Sur la couverture, sous la photo de Jil Caplan, l'éditeur a sous-titré "le Rock et le le spleen". C'est une belle formule, moi j'écris "Nostalgique et vibrant". "Le Feu aux joues" est une suite de courts textes, de petites nouvelles qui dessinent (à peu près chronologiquement) le parcours d'une jeune femme de son adolescence dans les seventies à son entrée dans la scène rock dans les années 80, le tout à Paris. C'est un récit. Tout est peut-être vrai. C'est sincère et pudique à la fois. Joliment écrit, sans prétention, mais avec justesse. C'est surtout un beau voyage dans nos souvenirs en même temps que dans ceux de l'interprète de "Comme sur une balançoire" ou "Tout ce qui nous sépare". J'ai aimé jouer à la correspondance entre son histoire et ma mémoire, moi qui suis un peu plus jeune, mais qui ai découvert ses albums à l'époque même de leur sortie. J'ai beaucoup aimé les titres des chapitres qui renvoient à une chanson (rock le plus souvent) que j'avais alors en tête ou que j'allais récouter ou parfois découvrir. J'ai dévoré ce récit et le commande chaudement à tous les quadra et les quinquas pour traverser autrement leurs souvenirs. Et aux plus jeunes pour vivre par procuration une autre vie que la leur. Jil Caplan est décidément une charmeuse de serpents !!!
Un très joli livre, très incarné et avec une belle écriture !
J'ai pris beaucoup de de plaisir à lire ce livre et à découvrir ce mélange d'énergie parfois teinté de mélancolie, je regrette seulement qu'il eut été aussi court ! on aurait aimé en avoir plus, même si cela m'a déjà permis de découvrir des groupes et artistes inconnus de moi.
Je pense à comment on fait l’amour, à comment on tombe amoureux de quelqu’un qui tombe aussi amoureux de vous. Encore une chose lointaine et floue. Je ne peux pas croire que cette chose va venir un jour, que j’aurai un corps dans le mien, bien emboîté et qui bouge. Je ne peux pas croire que cette chose sera réelle, plus réelle que la pochette de Blondie et la bouche de Debbie Harry entrouverte sur un micro. Je ne pense qu’à ça, à comment ce sera quand je serai grande, libre et débarrassée de mon petit corps pénible.
À table, mon père dévore comme un affamé et ma mère a l’air agacée par ces repas de diable à servir, cet appétit égoïste, ces manières paysannes, cette façon d’engloutir la soupe, de mordre dans le pain à pleines dents. Moi, je n’ai pas faim. Les aliments sont hostiles, la viande écœurante, la soupe filasse, j’en ai plein la bouche, ça me dégoûte.
Mais le plus pénible, c’est de ne pas grandir. Un mètre vingt-sept à onze ans ! C’est pas normal, ça, d’être si petite. Les médecins disent que ce n’est pas grave, que je prends mon temps, que « ça viendra ».
Les maladies m’adorent. Les angines, les otites à répétition, et puis mes dents qui poussent de travers, trop grosses pour ma mâchoire, faut arracher les prémolaires pour faire de la place là-dedans.
Le temps passe lentement, la vie demeure fermée, mystérieuse. Je pense à comment on devient quelque chose, quelqu’un, comment on fait les choses, comment on rencontre des gens.
En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.