Regarde ! Regarde !
Ce titre.
C'est un verbe, une action, un engagement.
C'est un cadeau.
Et quel cadeau !
La vie.
Ouvrir son regard, tout entier sur l'extérieur, accueillir, recueillir en son coeur la beauté du monde qui l'attend, qui l'espère, ... Oui mais, le livre ?
Belinda Cannone défini son texte comme un essai. J'en lis très peu, je ne recherche pas tant la connaissance. Si je peux me permettre il se serait appelé en un temps plus ancien Petit traité de l'émerveillement, plus en adéquation avec la générosité qui s'en dégage. le texte est en effet facilement abordable, plaisant, agrémenté d'anecdotes le rendant plus accessible si besoin en était et d'une intention toute bienveillante pour le lecteur, tout en creusant profond. Suffisamment rare dans le genre essai pour le signaler.
L'émerveillement est souvent un "arrêt sur image". Aussi vais-je concentrer ma chronique sur la photo le mont-Saint-Michel, porte d'entrée à marée haute, vers 1895, d'Henri Magron qui m'avait juste parue un peu triste au premier coup d'oeil : bof il a plu, ou il bruine. Alors j'ai lu ce regard vigilant de la poétesse qui s'exprime ainsi p.47 "C'est une fenêtre sur la mer. Granit noir et reflets humides, courbes et lignes droites. Puissance du minéral atemporel et monumental autour du petit homme frêle. La muraille encadre le pêcheur et ce non-moi extrême : la mer. de nature très différente, ils sont pourtant parfaitement ajustés. Bien sûr qu'il s'agit d'un pêcheur : voyez son panier. Et surtout, comme dans un hiéroglyphe, la barque qui flotte au-dessus de sa casquette indique sa fonction."
Hiéroglyphe : à ce signe mon regard s'est aiguisé, alors j'ai vu. La barque, le panier, la pluie bel et bien disparue, la lumière plus vive. Soudain j'ai vu la côte au loin, la poutre au-dessus du seuil, de la barque et de la côte, ensemble d'horizontales ; et puis les verticales : piliers de la porte, et dans le coin des mats, soudain le petit homme n'est plus écrasé par son fardeau mais vient rejoindre les verticales, capable d'élévation. Oui de quoi
s'émerveiller, et plus encore devant le regard vigilant du photographe qui a su capter ce moment éphémère où ce petit homme habite le monde.
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Petit aparté sur cette journée à Paris durant laquelle cette amie Babeliote me connaissant bien a eu la délicatesse de m'offrir ce bel ouvrage. Ce matin d'avril dans le train Maubeuge-Paris, une petite-fille dessinait à côté de moi. Son dessin n'était pas spécialement joli. Non, l'instant magique eut lieu quand elle me présenta d'un air grave son feutre. « Dis Monsieur, tu veux bien me l'ouvrir, je n'y arrive pas. » Et de suite après que je lui rendis, elle, avec un grand sourire et « les yeux qui brillent » : « Merci ! » Voilà.
J'ai été charmé par la chaleur de l'accueil de Valérie (à la gare du Nord), son touchant empressement (Ah, Ah ! Cela reste secret 😊) à m'amener au plus vite au Quai d'Orsay (le musée qu'allez-vous chercher), me partager avec un joyeux enthousiasme ses coups de coeur et me détailler La pie de Monet « Son » (marque évidente d'un émerveillement) tableau qu'elle aime à faire découvrir ainsi que quelques sublimes beautés cachées du musée. Visite au pas de charge de l'Orangerie, Valérie avait dû avaler sa montre au petit-déjeuner 😊 (à moins que ce ne soit Paris), pour ensuite nous précipiter (Ah, le beau paradoxe !) au Père tranquille. En chemin, sans même nous en apercevoir, nous venions de louper une extraordinaire occasion de nous émerveiller du chant inédit des oiseaux dans cet air de printemps d'un Paris exceptionnellement sans véhicules motorisés. Comme le dit si bien Bookycooky dans sa critique : question de réceptivité.
Mais ensuite. Quelle surprise ! Pascal me passa son portable pour un coup de fil tout à fait inattendu. Il a suffi d'un rien, une attention et comme souvent un lien direct avec la spontanéité (tiens, je m'attendais à ce que l'auteure le mentionne, d'autant que la perte de cette capacité innée à
s'émerveiller me semble intimement liée avec cette érosion de la spontanéité venant selon moi des peurs, hélas des peurs apprises). C'était une personne très spéciale au bout du fil : en pleine ballade, il faut la voir en une seconde comme un chien à l'arrêt, et de suite un coup de coude : « Regarde ! C'est joliii ! ». Ou alors la voilà trottinant et te mettant un galet récupéré au bord de la mer : « C'est rigolo, non ? » Tellement vivante.
Car bien qu'ayant eu un petit moment d'émerveillement en faisant la file pour aller aux toilettes (c'est qu'il s'en passe des choses inédites et surprenantes dans les files), je dois bien avouer que ma capacité s'est de beaucoup émoussée (à mon grand regret et malgré le savoir brassicole belge). Cependant, je suis toujours aussi profondément heureux de la repérer chez d'autres, comme aussi chez cette Babeliote qui à l'époque n'était pas encore mon amie mais dont la chaleur de la voix et la pétillance du regard se mêlaient à l'intelligence de coeur et l'optimisme des propos, marques d'une pratique fréquente.
Ainsi je peux refermer cette parenthèse sur un double Je vous salue Marie.^^
Les souvenirs de ces beaux moments de partage ont ressurgi au fur et à mesure de ma lecture. Six mois après. En effet dans le train du retour après avoir feuilleté et regardé les photos je décidai de me consacrer au paysage et …. d'attendre. "Octobre se montrant clément, j'en profitais pour ..."p.7 lire en parfaite synchronie.
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« Nombreux sont ceux qui traversent le monde sans le voir … » p.50 sans le sentir, sans l'entendre ; alors quelques chansons évocatrices :
Henri Salvadore
L'abeille et le papillon
https://www.youtube.com/watch?v=vD1kyM9h7EI
Faire des ronds dans l'eau
https://www.youtube.com/watch?v=Oo1YWi5tVaU
Charles Trenet
La mer
https://www.youtube.com/watch?v=PXQh9jTwwoA
Jean Ferrat
C'est beau la vie
https://www.youtube.com/watch?v=lklP95xIEpo