits humains perdus dans nos questionnements existentiels un phare à la lumière délavée ou un brasier sans flammes alimenter par l'ennui qui traverse la plupart de nos misérables vies… une pierre angulaire de l'histoire de l'écriture
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L'Étranger de Camus - que je viens d'attraper au hasard dans ma bibliothèque - est un classique du XXe siècle et je ne l'avais jamais lu. Pourquoi ? Je ne sais pas. Tout comme je ne savais pas, voire même rien, de ce que recelait précisément ce chef-d'oeuvre de la littérature contemporaine.
La découverte a donc été pleine et entière. Et, c'est ce que j'aime quand je m'attaque à une oeuvre véritable... n'en rien savoir, ne m'attendre à rien, n'être guidée que par son auteur, n'éprouver que mon propre ressenti sans qu'il n'ait été préalablement orienté par des avis extérieurs.

Dès les premières pages, j'ai été interloquée par ces phrases courtes, saccadées, froides, ne trahissant aucune émotion. Comme c'était bien vu de la part de Camus ! Car, par sa plume, c'est son Meursault qui s'exprime, qui se raconte, qui nous raconte.

Camus s'étant très adroitement effacé, il me laisse donc en tête-à-tête avec Meursault. Et, rien à faire, je ne parviens pas à éprouver la moindre sympathie, empathie, ni même antipathie pour ce gars-là. Il est impénétrable. Il me laisse à l'extérieur. Le mur qu'il a dressé entre lui et moi - et pire encore, entre lui et lui - est infranchissable.
Au fur et à mesure que Meursault raconte, un terme que j'ai appris il y a fort longtemps dans des circonstances particulières, me revient à l'esprit : Alexithymie.
L'alexithymie est une construction de personnalité caractérisée par l'incapacité d'identifier et décrire les émotions en soi. Les individus souffrant de ce dysfonctionnement ont également du mal à distinguer et à apprécier les émotions des autres. Ce qui conduit à une réponse psychologique sans issue et inefficace.

Voila le drame de Meursault. Il est étranger. Étranger à lui-même. Étranger aux autres. Étranger à la vie. Étranger à tout. Il passe et ne fait passer. Il passe à côté de nous, à côté de lui-même. Comme un souffle... ni chaud ni froid, impalpable, inconsistant et sans plus de conscience.

Génialissime Camus !
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« le soleil, comme la mort, ne se peuvent regarder en face », disait La Rochefoucauld. Il y a un peu des deux dans L'Étranger. Meursault devient un meurtrier à cause du soleil et le récit commence avec la mort de sa mère.

J'ai croisé la route de Camus à l'adolescence et j'ai bien aimé ce roman car, comme dans ceux de Dostoïevski, je trouvais que l'auteur osait aborder des questions existentielles et métaphysiques qui me taraudaient : Dieu, le sens de la vie humaine, la mort, les conventions sociales auxquelles il sied de se plier pour ne pas être rejeté, exclu…

Camus trouvait d'ailleurs que Les Frères Karamazov est un chef-d'oeuvre, avis que je partage pleinement, ce fut un coup de coeur littéraire pour moi, et il a adapté au théâtre le roman Les Possédés. Raskolnikov dans Crime et Châtiment aime sa mère et sa soeur, ainsi que Sonia, cet amour l'obligera à faire certains choix, presque malgré lui. Meursault est, pour moi, un Raskolnikov qui ne vit pas cet amour qui change la donne et le comportement.

L'Étranger est un roman assez court qui se lit facilement mais il est très riche. Il est possible de le lire et de le relire des années après, d'en avoir des interprétations différentes, d'y voir ce que l'on veut bien y voir en fonction de sa sensibilité… ou de son insensibilité comme Meursault.

À seize, dix-sept ans, alors que le dossier scolaire de mon édition me parlait de « nature et société, de la justice, de l'absurde, du titre, de la structure, du personnage » etc., je me posais des questions sur le sens de la vie, la mort, Dieu : est-ce qu'il existe ou pas, ou est-ce comme le Papa Noël, une jolie histoire qu'on raconte aux enfants ? Et la mort : à quoi bon construire quelque chose puisque au final tout va disparaître et nous avec ? À moins que…

L'Homme rêve d'immortalité et, maintenant, il se tourne vers le transhumanisme. Alors, plus besoin d'être révolté, comme Meursault à la fin, par la mort et les mensonges que l'aumônier lui raconte sur « l'autre vie » à laquelle il devrait croire. Il devrait la voir derrière les pierres du mur de la prison mais Meursault est un rebelle, un esprit fort, un athée. Non décidément, il ne voit rien. le prêtre insiste : « C'est ce visage qu'on vous demande de voir. » Meursault ne voit toujours rien et, pour lui, cela n'a aucune importance car peu importent nos croyances, nos convictions, nos Dieux, nos absences de Dieux, nos révoltes, notre indifférence, nos cris de haine le jour de son exécution, nous irons tous au même endroit que lui. Nous sommes tous condamnés à mourir et donc sans doute tous coupables comme lui, sinon pourquoi serions-nous condamnés à mourir ?

Les romans de Camus sont brefs, énigmatiques et source de réflexion. Il n'a pas peur d'aborder des sujets tabous qui sont au coeur de la condition humaine, une condition tragique mais « philosopher, n'est-ce pas apprendre à mourir » ?
Lien : https://laurebarachin.over-b..
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Je n'avais jamais lu « Camus » !
En classe de seconde technique, à la place de « Camus » on faisait « Merle » : La mort est mon Métier.
Meursault, pour moi, n'était qu'une excellente appellation vinicole bourguignonne.
Quarante-cinq ans plus tard, cette lacune comblée, Meursault prend l'apparence d'un homme apathique, atypique, mais pas antipathique, perdu dans son quotidien et ses habitudes où la chaleur suffocante omniprésente de l'Afrique du nord l'émeut et l'affecte beaucoup plus que la mort de sa mère.
Étonnant non ? Mais pas que… L'apathique est un non-émotif, non-actif où prédomine l'indifférence. Meursault n'a pas de vie intérieure frémissante.
Il déteste les conflits : « Comme toujours quand j'ai envie de me débarrasser de quelqu'un que j'écoute à peine j'ai eu l'air d'approuver. »
Cependant, il a besoin, sans se l'avouer, de se faire apprécier, aimer peut-être où pour le moins appartenir à une vie sociale bien qu'il en soit indifférent.
Avec Marie, il est prêt à l'épouser : « Tu m'aimes. Non. Alors pourquoi m'épouser ? Pour te faire plaisir. »
Avec Raymond, il écrira un courrier sans se poser de question, pour aider.
Camus avec des mots simples, des phrases courtes va accompagner Meursault vers sa destinée.
Car Meursault va tuer, parce qu'il fait chaud, un arabe de cinq balles dans le corps.
Ce roman au modernisme suranné où il est normal que les hommes giflent un peu leur femme et où les algériens sont encore des arabes à tout bout de champ est transgénérationnel, intemporel, tellement limpide et tellement dramatique à la fois.
Meursault sera jugé : « Onze mois d'instruction, j'avais l'impression que je faisais partie de la famille ». Ce besoin d'appartenance est toujours présent : « J'ai fini par ne plus m'ennuyer du tout à partir du moment où j'ai appris à me souvenir ».
Camus dépeint un Meursault tourné vers lui-même: « Même sur un banc d'accusé, il est toujours intéressant d'entendre parler de soi ». Il accepte son malheur. Impressionnant.
Meursault sera condamné : « J'ai eu une stupide envie de pleurer parce que j'ai senti combien j'étais détesté par ces gens là ».
Meursault n'était pas un grand bavard et il aimait la solitude. Il sera guillotiné: « Les ciels d'été pouvaient mener aussi bien aux prisons qu'aux sommeils innocents ».

C'était la 503ème critique du 48580ème lecteur Babelio de cette oeuvre immense.
Et maintenant un petit proverbe africain: « La connaissance, c'est comme un baobab, les bras d'une seule personne ne suffisent pas à l'enlacer ».
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Relire les classiques a du bon.
Parce qu'avec la maturité, on les voit d'un oeil différent, on y découvre autre chose.
On les apprécie davantage.
Du moins, je les apprécie davantage.
Je gardais un souvenir assez précis de L'étranger, lu lorsque j'étais au lycée.
Adolescente, je n'avais pas aimé Meursault, pour qui j'avais éprouvé la plus vive antipathie, me disant même qu'il avait bien mérité ce qui lui arrivait.
Bon sang, il n'avait qu'à parler, révéler ses pensées, exprimer ses sentiments, ce n'était pourtant pas compliqué, non ? S'il avait été condamné, il n'avait à s'en prendre qu'à lui-même.
À la relecture, mes petites certitudes ont volé en éclat.
Je ne peux pas dire que j'ai aimé Meursault, je n'irai pas jusque-là (peut-être l'aimerai-je après une seconde relecture dans trente ans ?), mais cette fois, je l'ai compris.
J'ai compris qu'il n'exprimait rien, tout simplement parce qu'il n'était pas capable de ressentir quoi que ce soit : ce n'était pas de la mauvaise volonté, c'était sa constitution, il était fait comme ça.
Tout comme certains sont grands, petits, bruns ou blonds, Meursault est insensible, un handicapé du sentiment.
Du coup, sans le vouloir, il choque.
Il choque parce qu'il ne manifeste pas ce qu'il devrait ressentir dans telle ou telle circonstance.
Il choque parce qu'il ne dit pas ce qu'il faudrait dire.
Il choque parce que son attitude ne correspond pas aux critères sociaux communément admis.
Mais de tout cela, il ne se rend pas compte.
Et même, s'il s'en rendait compte, je parie qu'il ne changerait pas d'attitude, parce qu'il n'en verrait pas l'utilité, parce qu'il n'en comprendrait pas la nécessité.
Meursault est donc étranger. Étranger à la vie en société et à ses normes, étranger à ce et ceux qui l'entourent, étranger au monde, et finalement, étranger à lui-même.
Ayant compris cela, au lieu de le blâmer comme autrefois, je l'ai plaint.
J'ai éprouvé de la compassion pour cet homme tellement inadapté à une société pétrie de conventions sociales.
Et je salue l'immense talent de Camus !
Fabriquer un tel personnage a dû être un exercice terrible.
S'appliquer à ôter toute trace d'émotion, toute ébauche de sentiment, tout embryon de geste ou de pensée qui pourraient trahir un ressenti : exercice parfaitement réussi, car Meursault est totalement déshumanisé, parfaitement froid, d'une froideur qui contraste terriblement avec la chaleur omniprésente dans le récit.
Cette chaleur qui est presque un personnage du livre.
Elle joue un grand rôle, elle écrase tout et tous.
On ne cesse de transpirer, d'être accablé, d'avoir du mal à respirer : elle donne une lourdeur et une pesanteur constantes tout au long de l'histoire.
Plus jeune, je n'avais pas apprécié à sa juste valeur le style de Camus dans ce roman. Il est pourtant extraordinaire.
Il paraît très simple, mais ne l'est pas. Cette simplicité n'est qu'apparente, c'est tout l'art de l'écrivain. Ce dépouillement, certainement fruit d'un grand travail, donne plus de force au récit que ne le ferait un style plus recherché, il est cohérent avec l'histoire et avec le personnage de Meursault.
Meursault indifférent à tout, y compris à son procès auquel il assiste comme s'il était extérieur.
Meursault jugé par tous, dès le début du roman par les pensionnaires et le personnel de l'asile lors de la veillée funèbre ; Meursault jugé finalement par la justice.
Mais a-t-il été jugé sur les bons critères ? Objectivement ? A-t-il été jugé pour ce qu'il a fait ou pour ce qu'il est ? Je pense que c'est la principale question que Camus pose à ses lecteurs.
Un court roman au style minimaliste qui m'a apporté un plaisir de lecture maximal.
Si Meursault ne ressent pas d'émotions, cette relecture m'en a donné à foison.
Vive la littérature !
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Avoir écrit ce livre magistral en 1942 m'impressionne toujours autant. Je suis heureuse d'avoir à nouveau lu ce roman après une longue absence. Un besoin de redécouvrir ce sentiment d'extranéité. En le lisant je ne peux m'empêcher de devenir autre, de me questionner sur le pourquoi de cette mort. Sur le pourquoi de cette vie. Meursault reste une énigme, lui qui ne connaît les personnes que par leur nom -Marie est Marie, pas sa maîtresse- à l'exception toutefois de « maman ». Je suis soulagée quand il crie, hurle face au prêtre car il se rapproche alors de moi. Camus et l'Algérie, ça explique ce lien particulier avec le soleil et les rides qui couvrent les visages des vieux, qui forment des rigoles quand ils pleurent aux enterrements. Meursault a tué un arabe. Un arabe. Si Camus voulait choquer à l'époque, pari gagné car comment imaginer à ce moment de l'histoire qu'un occidental puisse être condamné pour le meurtre d'un arabe en Algérie. Et je suis choquée par le mot arabe, récurrent dans le roman. Ce livre est une énorme gifle, la forme et le contenu nous bousculent, nous poussent à réfléchir à notre quotidien. Ne suis-je pas aveuglée par le soleil ?
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« Dans notre société tout homme qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère risque d'être condamné à mort » a commenté Camus, pour qui l'amour de sa mère qui l'a élevé seule à Alger est si important.
Tellement important qu'il affirme à des étudiants suédois, après avoir été pris à parti par un membre du FLN, que « Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice. »
Cette phrase, sortie de son contexte, a fait scandale, or elle fait suite à :
« J'ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s'exerce aveuglément, dans les rues d'Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. “
Et pourtant, dans l'Etranger, Camus présente Meursault, dont la première inoubliable phrase est «  Aujourd'hui, Maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas ».

Simplement, il ne se sent pas concerné plus que ça par son deuil, ni par la marche du monde, ni par le fait d'avoir tué un Arabe qui ne lui a rien fait : il ne fait pas vraiment partie de l'univers, qui lui-même n'a pas beaucoup de sens. La confrontation entre ce qui lui advient et lui-même le laisse dubitatif, de même qu'il ne sait pas s'il aime Marie ou pas (c'est quoi l'amour ?)
Rester ici ou partir, cela revient au même.
Si le monde est absurde, Meursault possède le sens du bien et du mal : il avoue à son patron que si sa mère est morte, ce n'est pas sa faute, phrase qu'il voudrait répéter à son amie Marie.
Il est le témoin proche de la relation sado-amoureuse que le vieux Salamano entretient avec son chien, se laissant trainer, puis le trainant, l'insultant, le frappant, lui interdisant de pisser, le frappant encore quand la pauvre bête pisse dans la chambre… et pleurant désemparé lorsque le chien s'enfuit.
Ce n'est pas un hasard si Camus s'étend si longuement sur ce mélange de haine et de besoin de l'autre, homme et chien étant liés depuis huit ans. Terrifiante ressemblance et chagrin fou de l'homme rempli de fiel, qui font que Meursault repense à sa mère.
Puisque l'on sait qu'il sera condamné à avoir la tête tranchée non pas pour le meurtre, mais parce qu'il n'a pas pleuré le jour de l'enterrement de sa mère, ce que Camus semble nous présenter, c'est bien l'absurdité du monde et la condamnation de la peine de mort.
Il le fait avec un style télégraphique, neutre, de même que c'est le télégramme de l'asile qui lui apprend la mauvaise nouvelle. Camus se livre au lyrisme uniquement devant la nature,  l'océan de métal bouillant qui assomme, le ciel vert, le soleil qui lui donne une ivresse opaque et aussi « une épée de lumière » qui l'aveugle : « La lumière a giclé sur l'acier et c'était comme une longue lame étincelante qui m'atteignait au front… Mes yeux étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel. Je ne sentais plus les cymbales du soleil sur mon front et, indistinctement, le glaive étincelant jailli du couteau. »
Non seulement le monde est absurde, la vie ne vaut pas la peine d'être vécue, il n'y a aucune chance, il n'y a pas d'issue, répète l'auteur, mais, de plus, chercher à donner un sens, comme le fait le procureur chrétien qui se frappe la poitrine en demandant absurdement au condamné, puisqu'il ne croit pas en Dieu : « Voulez-vous que ma vie n'ait pas de sens ? »
Question qui n'a aucun sens.  

La religion ne sert à rien, et les efforts du prêtre dont il a refusé la visite plusieurs fois, mais qui s'incruste avant l'exécution, font (enfin !) réveiller la colère chez cet étranger de lui-même, ou en termes modernes, cet homme totalement dépourvu d'ego. Colère et rage, un peu comme ce que vivait le vieux Salamano, qui n'accepte pas la mort de sa femme. Agacement à l'idée d'imaginer une « autre vie » pour compenser, devant ce mort vivant qui croit en Dieu et prétend endoctriner. « Je déversais sur lui tout le fond de mon coeur avec des bondissements mêlés de joie et de colère. Il avait l'air si certain, n'est-ce-pas ? Pourtant, aucune de ses certitudes ne valait un cheveu de femme. Il n'était même pas sûr d'être en vie puisqu'il vivait comme un mort. Moi, j'avais l'air d'avoir les mains vides. Mais j'étais sûr de moi, sûr de tout, plus sûr que lui, sûr de ma vie et de cette mort qui allait venir ».
Espérer une vie éternelle aurait-elle donné un sens à la vie de l'étranger ? Non, sûrement non.
Refuser les consolations, voila le seul destin, puisque nous sommes tous des condamnés à mort.

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L'étranger d'Albert CAMUS.
C'est bien dès lors que nous nous trouvons devant une situation que nous ne comprenons pas que nous lui prêtons de l'absurde. Mais il faut bien que l'homme meurt pour que se tisse la toile d'une tragédie et que l'histoire commence. Ici ce n'est pas l'étranger qu'on juge, mais l'étrangeté. Voilà un type qui sort du lot. Il ne sait pas quand sa mère est morte et il va voir un film comique. Il vient de tuer un homme et il veut se marier avec une fille qu'il n'aime pas. C'est bien cette différence qui va l'établir en coupable et d'ailleurs il se pelotonne tranquillement dans cette position. Absent il sera et peut-être absent il l'a toujours été. Que sait-on en effet des liens qui l'unissaient à sa mère. Il ne sait plus quand elle est morte. Est-ce hier, avant hier ? L'a-t-il jamais située en quelque place ? Cette femme qui fut sa mère. Existait-elle déjà avant ? Dans le temporel de son existence. J'ai l'impression que les faits nous sont livrés, sinon pour nous froisser pour réveiller notre entendement. En nous incitant à pénétrer dans cet univers Albert Camus nous interroge peut-être sur l'échelle des valeurs qui sont les nôtres et sur précisément notre capacité de discernement. Car on ne peut pas dire que le juge y excelle en matière d'entendement ! Ni même l'avocat de Meursault qui lui conseille d'emblée le silence, ce avant même la parution. On sent bien qu'il n'y a aucune impartialité dans ce tribunal. Que la culpabilité a déjà été établie et qu'elle s'ajoute, se surajoute au crime finalement. Un crime qui ordonna la parution, mais dont on ne parle pas ou si peu. L'instance présente ici n'est validée que pour le seul prononcé du verdict. D'ailleurs, toute la profondeur du récit réside bien là, en ce lieu qui réuni le coupable, ses juges et le public. C'est toute la société des hommes qui se trouve là confrontée devant la différence de cet homme. Un homme qui s'expatrie de leur communauté. Tout d'abord Meursault écoute le juge et tandis qu'il voudrait s'exprimer, il entend la voix tonitruante qui résonne dans l'assemblée et qui lui dresse un portrait peu alléchant. Les réquisitoires s'enflamment et les mots fusent comme des flèches empoisonnées. Meursault s'échappe. C'est encore une fois ce corps qui parle pour lui-même. Il a chaud et les phrases glissent sur lui, celles des juges, des témoins et même celles de son avocat. Non il n'est plus là ! La chaleur l'accable à nouveau et son esprit s'évade en quelques clairières ombragées. Tandis qu'à hauteur de l'indifférence du coupable la sentence est sévère. le discernement du juge tiendra surtout de la considération du manquement d'un fils envers sa mère. de constater sa légèreté dans des circonstances si peu adaptées. Meursault ne pleure pas car il n'a pas de sentiments dit-il. Il emploiera un drôle de qualificatif pour expliciter ses relations avec Marie qu'il appellera sa maîtresse. Veut-il se rassurer lui-même ou se démarquer de l'étranger quand cyniquement il en rajoute. Et la justice en effet d'ourdir une peine sévère, l'ultime pour Meursault qui s'éveille juste à l'énoncé du verdict. C'est une oeuvre que dis-je un chef d'oeuvre que ce livre, l'étranger d'Albert CAMUS.
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