Jules César

Le génie pour changer le monde
La République romaine est moribonde. le généralissime Pompée le Grand, tout auréolé de ses conquêtes militaires - dont la toute dernière réalisée en quelques mois, considérée comme mission impossible, l'éradication de la piraterie en Méditerranée, Mare nostrum, narguant jusqu'à Ostie la puissance de Rome - et le richissime Crassus, vainqueur du soulèvement des esclaves menés par Spartacus vont commettre tous deux une énorme erreur. Une seule, le faux-pas décisif qui va changer la face du monde antique.
Dans un pays déliquescent, ils veulent à tout prix se débarrasser du troisième homme du triangle de leur triumvirat, Jules César, et l'éloigner de Rome. Ils confient alors à ce général de génie une véritable machine de guerre, les armes de l'impérialisme de Rome au service de son insatiable ambition, les légions aguerries et disciplinées de la République romaine. Dès lors il va se ruer sur sa proie, toute proche, la Gaule comata chevelue, notre France actuelle, et ses immenses richesses.
César en - 59 est âgé de 41 ans. En moins d'une décennie, il aura battu une à une les tribus divisées puis les forces gauloises coalisées à Alésia, enfermées et affamées par un double et immense mur de palissade (circonvallations). Vercingétorix se rend. César lui-même rédige au jour le jour la légende dorée de sa conquête, dans le style net et dépouillé, « la simplicité souveraine, l'aisance lumineuse du récit » (p. 408) de ses Commentaires de la guerre des Gaules, le célèbre de Bello Gallico, l'incontournable version de tout lycéen latiniste débutant.
Seconde erreur de Pompée, resté seul, après la mort de Crassus tué dans le lointain Orient. Avec les sénateurs, il va céder le terrain à César qui marche sur Rome avec ses légions après avoir franchi le Rubicon « Allons où nous appellent le langage des dieux et l'injustice de nos ennemis. Alea jacta est ». Sûr de son bon droit, escorté de son immense armée, Pompée abandonne la Ville l'Urbs au hors-la-loi, traverse avec l'armée républicaine l'Adriatique à Brindisi. C'est sans compter sur le génie stratégique de César, qui se jette à sa poursuite pour finir par le battre à Pharsale en Grèce. On présentera au vainqueur sa tête décapitée en Égypte. Il finira par retourner en Italie en -45 pour une dictature sans partage. Il ne lui reste qu'un an à vivre avant son fatal assassinat aux Ides 44.
Il faut admirer l'analyse de CARCOPINO, un chef d'oeuvre, sur les degrés de la divinisation et les aspirations de César à la royauté visant à s'imposer aux populations des royaumes théocratiques de la Roumanie et la Perse actuelles, qu'il s'apprêtait à conquérir pour élargir les limites de l'empire. C'en sera trop pour les tenants purs et durs de la République qui l'assassineront, le laissant expirer -ironie de l'Histoire- au pied de la statue du grand Pompée. « Folles espérances ! César mort, la République devait rester au fond du tombeau dont le dictateur avait scellé la pierre. »
César aura imposé en effet au monde romain une révolution qui, à la suite de son petit-neveu Octave-Auguste, va défier le temps et « édifier les assises du régime qui, d'abord rétréci et finalement hypertrophié, s'imposera, sous le nom d'Empire, à Rome, à l'Italie et au monde méditerranéen, pendant quatre siècles, et tentera par la suite, soit de se prolonger à Constantinople, soit de naître dans ses contrefaçons du moyen-âge et des temps modernes. »
C'est peu de dire la profonde admiration de Jérôme CARCOPINO pour son héros à travers la densité de son livre pétri d'érudition qui déroule pour nous la chronologie des épisodes complexes de la guerre civile : « L'on conviendra que l'homme par la richesse de ses dons surclassait tous les Romains de son temps » . Un classique incontournable pour qui souhaite redécouvrir l'exceptionnel de la vie d'un héros maître du monde et suivre le choc des ambitions dans ces périodes de guerre civile où va se désagréger la République romaine pour aboutir à une royauté qui jamais ne dira son nom, « une monarchie absolue tempérée par l'assassinat. ». C'est la force de son exemple qui inspirera chez nous, deux millénaires plus tard, un autre génie, un certain Napoléon Bonaparte.