Ce matin, tu n'as pas regardé le ciel
Dans ton duvet d'oie tu es restée enroulée
Les portes n'ont pas grincé
Les fenêtres sont restées closes
Tu n'as rien entrepris
Tu es demeurée seule avec ton être profond
Le temps n'a pas compté
Tu es de plus en plus étonnée d'être celle que tu es
Tu ne t'es jamais habituée à toi-même
Ce matin, tu commences à faire connaissance avec
ton ombre
et avec ce qui est à l'origine de ton ombre
Cet étrange vaisseau de peau, de nerfs, de sang
Ce tourbillon de chair
Mais aussi avec ta pensée tellement fugitive
tellement aérienne
tellement subversive
avec toute ton ambiguïté
toute ta sauvagerie
et la force de ta douceur
p.9
Dents provisoires
Ô poésie !
pourvu que les auditeurs ne s’aperçoivent pas
que j’ai de fausses dents
ils pourraient en déduire
que mon poème est incomplet
qu’il lui manque le velouté de la nature naturelle
l’assaisonnement furtif
qui fait les vrais poèmes
un poème sans toutes ses dents est un poème bancal,
mais, j’en suis sûre, vous savez bien étant mortels
que toutes dents sont provisoires
p.61
SEPTEMBRE, ON ENTERRE
Septembre il fait une nuit de pépins de raisin
des montagnes de grappes envahissent les corps
Je pense à la première nuit que traverse la mort
mise en terre aujourd'hui
Le combat chimique est fini, il y a trêve
bientôt commenceront les combats organiques
Nuit noire — les raisins écartèlent les astres
la chaleur de l'automne se coule dans les paumes
Fenêtre ouverte — les ronflements légers passent
les fentes des persiennes
Au cimetière il n'est âme qui vive
p.11
SEPTEMBRE, IL FAIT FROID
Rentrée — les passagers de la planète terre
sont pleins d'effroi
Les feux du temps jadis crépitent dans les chambres
Inquiétude dans les cartables —
approche d'un millénaire —
La neige attend, elle prononce le mot Paix
les bouches sont pleines de mousse des forêts
La mer est la servante perpétuelle
des êtres dotés de sang
La mer est la plus grande fenêtre de la terre
p.10