Curieusement - il tâte son impression comme on plante la langue dans le trou après la chute d'une dent -, il se rend compte qu'il l'aime bien, cette gamine. Entre autres parce qu'elle est très différente de lui. Elle a beau être petite comme tout, elle ne se laisse marcher sur les pieds par personne. Elle répond même au sergent, on croirait carrément voir une souris qui aboie au nez d'un pit-bull. Pétard, ça dépote !
- Tout ce qui ressemble à un être humain n'en est pas forcément un, explique t-il.
- Exact, approuve Melle Justineau. Sur ce point-là, je vous suis tout à fait.
L’équinoxe vernal. Bien, qui va m’expliquer ce que c’est ?
Les élèves braillent tous pour répondre. En général, personne ne prend la peine de leur indiquer la date, et ils ne voient jamais le ciel, bien sûr, mais ils sont forts côté théorie. Depuis le solstice, qui remonte à décembre, les nuits raccourcissent et les journées rallongent (même si les enfants ne voient jamais la nuit ni le jour, puisque aucune pièce du bloc n’a de fenêtre). Aujourd’hui, c’est le moment où nuit et jour sont enfin à égalité, douze heures chacun.
Il y a une galerie marchande. La surface de la chaussée craque sous les débris de verre - les devantures fracassées des boutiques mises à sac par les pillards d'une époque révolue. Au moindre souffle de vent, des boîtes de conserve vides rouillées, fines et délicates comme des coquillages, ferraillent en roulant par terre.
Elle aurait pu se montrer aussi égoïste que d'habitude, se pardonner comme se pardonne tout le monde, se réveiller chaque jour pure comme un nouveau-né.
Ensuite, l’équipe de Sergent apporte des bols pour la mâche. Ils en posent un sur les genoux de chaque enfant, avec une cuillère déjà plantée dedans. Dans le bol, il y a des millions de larves vertes qui se tortillent et qui rampent les unes sur les autres. Les enfants mangent. Dans les contes qu’ils lisent, un enfant, ça mange parfois autre chose : des gâteaux, du chocolat, des saucisses, de la purée, des chips, des bonbons, des spaghettis, des boulettes de viande. Eux, ils n’ont droit qu’à des larves, et seulement une fois par semaine, parce que – comme le professeur Selkirk l’a expliqué une fois, quand Melanie a posé la question – leur corps est d’une efficacité spectaculaire lorsqu’il s’agit de métaboliser les protéines. Ils n’ont pas besoin d’absorber quoi que ce soit d’autre, pas même d’eau. Les larves leur fournissent tout ce qu’il faut.
Sur un banc, oublié, Parks trouve un sac à main. Il contient de la petite monnaie, un bâton de rouge, un minuscule recueil de cantiques, un jeu de clés de voiture avec balise intégrée et un unique préservatif ultramince. Des objets du quotidien si innocents qu’ils l’étourdissent légèrement, en invoquant le spectre d’une époque où les MST et l’endroit où on avait garé sa voiture étaient le pire dont il faille s’inquiéter.
La voix aux intonations de miel du célèbre documentariste, évocatrice de douce campagne anglaise aux jardins parfaits, décrivait avec une tendresse incongrue la façon dont les spores d’Ophiocordyceps reposent inertes sur le sol, dans des environnements humides tels que ceux de la forêt tropicale sud-américaine. Collantes, elles se fixent sur d’innocentes fourmis cherchant leur nourriture en adhérant à la partie inférieure de leur thorax ou de leur abdomen. Une fois en place, elles étirent des filaments de mycélium qui pénètrent dans le corps de l’insecte, puis s’attaquent à son système nerveux. Les fungi court-circuitent les fourmis.
Personne ne sait. Pas plus qu'elle, personne ne sait où il va vraiment.
Le plaisir est pour les hommes, la faute pour les femmes!