Les 4 lettres à un ami allemand de ce court ouvrage, sont parues pour 3 d'entre elles dans la clandestinité entre 1943 et 1944, avant d'être publiées en très peu d'exemplaires à la libération. Pendant longtemps, elles ne furent pas réimprimées, conformément à la volonté d'Albert Camus. Il s'en explique dans la préface de l'édition italienne. Ces lettres "avaient un but qui était d'éclairer un peu le combat aveugle où nous étions et, par là, de rendre plus efficace ce combat." dit-il. Il rajoute : "Lorsque l'auteur de ces lettres dit « vous », il ne veut pas dire « vous autres Allemands », mais « vous autres nazis ». Quand il dit « nous », cela ne signifie pas toujours « nous autres Français » mais « nous autres, Européens libres ». "
Pacifiste dans l'âme, il ne souhaitait sans doute pas qu'il y ait d'amalgames et que ces lettres soient interprétées comme un règlement de compte entre 2 peuples. Il y dénonce au contraire l'absurdité d'un combat, mais aussi le devoir de défendre certaines causes. Il oppose principalement 2 idéologies, celle de la grandeur à celle de la justice, et affiche son amour de la vie. Très beaux textes. Intemporels.
Dans ces jours troublés par cette guerre meurtrière et inhumaine que le criminel Poutine, avec son armée russe, inflige au peuple ukrainien, aux portes de notre Europe qui n'avait pas connu un tel drame depuis 80 ans, je vous invite à lire ces Lettres à un ami allemand qu'Albert Camus écrivit dans la clandestinité durant la seconde guerre mondiale, et re- publiées après la guerre, avec une préface précisant que par « vous », il fallait comprendre nazi et non le peuple allemand, et par « nous », non les français, mais le peuple européen libre.
Remplacez ami allemand par ami russe, français par ukrainien, gardez la notion de peuple européen libre, et vous serez sans doute, comme je l'ai été, saisis de l'actualité de ces quatre lettres admirables, mais aussi réconfortés par elles.
Car vous y découvrirez, même si le contexte n'est pas le même, que le moteur de la domination par la violence pour justifier « l'amour » de son pays, en réalité le fantasme de la puissance de son pays, est à l'oeuvre dans la guerre menée par les responsables russes contre le peuple ukrainien.
Et que le choix de la réponse violente au nom de ces valeurs primordiales que sont la justice, la vérité, la liberté, porte en lui-même sa victoire.
Et que l'absence d'humanité, la volonté de faire de l'ennemi un objet à détruire, portent en elles-même leur défaite.
Et enfin, vous serez sans doute, comme moi, admiratifs du plaidoyer de Camus pour une Europe qui ne soit pas faite de territoires, de valeurs économiques, mais de valeurs humaines à partager, et d'une certaine idée du bonheur. La guerre qui s'invite en Europe a au moins le mérite de nous le rappeler.
Dans ces Lettres, Camus reprend ce genre épistolaire oublié qu'avaient
par exemple pris avant lui Pascal dans ses Provinciales ou Montesquieu dans ses Lettres Persanes, et ce choix donne à son propos une force de conviction extraordinaire.
Nous n'avons plus hélas, parmi nous, un Albert Camus comme conscience exigeante pour notre époque, qui doit se contenter, entre autres, du vibrionnant et superficiel BHL ou de l'ambigu Mr Onfray.
Mais il nous reste ses écrits et ceux-ci sont, je trouve, à lire et relire d'urgence.
Et pour finir, je ne voudrais pas finir mon propos sans citer ces deux phrases, l'une du poète René Char, un grand ami d'Albert Camus:
« Toute l'autorité, la patience et l'ingéniosité ne remplacent une parcelle de conviction au service de la vérité. »
Et l'autre de cet homme qui fut pourtant l'apôtre de la non-violence, Ghandi:
« Si j'ai à choisir entre la lâcheté et la violence, je choisis la violence. »
Ce court recueil contient quatre lettres d'Albert Camus à l'un de ses amis allemands, lettres qu'il a écrites de juillet 1943 à juillet 1944, donc en pleine Seconde Guerre mondiale, donc obligatoirement publiées à l'époque de manière clandestine.
Ici, Camus exprime sa manière de voir son raisonnement quant à l'inévitable dénouement de cette guerre, les erreurs qui ont commises par l'ennemi et leur doctrine à laquelle les résistants ont refusé d'adhérer.
Ce qu'il faut absolument avoir à l'esprit en lisant cet ouvrage (ce qui est d'ailleurs bien précisé dans la préface de l'édition italienne et qui est retranscrit ici), c'est que le "vous" qu'emploie Camus ne s'adresse pas au peuple allemand tout entier mais uniquement aux nazis et que le "nous" ne s'adresse pas nécessairement à tous les français mais uniquement aux européens libres. Ce que veut dire Camus, c'est qu'il n'y avait pas d'un côté les méchants (les allemands) et de l'autre les gentils (les français). C'est en ce sens-là que j'ai beaucoup apprécié la vision que Camus avait déjà à l'époque, à savoir qu'il n'était pas quelqu'un de manichéen et qu'il savait très bien, que, même en temps de guerre, il ne faut pas tout mélanger.
Un très bel ouvrage avec un unique regret, c'est que nous n'ayons que les lettres de Camus et non les réponses, la vision du côté allemand. A découvrir !
Monsieur Camus,
Vous l'avouerai-je ? Vous m'avez touchée émue retournée.
Sans doute, ce n'était pas votre but ; plutôt celui de faire réfléchir. eh bien là aussi, je suis touchée. Bien sûr, l'Allemagne nazie n'est plus. Pourtant cet appel à la résistance, les raisons invoquées, l'absence de haine, mais la présence de colère (contenue mais présente) résonne et vibre aujourd'hui encore. Encore et toujours nous devons lutter pour ne pas tomber dans l'infamie, pour la justice et la liberté.
Nous devrions vous donner une place plus grande, vous avez beaucoup à nous dire, même du fond de votre silence. Votre voix, par vos textes, lucide, simple, claire, exigeante sans jargon; devrait s'élever au-dessus de tous ces experts, financiers, banquiers. Au-dessus de ceux qui font l'Europe d'aujourd'hui. Car elle vous attristerait, bien loin de vos projets humanistes ; j'avoue que j'ai beaucoup de mal à y croire, à cette grande Europe. Car si l'ennemi a changé, il est toujours là. Beaucoup plus insidieux que les bottes nazies, il contamine tout, il détruit tout. Pour des promesse encore plus fumeuses que celles de l'excité à moustache que vous avez eu le courage de combattre.
Merci pour cette bouffée d'air. Merci de m'avoir démontré une fois encore que courage et intelligence son capables de beaucoup. Et longtemps. Merci de m'avoir redonné courage.
Avec les "Lettres à un ami allemand", Camus montre, encore une fois, qu'il est un humaniste engagé, absolument pas doctrinaire, uniquement soucieux d'humanité, et de justice, profondément empathique, avec tous les autres êtres humains.
Ces reproches aux nationaux-socialistes, révèle un homme d'une grande humanité, jamais simpliste, toujours profondément empathique, humaniste, humain, de façon inaltérable.
Avec les "Lettres à un ami allemand", Albert Camus, force le respect !
L´Etranger s´ouvre sur cet incipit célèbre : "Aujourd´hui maman est morte...