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Citations sur Le don du passeur (29)

Je crois que j'ai eu envie d'écrire ce livre parce qu'un jour, dans un train, me rendant à un colloque de psychanalystes autour de mon essai -Le Sentiment d'imposture-, j'ai réalisé à quel point il -savait aimer-. Je lisais le résumé d'une conférence où l'auteur évoquait un épisode de la vie de Freud, un voyage entravé par une loyauté à l'égard de son père, et j'ai pensé combien le mien avait su m'autoriser à grandir, et d'abord en me permettant de m'affranchir de
lui. A présent je me dis qu'ici se trouve peut-être le fondement de mon entreprise, dans mon émerveillement devant son étonnante intelligence du coeur, émerveillement assez puissant pour m'avoir incitée à tenter son portrait. (p. 108)
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L'homme qui jeûne-

J'ai inventé un homme qui jeûne pour rien, c'est-à-dire pour hurler silencieusement Non à la vie et au désir, un homme paradoxalement si désirant qu'il ne vit pas à n'importe quel degré d'intensité, et qui est capable d'obliger son corps à proférer ce Non général. D'une certaine façon, j'ai quand même été fidèle à l'histoire réelle, car c'est bien ce qui arriva à mon père, cette chute radicale du désir de vivre et cette utilisation du corps pour signifier. Et c'est bien mon père, cet homme de feu tombant dans la négativité pure: je veux dire que c'est parce que j'avais en tête son modèle que j'ai pu concevoir pareil personnage, croisement d'ardeur et de mort. (p. 104)
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Il en restait ce sentiment d'étrangeté qui nous faisait parcourir le monde en retenant notre souffle- et en nous émerveillant.
Une qualité de lumière, ou de silence, un arbre, un objet surprenant, les couleurs d'un paysage, tout était matière à enchantement. Par les promenades nous avions l'occasion d'apprendre à voir et à sentir. Chemin après chemin, clairière après clairière, mon père nous transformait en spectateurs attentifs de la beauté du monde. regarde, regarde ! Ecoute ! Sens ! (p. 32)
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(...) aucune importance, c'était une chose entre nous, une de ses multiples interventions gratuites dans le monde. Gratuites: il était de ceux qui aiment les actes commis simplement pour la beauté du geste. (p. 89)
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Mon père (...)) était pourtant fier de moi- quoique pour rien au
monde il n'eût parlé de mes livres à quiconque: il aurait eu l'air de
se vanter, disait-il, ou pire, de s'attribuer un mérite alors qu'il n'était
"évidemment" pour rien dans mes réussites.
Il avait raison, en ce qu'il ne m'a jamais suggéré de publier des livres, mais il avait tort, puisqu'il m'avait mis la plume à la main,les mots au coeur, et m'avait appris à regarder le monde. Quoi qu'ilen ait pensé, je suis depuis longtemps persuadée que je réalise, disons, son voeu inconscient. (p. 133-134)
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Ai-je tout dit ? Mais non ! Sait-on comment se bâtit le désir de vivre ? (p. 142)
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Il était beau, très. [le père de la narratrice] Mais aucune photo où il sourie. Son visage irradie la mélancolie. Ou l'inquiétude. Les deux. J'ai remarqué que souvent les gens trouvent leurs parents beaux sur les photos, peut-être simplement parce que, la distance temporelle leur permettant de les voir comme des étrangers, ils sont étonnés de les découvrir si frais- dotés de cette beauté ordinaire de la jeunesse. (p. 10)
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Il sentait comme les faibles, tous les faibles, car il était l'un d'eux. Or nous savons la puissance de la fragilité: c'est celle du Christ qui loue les simples d'esprit et les enfants, et fait exemple de sa vulnérabilité. Tout processus de civilisation, organisant le recul de la violence et de la barbarie, est permis par le fait de se placer du côté du moins fort, et de sentir avec lui. Le grand civilisé est celui qui se connaît faible. (p. 64)
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Dans une fratrie, aucun n'a exactement le même père, mais mes frères et ma soeur reconnaîtront le nôtre. Ils sont heureux que j'écrive ce livre (...)
Nous pensons qu'il s'agit de "rendre" quelque chose, comme on dit à la fois rendre un paysage, rendre hommage, rendre justice et restituer. (p. 11)
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Par ailleurs, quand il avait des maux de tête, je l’ai souvent entendu dire qu’il redoutait de devenir fou. Je présume qu’il exprimait ainsi, sans en avoir bien conscience, son sentiment de décalage et son incompréhension du monde. Je me rappelle mon étonnement, ou plus exactement ma surprise mêlée de désapprobation, la fois où, dans les dernières années, il désigna un clochard à mon neveu (ou bien le clochard s’était-il imposé à nos yeux et il en fut embarrassé) en lui disant avec un petit rire gêné : "C’est un fou." Réduire l’exclusion sociale à un trouble psychique (ils vont parfois de pair, mais pas forcément) me paraissait étrange et faux. Avantage d’une mémoire défaillante, je peux conclure de la persistance d’un souvenir qu’il doit posséder pour moi un sens et une force peu communs ; si j’essaie d’analyser la teneur de celui-ci, je devine qu’il me touche parce que le clochard n’était pas un personnage anodin chez nous. Il y avait un "devenir-clochard" chez mon père (misère, mon doigt coquillant venait d’écrire "chez moi" sur le clavier de l’ordinateur), dont il ne fut sauvé, je crois, que par l’origine méditerranéenne de notre famille, c’est-à-dire par l’immédiate mise en œuvre d’une solidarité familiale, exacerbée par l’amour de sa mère, qui le préserva de la déchéance. Ailleurs, il eût peut-être plongé. Ce devenir-clochard était suffisamment fort pour qu’un de mes frères – de cela aussi je me souviens le cœur serré – me montrât un jour un dessin que j’ai longtemps conservé, où il s’était représenté lui-même en clochard affalé au bord d’un chemin, en me disant que la figure exprimait une crainte fantasmatique. C’était d’autant plus saisissant que mon frère terminait à cette époque des études brillantes dans une grande école d’arts appliqués, et que rien de concret n’indiquait qu’il aurait jamais à affronter pareil destin… Mais on est héritier, toujours, des désirs et des peurs, du meilleur comme du pire, et puis l’on passe sa vie à faire le tri – garder la force et conjurer les freins, déjouer les loyautés paralysantes – pour atteindre ce qui nous permet de ne pas démériter de l’aventure humaine : la capacité de réinvention permanente.
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