AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de berni_29


« Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ? »
Non, je ne vais pas ce soir vous déclamer du Alphonse de Lamartine, mais plutôt du Edward Carey.
Approchez, venez, entrez chers amis, que je vous fasse visiter le lieu.
Ici c'est bien un château, le château des Ferrailleurs.
Il sera dit qu'un dieu facétieux m'aura jeté un sort, celui d'être condamné à passer de maison en maison durant mes lectures estivales, ce qui sera d'ailleurs le cas aussi pour la toute prochaine à venir...
Nous voici aux confins de Londres, en plein XIXème siècle. Sur un océan formé par tous les immondices de la capitale jaillit non pas une île, mais un château, la demeure des Ferrayor. Oui c'est le nom de cette terrible dynastie qui règne en maître depuis des générations sur un superbe dépotoir et qui n'a rien à envier à la famille Adams.
Sur cet océan de gravas et de rebuts, il est difficile voire impossible de pousser une barque. Alors il faut y aller presque en apnée.
On pourrait se demander, en contemplant ce dédale de détritus, où commencent les fondations de cette étrange demeure faite de bric et de broc, construite à partir de morceaux de maisons prélevées dans la capitale, assemblés selon une logique qui rendrait fou tout architecte digne de ce nom.
Autre caractéristique de cette famille : chaque Ferrayor, à la naissance, se voit attribuer un petit objet appelé l'objet de naissance, qui l'accompagnera partout et toujours.
Ainsi, voici surgir dans le texte une bonde universelle à chaînette, un robinet, une poignée de porte en cuivre, une pince coupante, une tasse repose-moustache, un sifflet en forme de groin, un chausse-pied en écaille de tortue... J'en oublie forcément.
Il y a les Ferrayor d'en haut, les maîtres et il y a les Ferrayor d'en bas, ceux qui servent les maîtres. Ici on ne mélange pas les robinets et les crachoirs en argent... Quand on entre dans cette maison, on devient Ferrayor...
Tout commence le jour où la poignée de porte appartenant à Tante Rosamud disparaît ; les murmures des objets se font de plus en plus insistants ; dehors, une terrible tempête menace ; et voici qu'une jeune orpheline se présente à la porte du Château… Elle s'appelle Lucy Pennant. Elle semble sortir tout droit d'un récit de Charles Dickens.
Et voici que Clod Ferrayor, quinze ans et demi, petit-fils de celui qui règne sur cette dynastie, va être ébloui, troublé par la présence de Lucie Pennant, cette jeune fille fragile et lucide, déterminée...
Pour son malheur et pour notre bonheur, Clod Ferrayor a reçu un don singulier : il est capable d'entendre parler les objets, qui ne cessent de répéter des noms mystérieux…
Plus rien ne sera comme avant...
Il est souffreteux, elle a les yeux verts, ils vont s'aimer. Ce sont eux qui vont nous lier à cette histoire, nous faire traverser la maison, traversant le récit, traversant notre coeur au passage, franchissant les zones qu'ils n'ont pas le droit de transgresser... Ces deux-là, on imagine que Shakespeare les aurait adorés, sorte de Roméo et Juliette de la ferraille, des décombres et du gothique.
Voici un conte fantasmagorique à la poésie baroque, mêlant délire fantastique et lucidité grinçante.
Au fil des pages, de nombreuses questions se posent sur ces mystérieux objets, qui ne sont peut-être pas si inanimés que l'on voudrait le croire, et leur lien avec les habitants des lieux.
J'ai posé mes bras, mes mains sur les murs de cette maison. Je l'ai étreinte. J'ai entendu sa respiration. Elle m'a secoué de ses convulsions. J'entendais les bruits métalliques et les cris des objets. J'entendais des voix remonter des ordures et de la puanteur. Je sentais ses odeurs. J'entendais les battements de coeur de Lucie Pennant, crasseuse, souilleuse, mais si lumineuse et la course des pas douloureux de Clod Ferrayor à sa recherche effrénée.
Il y a dans ce texte que j'ai adoré pour son enchantement quelque chose de cruel et de dérangeant, car on se dit qu'il y a un côté absurde et monstrueux de notre monde à la dérive qui ressemble peut-être à cela.
Et puis, objet parmi tous les objets, il y a ce livre, l'objet papier avec des dessins fabuleux réalisés par Edward Carey lui-même, ouvrant de manière magique et ténébreuse chaque chapitre.
Bon, je vous laisse, je suis à la recherche de ma tasse repose-moustache, pas question de trouver le sommeil sans avoir remis la main dessus...
Quoi ? On me dit qu'il y aurait deux autres volumes à lire, car c'est une trilogie ? Alors, j'y cours, j'y cours... Vite, mon chausse-pied en écaille de tortue...
Commenter  J’apprécie          5384



Ont apprécié cette critique (51)voir plus




{* *}