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EAN : 9782752910226
126 pages
Phébus (02/01/2015)
3.71/5   12 notes
Résumé :
« C'est curieux que je tombe sur toi... » Franck et Pierre-François, qui ne s'étaient pas revus depuis des années, se retrouvent dans le café qui jouxte un théâtre. L'heure de la représentation approche. Les gens se frôlent, s'ignorent ou se dévisagent. Entre ces êtres rassemblés par le hasard, se tisse une histoire moins attendue que celle qui sera jouée dans un instant sur scène. À la lisière de leur monde où toute rencontre amicale ou amoureuse semble facile, une... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Christophe Carlier Singuliers – Phébus - littérature française

Christophe Carlier nous livre une comédie imbriquée dans une autre à plus grande échelle, dans la lignée de L'Euphorie des places de marché ( conte urbain ironique). Ce récit gigogne illustre parfaitement la phrase Shakespearienne : «  le monde entier est un théâtre et tous les hommes n'y sont que des acteurs ».

Le lecteur assiste à un défilé de personnages qui se croisent, se reconnaissent, se recroisent au gré du hasard. On les suit comme avec une caméra embarquée.
On plonge dans leurs pensées, leurs voix s'alternent. Par le prisme des uns on apprend des bribes sur d'autres ( lien de parenté). L'imbroglio des indices distillés peu à peu se démêle, lors de flashbacks. Et le puzzle de leur vie se tisse. En exergue, une citation de Virginia Woolf centrée sur « l'immédiate fatalité », fil rouge de ce roman.

Le récit s'ouvre justement sur la rencontre inopinée, dans le métro, de deux protagonistes qui n'ont même pas le temps d'échanger leurs numéros de portable.
Le portable , cette nuisance pour certains, est à la source d'une caricature des passants que Franck observe tous les jours. Ne redoute-t-il pas, pour le futur, de voir se multiplier des hordes semblables , esclaves de leur « petit boîtier » qui continueront à l'ignorer  ? Quant à Pierre-François, ce sont les autres qui l'intéressent.

Le roman s'articule en trois temps : avant , pendant et après la représentation de la pièce de Corneille le Menteur et même jusqu'au lendemain soir.

Le café, un huis clos, un décor cher à Hopper, étant lui-même un théâtre, le quartier général où passent la plupart des protagonistes, dans l'espoir de revoir la personne qui les a convoqués ou de s'en approcher au plus près. On a l'impression de voir des marionnettes manipulées par le destin. Ce microcosme brasse des individus de tous milieux, en couple ou seuls (venant de rompre), des «  homeless » aux nantis. C'est avec un regard acéré que l'auteur dépeint ses contemporains, leurs comportements dans des files d'attente, loin de la discipline de nos voisins anglo-saxons.

Le zoom sur le public au théâtre est digne d'un dessin de Sempé, dont Christophe Carlier est un inconditionnel. (1) Nelly, l'ouvreuse, comme sortie du tableau de Hopper, accueille, dans son « palais de velours rouge », les spectateurs qui « n'ont pas l'air beaucoup plus heureux que ceux qui entrent à l'usine », pense Luc. Pour Nelly, le spectacle est dans l'assistance.Elle a reconnu Claire, note son « air tourmenté ». Qu'est devenu son amoureux, Antoine, qui a grandi avec son fils ?

Qu'auront-ils retenu de la pièce si chacun épie l'autre, se perd dans son maelström comme Claire ? Cette phrase de Rousseau : « L'on croit s'assembler au spectacle, et c'est là que chacun s'isole » reflète exactement l'état des lieux du moment : ennui, lassitude prévalent. Alice se laisse charmer par la voix de l'acteur, remarque son « coup d'oeil caressant à Claire ». Pierre-François, lui aussi aimanté par Claire, suit le
manège de l'acteur et s'interroge : « À quoi joue le hasard ? »
Aurélien, l'acteur, aurait-il bafouillé si la femme qui le troublait avait été hors de sa vue ? N'avait-il pas eu l 'envie d'adresser des vers galants à « la belle inconnue » ?

Quant au virulent critique Denis, qui préfère « rugir » à applaudir, le « travail de sape » aux éloges, souhaitons que l'auteur ne soit pas lu par quelqu'un de sa trempe.

Font aussi partie de ce ballet de la « comédie humaine » : Cécile qui pense à ses élèves tout en savourant les vers cornéliens, pour qui « la littérature est un enchantement et l'art une bénédiction » ; Lilia, insomniaque, pense à ceux qui l'entourent, écoute la radio et ne serait pas surprise d'y entendre Nelly se confier.

Dans les coulisses, entrent et sortent de notre champ de vision ceux qui sentent « la colère qui gronde dans la société », « la folie du monde », ceux auprès desquels les passants évitent de s'attarder mais qui ne laissent pas indifférents ( la folle du bus, la vagabonde échouée dans l'amphithéâtre, « l'errante du boulevard »). On est sensible à l'âme de poète de Luc, qui devient acteur de ses nuits en les étoilant par sa fantaisie.

Ce n'est pas le hasard si on retrouve quelques-uns des protagonistes au même café.

Si Claire n'avait pas égaré son calepin serait -elle revenue au café ?
L'auteur nous initie à l'happenstance , le don d'être au bon endroit au bon moment, avec la réapparition du carnet De Claire qu'elle croyait perdu. Sa bonne étoile veillait.
« Le hasard », disait Pasteur « ne favorise que les esprits préparés ».
Alice serait-elle retournée au café sans ce regret d'être restée insensible au « visage défait » De Claire ? Mais se sentant trahie par Claire, elle est plus encline à tisser des liens avec Pierre-François. N'est-il pas cette « main providentielle » , confirmant le proverbe arabe : «  Quand le ciel te jette une datte, ouvre la bouche. » Déception, par contre, pour les soupirants De Claire, tous deux « pris de court » par Franck.

Dans l'épilogue, le lecteur a le choix d'imaginer le futur tête à tête Claire/Franck. Claire cherche-t-elle à se rapprocher de Franck par attirance ou pour évoquer Antoine, afin de savoir ce qu'est devenu celui qu'elle n'a pas pu oublier?

Dans Singuliers , Christophe Carlier réussit le tour de force de condenser une multitude de vies en cent vingt pages. Une vie, n'est-ce pas une accumulation de petits moments, de rencontres, de voies du destin, de routes prises ou non, de choses imperceptibles qui nous construisent. En campant ses personnages dans des huis clos, l'auteur leur offre des lieux où s'abandonner mentalement, se côtoyer. Ces voyages introspectifs qui nous plongent dans les profondeurs de l'âme humaine, nous renvoient à notre propre vie, nos souvenirs. Qu'avons-nous réussi ? Raté ? Quelle route n'avons-nous pas prise ? La plupart des événements majeurs de nos existences se produisent en corrélation avec d'autres, selon les mystérieuses conjonctions du hasard, de la fortuité. Quel rôle jouent les Parques, l'oeil du Cyclope, dans nos vies  ?

On retrouve avec bonheur les comparaisons inattendues : « Le thé du matin apaise comme le baiser du soir », ou « Le théâtre est la confiserie de ma vieillesse », confie Lilia. On apprécie la plume méticuleuse, d'une «  précision d'horloger » et l'humour de Christophe Carlier. Ce qui est sûr c'est que Singuliers interpelle si justement le lecteur adhérant à l'idée que « certaines rencontres nous ménagent un rendez-vous avec nous-mêmes ». Un roman qui fait écho à cette réflexion de Claudie Gallay :
« Il est des êtres dont c'est le destin de se croiser où qu'ils soient. Où qu'ils aillent.
Un jour ils se rencontrent. Alors à vous de faire leur connaissance.


(1) : Happé par Sempé, Serge Safran éditeur, 2013.
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Christophe Carlier, Singuliers – Phébus - littérature française

Christophe Carlier nous livre une comédie imbriquée dans une autre à plus grande échelle, dans la lignée de L'Euphorie des places de marché (conte urbain ironique). Ce récit gigogne illustre parfaitement la phrase Shakespearienne : « le monde entier est un théâtre et tous les hommes n'y sont que des acteurs ».

Le lecteur assiste à un défilé de personnages qui se croisent, se reconnaissent, se recroisent au gré du hasard. On les suit comme avec une caméra embarquée.
On plonge dans leurs pensées, leurs voix s'alternent. Par le prisme des uns on apprend des bribes sur d'autres (lien de parenté). L'imbroglio des indices distillés peu à peu se démêle, lors de flashbacks. Et le puzzle de leur vie se tisse. En exergue, une citation de Virginia Woolf centrée sur « l'immédiate fatalité », fil rouge de ce roman.

Le récit s'ouvre justement sur la rencontre inopinée, dans le métro, de deux protagonistes qui n'ont même pas le temps d'échanger leurs numéros de portable.
Le portable, cette nuisance pour certains, est à la source d'une caricature des passants que Franck observe tous les jours. Ne redoute-t-il pas, pour le futur, de voir se multiplier des hordes semblables, esclaves de leur « petit boîtier » qui continueront à l'ignorer ? Quant à Pierre-François, ce sont les autres qui l'intéressent.

Le roman s'articule en trois temps : avant, pendant et après la représentation de la pièce de Corneille le Menteur et même jusqu'au lendemain soir.

Le café, un huis clos, un décor cher à Hopper, étant lui-même un théâtre, le quartier général où passent la plupart des protagonistes, dans l'espoir de revoir la personne qui les a convoqués ou de s'en approcher au plus près. On a l'impression de voir des marionnettes manipulées par le destin. Ce microcosme brasse des individus de tous milieux, en couple ou seuls (venant de rompre), des « homeless » aux nantis. C'est avec un regard acéré que l'auteur dépeint ses contemporains, leurs comportements dans des files d'attente, loin de la discipline de nos voisins anglo-saxons.

Le zoom sur le public au théâtre est digne d'un dessin de Sempé, dont Christophe Carlier est un inconditionnel.(1) Nelly, l'ouvreuse, comme sortie du tableau de Hopper, accueille, dans son « palais de velours rouge », les spectateurs qui « n'ont pas l'air beaucoup plus heureux que ceux qui entrent à l'usine », pense Luc. Pour Nelly, le spectacle est dans l'assistance. Elle a reconnu Claire, note son « air tourmenté ». Qu'est devenu son amoureux, Antoine, qui a grandi avec son fils ?

Qu'auront-ils retenu de la pièce si chacun épie l'autre, se perd dans son maelström comme Claire ? Cette phrase de Rousseau : « L'on croit s'assembler au spectacle, et c'est là que chacun s'isole » reflète exactement l'état des lieux du moment : ennui, lassitude prévalent. Alice se laisse charmer par la voix de l'acteur, remarque son « coup d'oeil caressant à Claire ». Pierre-François, lui aussi aimanté par Claire, suit le manège de l'acteur et s'interroge : « À quoi joue le hasard ? »
Aurélien, l'acteur, aurait-il bafouillé si la femme qui le troublait avait été hors de sa vue ? N'avait-il pas eu l'envie d'adresser des vers galants à « la belle inconnue » ?

Quant au virulent critique Denis, qui préfère « rugir » à applaudir, le « travail de sape » aux éloges, souhaitons que l'auteur ne soit pas lu par quelqu'un de sa trempe.

Font aussi partie de ce ballet de la « comédie humaine » : Cécile qui pense à ses élèves tout en savourant les vers cornéliens, pour qui « la littérature est un enchantement et l'art une bénédiction » ; Lilia, insomniaque, pense à ceux qui l'entourent, écoute la radio et ne serait pas surprise d'y entendre Nelly se confier.

Dans les coulisses, entrent et sortent de notre champ de vision ceux qui sentent « la colère qui gronde dans la société », « la folie du monde », ceux auprès desquels les passants évitent de s'attarder mais qui ne laissent pas indifférents (la folle du bus, la vagabonde échouée dans l'amphithéâtre, « l'errante du boulevard »). On est sensible à l'âme de poète de Luc, qui devient acteur de ses nuits en les étoilant par sa fantaisie.

Ce n'est pas le hasard si on retrouve quelques-uns des protagonistes au même café.

Si Claire n'avait pas égaré son calepin serait-elle revenue au café ?
L'auteur nous initie à l'happenstance, le don d'être au bon endroit au bon moment, avec la réapparition du carnet De Claire qu'elle croyait perdu. Sa bonne étoile veillait.
« le hasard », disait Pasteur « ne favorise que les esprits préparés ».
Alice serait-elle retournée au café sans ce regret d'être restée insensible au « visage défait » De Claire ? Mais se sentant trahie par Claire, elle est plus encline à tisser des liens avec Pierre-François. N'est-il pas cette « main providentielle », confirmant le proverbe arabe : « Quand le ciel te jette une datte, ouvre la bouche. » Déception, par contre, pour les soupirants De Claire, tous deux « pris de court » par Franck.

Dans l'épilogue, le lecteur a le choix d'imaginer le futur tête à tête Claire/Franck. Claire cherche-t-elle à se rapprocher de Franck par attirance ou pour évoquer Antoine, afin de savoir ce qu'est devenu celui qu'elle n'a pas pu oublier ?

Dans Singuliers, Christophe Carlier réussit le tour de force de condenser une multitude de vies en cent vingt pages. Une vie, n'est-ce pas une accumulation de petits moments, de rencontres, de voies du destin, de routes prises ou non, de choses imperceptibles qui nous construisent. En campant ses personnages dans des huis clos, l'auteur leur offre des lieux où s'abandonner mentalement, se côtoyer. Ces voyages introspectifs qui nous plongent dans les profondeurs de l'âme humaine, nous renvoient à notre propre vie, nos souvenirs. Qu'avons-nous réussi ? Raté ? Quelle route n'avons-nous pas prise ? La plupart des événements majeurs de nos existences se produisent en corrélation avec d'autres, selon les mystérieuses conjonctions du hasard, de la fortuité. Quel rôle jouent les Parques, l'oeil du Cyclope, dans nos vies ?

On retrouve avec bonheur les comparaisons inattendues : « le thé du matin apaise comme le baiser du soir », ou « le théâtre est la confiserie de ma vieillesse », confie Lilia. On apprécie la plume méticuleuse, d'une « précision d'horloger » et l'humour de Christophe Carlier. Ce qui est sûr c'est que Singuliers interpelle si justement le lecteur adhérant à l'idée que « certaines rencontres nous ménagent un rendez-vous avec nous-mêmes ». Un roman qui fait écho à cette réflexion de Claudie Gallay : « Il est des êtres dont c'est le destin de se croiser où qu'ils soient. Où qu'ils aillent. Un jour ils se rencontrent. Alors à vous de faire leur connaissance. »

(1) : Happé par Sempé, Serge Safran éditeur, 2013.
Nadine Doyen
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Deux anciennes connaissances se revoient un jour dans le métro. le lieu étant peu propice à la discussion, ils se retrouvent le lendemain dans un café, non loin d'un théâtre où une représentation de Corneille est imminente. Autour d'eux gravitent personnel du théâtre, comédiens ou simples clients du café. Chacun de ces personnages va peu à peu, à la manière d'un monologue intérieur, se confier ou confier ses impressions sur d'autres protagonistes.
« J'ai conscience que la plupart des gens disent n'importe quoi, alors que, si l'on se laisse porter par le flux de leur parole, on peut accéder à la pénombre de leur âme. » Cette phrase du roman résume très bien la teneur du propos du livre, tout en s'appliquant à la vie en général : en observant les gens, on en apprend beaucoup sur eux. Chaque personnage a la particularité d'être distrait par l'enquête plus ou moins approfondie qu'il mène sur autrui, ce qui lui permet de déchiffrer un tant soit peu qui se cache vraiment derrière la façade d'un individu.
La mise en page, aérée et claire ménage des pauses, tout en faisant se succéder les différents points de vue. Un court roman au propos tout à fait intéressant qui pousse à la réflexion, dans un monde où le silence fait parfois peur.
A noter que le titre choisi, singulier au pluriel est un bien bel oxymore !
Un grand merci aux Editions Phébus pour l'envoi de ce roman, et à Babelio pour cette bien belle opération de Masse Critique !
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Sur des banquettes de café, dans des fauteuils de théâtre, des appartements à l'heure d'éteindre les lumières, près de tables de petit déjeuner, sur des trottoirs, dans des bureaux, une dizaine de personnes égrènent des pensées éparses qui font leur chemin, et des observations sur les amis ou les anonymes qu'ils côtoient… Mais ces pensées ne ressemblent heureusement en rien à celles d'un café du Commerce, comme en témoignent les petits marque-pages disséminés ici et là. Elles évoquent plus une certaine gorgée de bière, ou les pensées du journal de Jules Renard. A la lecture, on passe d'un personnage à l'autre, on revient vers l'une, on accompagne un autre, on les retrouve autour d'une représentation du Menteur de Corneille
Il faut toutefois que cette mécanique de la ronde ne tourne pas à vide, et par bonheur, la fin justifie la forme choisie, en faisant apparaître les connivences entre certaines pensées qui se rejoignent ou, au contraire, le grand écart entre d'autres qui se croyaient proches.
Ce roman m'a rappelé Uniques de Dominique Paravel qui employait un peu le même procédé. C'est, dans les deux cas, agréable à lire, mais faute de mettre en avant un caractère plus qu'un autre, un petit peu frustrant. le milieu du théâtre, décor central et plus original que les cafés ou les bureaux, est la partie qui m'a plu davantage, et où j'ai trouvé les réflexions qui me parlaient le plus.
Un petit livre agréable et plein d'observations perspicaces.
Lien : https://lettresexpres.wordpr..
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Reçu par la Masse critique de Babélio.
J'ai été déroutée par ce roman où se croisent des personnages dans un bar où à la sortie d'un théâtre. Ils se ont connus ou bien c'est la première fois qu'ils se rencontrent, échangent des mots, des regards.
Il n'y a pas vraiment de fil conducteur, on ne s'attache pas aux personnages.
L'idée est intéressante, malheurement le résultat est décevant.
Mais c'est bien écrit.
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Je souris à cet autre moi qui se reflète dans le miroir et dont je m’apprête à me délester. Le premier indice que je deviens un autre est que j’isole, dans la langue ordinaire, des séquences de six ou douze syllabes. Les phrases de mes interlocuteurs résistent au rythme des vers. Ici, il manque un mot ; là, l’hémistiche est trop long. Soudain, l’une d’elle succombe par hasard. Une habituée a annoncé à la patronne : « Je viendrai demain soir dîner avec mon fils. » Je répète mentalement la phrase en imaginant une situation, un jeu de scène. Le rideau pourrait-il tomber sur un vers comme celui-ci ?
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Pendant deux heures, le public va s’ennuyer poliment devant une pièce du répertoire classique. Je suis ailleurs. Comme d’autres sûrement. Comment font les acteurs quand l’assistance pense à autre chose ? Est-ce qu’eux aussi s’éclipsent parfois et laissent leurs costumes jouer tout seuls en scène ?
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Je lance régulièrement des petits coups d’œil à ma montre qui m’assure que la pièce arrive à petits pas vers nous. J’attends. Mon cœur bondit aux trois coups et fond de bonheur en découvrant le décor. Dès la première scène, j’oublie les têtes d’affiche et je m’attache aux débutants auxquels j’adresse, tout au long du spectacle, des encouragements silencieux.
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A quoi pensent-ils, ceux qui se taisent, le soir, dans tous les cafés du monde ? On voit bien, quand on les regarde, que des images leur passent devant les yeux.
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J'envie parfois la facilité avec laquelle certains hommes laissent le silence s'installer entre eux.
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