AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782354802325
240 pages
Editions Amsterdam (17/09/2021)
4/5   2 notes
Résumé :
Lorsqu’ils ont colonisé l’Afrique, les Européens y ont imposé leur conception idéologique du langage. Pour eux, les pratiques langagières ne pouvaient être appréhendées qu’au prisme d’un ordre de la langue instituant l’essor d’une culture nécessairement nationale. Cette idéologie s’est traduite par la mise en œuvre d’un véritable impérialisme linguistique : outre l’imposition des langues européennes, les missionnaires, puis les administrateurs coloniaux ont façonné ... >Voir plus
Que lire après Provincialiser la langueVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Une superbe analyse historique de la manière dont la colonisation alla de pair avec une conception idéologique du langage, et une recherche audacieuse de pistes d'émancipation toujours à renforcer.


Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/07/22/note-de-lecture-provincialiser-la-langue-cecile-canut/

Découvert à l'occasion de la rencontre croisée avec Michael Roch et son « Tè Mawon », organisée à la librairie Charybde (Ground Control) il y a quelques semaines, « Provincialiser la langue » est le septième ouvrage de Cécile Canut, universitaire en sciences du langage spécialiste des caractéristiques sociolinguistiques de l'Afrique de l'Ouest mais aussi de la circulation des discours autour des Roms en Bulgarie et en France. Publié aux éditions Amsterdam en 2021, sous-titré « Langage et colonialisme », il nous offre une analyse pénétrante et monstrueusement documentée de la manière dont la langue et les langages ont été et sont un enjeu de pouvoir essentiel dans l'asservissement, feutré ou brutal, de populations, et partant dans les émancipations conduites ou toujours à conduire.

En examinant de près les conditions politiques et historiques de la dévalorisation des langues natives (Ch.1 : « Des langues bonnes pour chanter et faire la cuisine ? »), la pratique agressive de la scolarisation orientée (Ch. 2 : « Coloniser par l'école en français »), l'instrumentalisation du patrimoine linguistique colonial pour pérenniser une situation politique pourtant a priori caduque (Ch. 3 : « Je m'en fous la langue ! : la francophonie en Afrique ») et la pratique adroite des hiérarchisations poursuivant le travail colonial (Ch. 4 : « Standardisation linguistique : l'importation du modèle de la langue »), Cécile Canut démontre pas à pas les mécanismes de fond qui ont été mis en oeuvre, consciemment dans beaucoup de cas, plus indirectement voire par inadvertance dans quelques situations, pour assurer une sujétion sociolinguistique d'autant plus forte qu'elle savait souvent être insidieuse et pseudo-rationnelle.

Cécile Canut va toutefois significativement plus loin dans son analyse historique et politique, puisqu'elle montre les montages pernicieux ayant travaillé au corps le statut écrit / oral des langues colonisées (Ch. 5 : « L'invention de l'oralité, de la tradition et le déni de contemporanéité »), composante encore tout à fait contemporaine d'une « Afrique ambiguë » qui place régulièrement les autrices et auteurs du continent et de la diaspora face à de redoutables dilemmes. C'est bien de ces dilemmes en forme de ruses de la raison qu'il s'agit de sortir, et c'est bien le sens des deux derniers chapitres de l'ouvrage (Ch. 6 : « L'expérience du langagiaire », qui décortique avec inventivité le nouchi abidjanais, et Ch. 7 : « Théorie et pratique du langagiaire », qui en esquisse les voies de généralisation). Et c'est ici également que, en un dialogue à distance imaginaire avec Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau, incarnés le temps d'une soirée d'échanges littéraires et politiques en Michael Roch et en son « Tè Mawon », toute la pertinence du travail de créolisation et d'affirmation du « Tout-Monde » à partir de son ancrage initial antillais apparaît, prenant tout son sens et sa résonance vis-à-vis de ce précieux « Provincialiser la langue ».

Lien : https://charybde2.wordpress...
Commenter  J’apprécie          20

Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Les locuteurs ne cessent, collectivement, d’agencer de nouvelles manières de faire et de dire. Là se situe la praxis langagière qui débouche sur des formes de subjectivation. La disposition à donner des indications sur le dire en train de se faire en même temps que l’on parle, ce qui relève donc de la réflexivité permanente du sujet parlant, offre la possibilité à tout interlocuteur d’inventer de nouvelles formes linguistiques. Ces nouvelles formes ne peuvent se cantonner à des inventions lexicales ou phonologiques, certes très prisées par les sociolinguistes : elles portent sur l’ensemble de ce qui fonde la production de sens et le jeu langagier.
Ce double processus que je formule à travers la notion de langagiaire suppose un impératif incontournable : il est impossible de faire l’économie de l’étude des imaginaires des locuteurs sur les pratiques langagières pour comprendre ces dernières. Ce langagiaire qui nous porte vient en contrepoint à la singularité que Dipesh Chakrabarty évoque à plusieurs reprises – laquelle ne s’appréhende jamais par des dichotomies, des différences, des binarités ou du discontinu. Au contraire, elle suppose un jeu permanent entre celle ou celui qui parle et celles ou ceux qui écoutent, constitué d’un agencement opérant entre des fragments de dialogues, de sons, d’intonations, de gestes, de regards, etc.
Le langagiaire a pris du temps à se matérialiser dans ma pensée du langage. Inscrit dans des scènes fondatrices, celui-ci doit se redoubler, se répéter, s’expérimenter de manière toujours singulière. L’élaboration signifiante nécessite de se déporter dans l’ailleurs du langage, cet espace dont l’ordre-de-la-langue ne peut faire un point aveugle : elle ne peut que s’orienter vers cette extrapolation langagière au travers des interstices qui nous permettent d’inventer, de créer, de jouer. C’est l’une des voies de la subjectivation, cette force d’émancipation qui, par petites ou plus grandes touches, nous transforme et transforme le monde dans lequel nous vivons et agissons.
Commenter  J’apprécie          10
En France, dans les espaces privés comme publics, il est fréquent d’entendre des manières de parler différentes du français. Pourtant, la fluctuation langagière s’y voit régulièrement dépréciée, qu’il s’agisse des pratiques liées à des spécificités régionales, locales, ou des usages de langues étrangères liés à des appartenances plurielles. « La seule vraie langue de la République est le français », martèlent les défenseurs de la langue-nation à intervalles réguliers, en référence à la constitution française qui, en 1992, a institutionnalisé cette langue comme celle de la République. Si « les langues régionales » demeurent tolérées, puisqu’elles ont été, au cours des siècles, réduites à l’état de folklore, les langues étrangères, et particulièrement les langues des locuteurs issus de l’immigration, sont la cible des plus vifs dénigrements. Qui n’a pas été témoin, dans les transports en commun ou dans les services publics par exemple, de réflexions, ou tout simplement de mimiques d’exaspération, de la part de personnes ne supportant pas que d’autres s’expriment dans des langues africaines ? Ces petits signes du quotidien renvoient directement aux effets d’une politique linguistique à visée strictement monolingue, qui enjoint tout locuteur du français dit « langue maternelle » à relayer sa dimension coercitive, à faire la « police de la langue ». Plus encore, ce n’est pas seulement le français qui constitue la seule marque d’appartenance à la nation, mais la norme prescriptive du français, soit une seule façon de le pratiquer, correspondant au français standard, normé et supposé « neutre ». Cette norme imposée constitue une ligne de partage social entre des personnes dites cultivées et les autres, cette langue étant supposé porteuse de qualités intrinsèques utilisées comme marqueurs de différenciation sociale.
Commenter  J’apprécie          00
Comment cette histoire du langage s’est-elle matérialisée ? De quelle manière les discours et les actes politiques ont-ils abouti à une telle conception des langues africaines, congédiées hors de la modernité ? Pourquoi le français reste-t-il, soixante ans après les Indépendances, la seule langue officielle des pays anciennement colonisés par la France ? Cet ouvrage a pour ambition de parcourir et d’observer les maints détours de « la bibliothèque coloniale » qui a contraint les pays d’Afrique de l’Ouest, que certains nomment encore « francophones » quand bien même le français y est assez peu utilisé, à adopter une conception politique monolingue de la nation. Étonnamment, malgré l’imposition du français comme unique langue officielle (par le biais de l’école notamment) et contrairement à ce qui s’est passé en France, les pratiques langagières africaines n’ont pas disparu. Au contraire, ces pratiques demeurent d’une extrême vitalité et la « glottophagie » déplorée par Louis-Jean Calvet n’a pas eu lieu. Ni dévoration, ni éradication, ni guerre des langues : l’effet de la politique coloniale linguistique a été très différent de celui qui a fait quasiment disparaître les pratiques régionales en France, certes sur une durée bien plus longue et selon des modalités tout à fait différentes. Si les répercussions de la colonisation par la langue sur le paysage sociolinguistique africain n’en restent pas moins fortes, je fais l’hypothèse que la résistance, voire l’indifférence, à l’imposition de la langue coloniale provient d’une conception du langage spécifique aux contextes où les pratiques hétérogènes locales n’ont pas fait l’objet d’une standardisation à valeur hégémonique.
Commenter  J’apprécie          00

Video de Cécile Canut (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Cécile Canut
Langue, Cécile Canut, Anamosa (https://www.librest.com/livres/langue-cecile-canut_0-7277856_9782381910123.html?ctx=13aeb614561eb620aa995ffa8ad89141)  Cécile Canut (https://www.librest.com/livres/auteurs/cecile-canut,0-1377274.html) enseigne à  l'université de Paris. Elle a orienté sa recherche sur les imaginaires linguistiques en Afrique (Mali), sur la mise en scène des migrations (au Cap-Vert) puis sur les pratiques de discrimination vis-à-vis des Roms (Bulgarie). Prônant une anthropo-linguistique politique, elle défend une vision engagée de la recherche. Elle a publié notamment le Langage, une pratique sociale. Élément d'une sociolinguistique politique en 2018 (avec Manon Him-Aquilli, Felix Danos, Caroline Panis au PUFC), Mise en scène des Roms en Bulgarie. Petites manipulations médiatiques ordinaires en 2016 (éditions Petra) ; Une langue sans qualité (2007), le Spectre identitaire. Entre langue et pouvoir au Mali (2008) aux éditions Lambert Lucas ; en septembre paraît, en septembre 2021, Provincialiser la langue. Langage et colonialisme (éditions Amsterdam). Elle est également réalisatrice de films documentaires.
+ Lire la suite
autres livres classés : colonialismeVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (3) Voir plus



Quiz Voir plus

Philosophes au cinéma

Ce film réalisé par Derek Jarman en 1993 retrace la vie d'un philosophe autrichien né à Vienne en 1889 et mort à Cambridge en 1951. Quel est son nom?

Ludwig Wittgenstein
Stephen Zweig
Martin Heidegger

8 questions
156 lecteurs ont répondu
Thèmes : philosophie , philosophes , sociologie , culture générale , cinema , adapté au cinéma , adaptation , littératureCréer un quiz sur ce livre

{* *}