Citations sur Entre les bruits (13)
Cette joie, cette joie folle de faire chanter le corps d'une femme, de tirer d'elle ces sons, le sentiment – est-ce de puissance ? Non, rencontre d'un instrumentaliste habile et d'un instrument sensible, qui échangent tour à tour leur rôle – oui, cette expérience incomparable d'atteindre l'autre, minutieusement, obstinément, au plus intime, et la preuve, cette belle preuve du chant qui en surgit...
Concentre-toi en toi-même, petite fille, puis ensuite oublie-toi, deviens un instrument à capturer les sons, fais de la conque de tes oreilles le plus bel instrument pour écouter tour à tour le chant des étoiles et la rumeur du monde.
J'ai presque eu une crise
de bonheur.
Les silences correspondent assez bien à ce que les peintres appellent des réserves, ces parties de la toile qui ne sont pas peintes. Une réserve, c'est joli, non ? Eh bien le silence est notre réserve, à nous compositeurs, où nous restons en retrait, mais aussi notre réserve de sons, l'endroit d'où jaillira leur profusion. Nous devons savoir apprécier ce silence particulier qui précède l'apparition de la ligne sonore : il contient la promesse.
– Et le réchauffement climatique...poursuit Barbe. On a l'impression que tout conspire... tout conspire au désastre final.
– Dire qu'on est peut-être les derniers, soupire Jérôme. Après tout, le monde a commencé sans nous, il peut bien finir pareil, avec juste quelques loups énormes chassant des lapins volants et des icebergs à la dérive sur tous les océans.
Elle dit qu'elle n'entend pas son pic-vert trop lointain mais les oiseaux pépiant, les feuilles qui bruissent, les galops des petits animaux au sol, les griffes sur les branches (les écureuils), des craquements (peut-être des noisettes), des claquements, des clappements, des crissements, des froissements, des glissements – des bruits intéressants mais si nombreux, ça enfle, le vent dans les feuillages dessine comme un long ruban sonore qui s'amenuise dans le lointain, les pas créent un matelas bourdonnant sur le sol, deux oiseaux se disputent sous son nez, l'air est plein à craquer – elle doit fermer les oreilles pour se reposer.
Pas d'être si désirable dont on ne se lasse.
Ainsi entendez-vous que c'est une œuvre, et non la confuse rumeur des choses. Le monde n'est qu'un chaos que les œuvres musiquent.
Il vient de se poster près de son écoutoir et lui prend la main. Les résonnances emplissent l’air autour d’eux, il croit qu’ils partagent l’écoute, qu’ils sont comme deux huitres lovées dans la coquille du monde, indistincts, reliés, les sons circulent, rebondissent ou s’étalent, les traversent et rien, dans l’air si doux, ne fait obstacle à leur passage. P 166
Ce matin je me suis demandé si je me rappelais encore sa voix. La voix : c’est pour ça que je raconte ce rêve. Et je n’en étais pas certaine. Je cherchais à l’entendre, intérieurement, et, oui, je crois que je l’ai reconnu sa voix lorsqu’il me donnait mes noms d’affection. Clo par exemple, avec une insistance sur le O allongé et très rond. Ou bien, Tilda, et déjà je ne peux plus t’expliquer comment il le prononçait. Je me rends compte que nous n’avons à notre disposition aucun terme qui permette de désigner les inflexions de la voix. Si j’en avais eu, j’aurais pu comparer ce que je me remémorais ce matin avec ce que je percevais de son vivant. Par exemple j’aurais dit qu’il avait une voix assez jaune, avec une frange de gris à droite et des nuances violettes dans la fréquence 500 : tu vois, je ne trouve que les expressions du monde visible pour parler du monde sonore. Pp89-90