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EAN : 9782752910226
126 pages
Phébus (02/01/2015)
3.81/5   13 notes
Résumé :
« C'est curieux que je tombe sur toi... » Franck et Pierre-François, qui ne s'étaient pas revus depuis des années, se retrouvent dans le café qui jouxte un théâtre. L'heure de la représentation approche. Les gens se frôlent, s'ignorent ou se dévisagent. Entre ces êtres rassemblés par le hasard, se tisse une histoire moins attendue que celle qui sera jouée dans un instant sur scène. À la lisière de leur monde où toute rencontre amicale ou amoureuse semble facile, une... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Christophe Carlier Singuliers – Phébus - littérature française

Christophe Carlier nous livre une comédie imbriquée dans une autre à plus grande échelle, dans la lignée de L'Euphorie des places de marché ( conte urbain ironique). Ce récit gigogne illustre parfaitement la phrase Shakespearienne : «  le monde entier est un théâtre et tous les hommes n'y sont que des acteurs ».

Le lecteur assiste à un défilé de personnages qui se croisent, se reconnaissent, se recroisent au gré du hasard. On les suit comme avec une caméra embarquée.
On plonge dans leurs pensées, leurs voix s'alternent. Par le prisme des uns on apprend des bribes sur d'autres ( lien de parenté). L'imbroglio des indices distillés peu à peu se démêle, lors de flashbacks. Et le puzzle de leur vie se tisse. En exergue, une citation de Virginia Woolf centrée sur « l'immédiate fatalité », fil rouge de ce roman.

Le récit s'ouvre justement sur la rencontre inopinée, dans le métro, de deux protagonistes qui n'ont même pas le temps d'échanger leurs numéros de portable.
Le portable , cette nuisance pour certains, est à la source d'une caricature des passants que Franck observe tous les jours. Ne redoute-t-il pas, pour le futur, de voir se multiplier des hordes semblables , esclaves de leur « petit boîtier » qui continueront à l'ignorer  ? Quant à Pierre-François, ce sont les autres qui l'intéressent.

Le roman s'articule en trois temps : avant , pendant et après la représentation de la pièce de Corneille le Menteur et même jusqu'au lendemain soir.

Le café, un huis clos, un décor cher à Hopper, étant lui-même un théâtre, le quartier général où passent la plupart des protagonistes, dans l'espoir de revoir la personne qui les a convoqués ou de s'en approcher au plus près. On a l'impression de voir des marionnettes manipulées par le destin. Ce microcosme brasse des individus de tous milieux, en couple ou seuls (venant de rompre), des «  homeless » aux nantis. C'est avec un regard acéré que l'auteur dépeint ses contemporains, leurs comportements dans des files d'attente, loin de la discipline de nos voisins anglo-saxons.

Le zoom sur le public au théâtre est digne d'un dessin de Sempé, dont Christophe Carlier est un inconditionnel. (1) Nelly, l'ouvreuse, comme sortie du tableau de Hopper, accueille, dans son « palais de velours rouge », les spectateurs qui « n'ont pas l'air beaucoup plus heureux que ceux qui entrent à l'usine », pense Luc. Pour Nelly, le spectacle est dans l'assistance.Elle a reconnu Claire, note son « air tourmenté ». Qu'est devenu son amoureux, Antoine, qui a grandi avec son fils ?

Qu'auront-ils retenu de la pièce si chacun épie l'autre, se perd dans son maelström comme Claire ? Cette phrase de Rousseau : « L'on croit s'assembler au spectacle, et c'est là que chacun s'isole » reflète exactement l'état des lieux du moment : ennui, lassitude prévalent. Alice se laisse charmer par la voix de l'acteur, remarque son « coup d'oeil caressant à Claire ». Pierre-François, lui aussi aimanté par Claire, suit le
manège de l'acteur et s'interroge : « À quoi joue le hasard ? »
Aurélien, l'acteur, aurait-il bafouillé si la femme qui le troublait avait été hors de sa vue ? N'avait-il pas eu l 'envie d'adresser des vers galants à « la belle inconnue » ?

Quant au virulent critique Denis, qui préfère « rugir » à applaudir, le « travail de sape » aux éloges, souhaitons que l'auteur ne soit pas lu par quelqu'un de sa trempe.

Font aussi partie de ce ballet de la « comédie humaine » : Cécile qui pense à ses élèves tout en savourant les vers cornéliens, pour qui « la littérature est un enchantement et l'art une bénédiction » ; Lilia, insomniaque, pense à ceux qui l'entourent, écoute la radio et ne serait pas surprise d'y entendre Nelly se confier.

Dans les coulisses, entrent et sortent de notre champ de vision ceux qui sentent « la colère qui gronde dans la société », « la folie du monde », ceux auprès desquels les passants évitent de s'attarder mais qui ne laissent pas indifférents ( la folle du bus, la vagabonde échouée dans l'amphithéâtre, « l'errante du boulevard »). On est sensible à l'âme de poète de Luc, qui devient acteur de ses nuits en les étoilant par sa fantaisie.

Ce n'est pas le hasard si on retrouve quelques-uns des protagonistes au même café.

Si Claire n'avait pas égaré son calepin serait -elle revenue au café ?
L'auteur nous initie à l'happenstance , le don d'être au bon endroit au bon moment, avec la réapparition du carnet De Claire qu'elle croyait perdu. Sa bonne étoile veillait.
« Le hasard », disait Pasteur « ne favorise que les esprits préparés ».
Alice serait-elle retournée au café sans ce regret d'être restée insensible au « visage défait » De Claire ? Mais se sentant trahie par Claire, elle est plus encline à tisser des liens avec Pierre-François. N'est-il pas cette « main providentielle » , confirmant le proverbe arabe : «  Quand le ciel te jette une datte, ouvre la bouche. » Déception, par contre, pour les soupirants De Claire, tous deux « pris de court » par Franck.

Dans l'épilogue, le lecteur a le choix d'imaginer le futur tête à tête Claire/Franck. Claire cherche-t-elle à se rapprocher de Franck par attirance ou pour évoquer Antoine, afin de savoir ce qu'est devenu celui qu'elle n'a pas pu oublier?

Dans Singuliers , Christophe Carlier réussit le tour de force de condenser une multitude de vies en cent vingt pages. Une vie, n'est-ce pas une accumulation de petits moments, de rencontres, de voies du destin, de routes prises ou non, de choses imperceptibles qui nous construisent. En campant ses personnages dans des huis clos, l'auteur leur offre des lieux où s'abandonner mentalement, se côtoyer. Ces voyages introspectifs qui nous plongent dans les profondeurs de l'âme humaine, nous renvoient à notre propre vie, nos souvenirs. Qu'avons-nous réussi ? Raté ? Quelle route n'avons-nous pas prise ? La plupart des événements majeurs de nos existences se produisent en corrélation avec d'autres, selon les mystérieuses conjonctions du hasard, de la fortuité. Quel rôle jouent les Parques, l'oeil du Cyclope, dans nos vies  ?

On retrouve avec bonheur les comparaisons inattendues : « Le thé du matin apaise comme le baiser du soir », ou « Le théâtre est la confiserie de ma vieillesse », confie Lilia. On apprécie la plume méticuleuse, d'une «  précision d'horloger » et l'humour de Christophe Carlier. Ce qui est sûr c'est que Singuliers interpelle si justement le lecteur adhérant à l'idée que « certaines rencontres nous ménagent un rendez-vous avec nous-mêmes ». Un roman qui fait écho à cette réflexion de Claudie Gallay :
« Il est des êtres dont c'est le destin de se croiser où qu'ils soient. Où qu'ils aillent.
Un jour ils se rencontrent. Alors à vous de faire leur connaissance.


(1) : Happé par Sempé, Serge Safran éditeur, 2013.
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La Feuille Volante n° 1083
Singuliers – Christophe Carlier – Phébus.

Comme à chaque fois, j'ai commencé la lecture de ce roman par l'exergue. D'ordinaire elle évoque ce que sera le roman qui s'offre à moi. Ici, c'est une phrase empruntée à Virginia Wolf qui nous parle du rôle joué par chacun de nous au quotidien, quelque chose qui n'aura lieu qu'une seule fois et qui fait référence à « l'immédiate fatalité ». le décor, la salle d'un café parisien et différents acteurs qui y font une apparition sur fond de gens plus ou moins pressés et qui parlent à leur téléphone portable. Franck et Pierre-François ne se sont pas revus depuis douze ans, se sont rencontrés par hasard et s'y sont donné rendez-vous. Ils vont bien entendu évoquer le passé vécu l'un sans l'autre, jauger les ravages du temps. Leur rencontre est formelle, sans chaleur et d'autres lieux se profilent où se croiseront d'autres gens sans autre boussole que l'aléa.
Il n'y a sûrement aucune parenté artistique entre eux mais en lisant ce roman, les toiles d'Edward Hopper qui est un de mes peintres préférés, n'ont pas quitté mon esprit. J'y ai retrouvé toute la solitude, toute l'attente, tout le silence qui caractérisent les scènes qu'il représente. La profusion des personnages, leur apparent détachement les uns par rapport aux autres ou au contraire leur attirance, la juxtaposition de leurs corps, leur façon de se déplacer ou de vivre comme dans une sorte de décor impersonnel, dans une atmosphère de temps suspendu, leur timidité ou leur tentatives gauches avec, en toile de fond, alternativement un café, une salle de théâtre où un environnement habituel, tout me rappelle ce décor si particulier des toiles du peintre américain. Même si les vies des uns semblent imbriquées dans celles des autres, les personnages multiples qu'on finit par confondre, se perdent dans un univers fantasmatique et égoïste où chacun pose des actes apparemment sans suite mais qui répondent peut-être à un scénario inconnu mais écrit à l'avance. Ces êtres semblent coincés entre un futur immédiat et un passé tout juste vécu, dans cette mémoire des choses qui revient, celle des visages qui s'imposent et s'effacent, des voix qui s'éteignent, des projets pourtant savamment tissés qui s'effondrent sous les coups du hasard, le destin individuel qui dessinent le paysage un peu désolé de chacun. Les gestes de ces silhouettes fantomatiques semblent se noyer dans un quotidien général et anonyme et ressemblent à des pièces d'un puzzle à la fois géant et minuscule où se compose petit à petit un décor où les hommes ne sont plus que des marionnettes actionnées par un manipulateur aveugle. Les personnages se parlent, gardent le silence ou monologuent mais les relations qu'ils ont entre eux sont convenues, répondent à une sorte de code. La solitude de certains personnage est si prégnante qu'ils éprouvent le besoin de se redessiner un monde à leur mesure, avec leurs fantasmes, l'exorcisme de leurs phobies. Pour cela ils dressent des plans sur une improbable comète, invoquent une divinité au culte indistinct, connue d'eux seuls et qu'un cérémonial ésotérique peut convaincre. Chaque jour est pour d'autres une trahison ou une compromission, un écot ridicule payé au monde extérieur pour pouvoir rester en paix avec soi-même ou seulement faire semblant puisque seules comptent les apparences. Il est possible de transgresser tout cela, de se marginaliser seulement pour un soir, simplement pour voir ce qu'il y a de l'autre coté de ce miroir, pour briser la routine du quotidien. le silence couronne tout cela et nul dialogue n'est possible entre les gens. Seuls ont droit de cité le soliloque et les voix qui viennent du lointain par le truchement des ondes aériennes. Ce sont des paroles jetées dans le vide de la nuit au seul usage des insomniaques aux oreilles à la fois attentives et désespérées. Elles suppléent le sommeil et le rêve réservés aux seuls initiés qui ne sont pourtant que des gens ordinaires, mais se perdent dans le néant des étoiles. Quant aux autres qui font leur devoir d'état, qu'on les laisse faire, après tout ils ne font que leur métier banal et alimentaire et tant mieux s'ils y mettent du zèle, tant pis s'ils y glissent de la méchanceté avec cette volonté de porter préjudice à autrui et de le détruire, ce qui est propre à l'espèce humaine mais qui ne procure à leur auteur qu'une victoire ridicule. Les gens vivent ensemble, dorment ensemble mais l'amour est depuis longtemps enfui de ces contrées où il ne reviendra jamais, à tout le moins avec eux et la rupture est toujours en embuscade, à moins que cela ne soit une vie de compromissions. Pour que cela change il faudrait autre chose, le regard d'une inconnue, un parfum flottant dans l'air, une chevelure d'or qui susciteraient une rencontre, un horizon nouveau ou pour les malchanceux, les timides, des illusions toujours plus inassouvies. L'intervention successive des différents personnages révèle leur fragilité à travers la routine du quotidien et de ses rituels avec lesquels il faut composer. Les relations avec les proches ne sont jamais définitives mais laissent place à d'autres rencontres où l'imaginaire tient un grande place, le fantasme aussi et pourquoi pas l'absurde. de lui on peut rire, et c'est même, compte tenu de ces situations délétères, ce qu'il y a de plus salutaire, parce que, rappelons-nous le, notre passage sur terre est une quête du bonheur, souvent contrariée.
J'ai mené ma lecture avec une certaine euphorie, aimé ce texte jubilatoire et poétique, partagé entre la curiosité et le plaisir qu'on prend égoïstement à la musique des mots et à l'architecture des phrases en me laissant porter par cette vague « singulière »et me demandant où tout cela pourrait bien me mener.
© Hervé GAUTIER – Novembre 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Christophe Carlier, Singuliers – Phébus - littérature française

Christophe Carlier nous livre une comédie imbriquée dans une autre à plus grande échelle, dans la lignée de L'Euphorie des places de marché (conte urbain ironique). Ce récit gigogne illustre parfaitement la phrase Shakespearienne : « le monde entier est un théâtre et tous les hommes n'y sont que des acteurs ».

Le lecteur assiste à un défilé de personnages qui se croisent, se reconnaissent, se recroisent au gré du hasard. On les suit comme avec une caméra embarquée.
On plonge dans leurs pensées, leurs voix s'alternent. Par le prisme des uns on apprend des bribes sur d'autres (lien de parenté). L'imbroglio des indices distillés peu à peu se démêle, lors de flashbacks. Et le puzzle de leur vie se tisse. En exergue, une citation de Virginia Woolf centrée sur « l'immédiate fatalité », fil rouge de ce roman.

Le récit s'ouvre justement sur la rencontre inopinée, dans le métro, de deux protagonistes qui n'ont même pas le temps d'échanger leurs numéros de portable.
Le portable, cette nuisance pour certains, est à la source d'une caricature des passants que Franck observe tous les jours. Ne redoute-t-il pas, pour le futur, de voir se multiplier des hordes semblables, esclaves de leur « petit boîtier » qui continueront à l'ignorer ? Quant à Pierre-François, ce sont les autres qui l'intéressent.

Le roman s'articule en trois temps : avant, pendant et après la représentation de la pièce de Corneille le Menteur et même jusqu'au lendemain soir.

Le café, un huis clos, un décor cher à Hopper, étant lui-même un théâtre, le quartier général où passent la plupart des protagonistes, dans l'espoir de revoir la personne qui les a convoqués ou de s'en approcher au plus près. On a l'impression de voir des marionnettes manipulées par le destin. Ce microcosme brasse des individus de tous milieux, en couple ou seuls (venant de rompre), des « homeless » aux nantis. C'est avec un regard acéré que l'auteur dépeint ses contemporains, leurs comportements dans des files d'attente, loin de la discipline de nos voisins anglo-saxons.

Le zoom sur le public au théâtre est digne d'un dessin de Sempé, dont Christophe Carlier est un inconditionnel.(1) Nelly, l'ouvreuse, comme sortie du tableau de Hopper, accueille, dans son « palais de velours rouge », les spectateurs qui « n'ont pas l'air beaucoup plus heureux que ceux qui entrent à l'usine », pense Luc. Pour Nelly, le spectacle est dans l'assistance. Elle a reconnu Claire, note son « air tourmenté ». Qu'est devenu son amoureux, Antoine, qui a grandi avec son fils ?

Qu'auront-ils retenu de la pièce si chacun épie l'autre, se perd dans son maelström comme Claire ? Cette phrase de Rousseau : « L'on croit s'assembler au spectacle, et c'est là que chacun s'isole » reflète exactement l'état des lieux du moment : ennui, lassitude prévalent. Alice se laisse charmer par la voix de l'acteur, remarque son « coup d'oeil caressant à Claire ». Pierre-François, lui aussi aimanté par Claire, suit le manège de l'acteur et s'interroge : « À quoi joue le hasard ? »
Aurélien, l'acteur, aurait-il bafouillé si la femme qui le troublait avait été hors de sa vue ? N'avait-il pas eu l'envie d'adresser des vers galants à « la belle inconnue » ?

Quant au virulent critique Denis, qui préfère « rugir » à applaudir, le « travail de sape » aux éloges, souhaitons que l'auteur ne soit pas lu par quelqu'un de sa trempe.

Font aussi partie de ce ballet de la « comédie humaine » : Cécile qui pense à ses élèves tout en savourant les vers cornéliens, pour qui « la littérature est un enchantement et l'art une bénédiction » ; Lilia, insomniaque, pense à ceux qui l'entourent, écoute la radio et ne serait pas surprise d'y entendre Nelly se confier.

Dans les coulisses, entrent et sortent de notre champ de vision ceux qui sentent « la colère qui gronde dans la société », « la folie du monde », ceux auprès desquels les passants évitent de s'attarder mais qui ne laissent pas indifférents (la folle du bus, la vagabonde échouée dans l'amphithéâtre, « l'errante du boulevard »). On est sensible à l'âme de poète de Luc, qui devient acteur de ses nuits en les étoilant par sa fantaisie.

Ce n'est pas le hasard si on retrouve quelques-uns des protagonistes au même café.

Si Claire n'avait pas égaré son calepin serait-elle revenue au café ?
L'auteur nous initie à l'happenstance, le don d'être au bon endroit au bon moment, avec la réapparition du carnet De Claire qu'elle croyait perdu. Sa bonne étoile veillait.
« le hasard », disait Pasteur « ne favorise que les esprits préparés ».
Alice serait-elle retournée au café sans ce regret d'être restée insensible au « visage défait » De Claire ? Mais se sentant trahie par Claire, elle est plus encline à tisser des liens avec Pierre-François. N'est-il pas cette « main providentielle », confirmant le proverbe arabe : « Quand le ciel te jette une datte, ouvre la bouche. » Déception, par contre, pour les soupirants De Claire, tous deux « pris de court » par Franck.

Dans l'épilogue, le lecteur a le choix d'imaginer le futur tête à tête Claire/Franck. Claire cherche-t-elle à se rapprocher de Franck par attirance ou pour évoquer Antoine, afin de savoir ce qu'est devenu celui qu'elle n'a pas pu oublier ?

Dans Singuliers, Christophe Carlier réussit le tour de force de condenser une multitude de vies en cent vingt pages. Une vie, n'est-ce pas une accumulation de petits moments, de rencontres, de voies du destin, de routes prises ou non, de choses imperceptibles qui nous construisent. En campant ses personnages dans des huis clos, l'auteur leur offre des lieux où s'abandonner mentalement, se côtoyer. Ces voyages introspectifs qui nous plongent dans les profondeurs de l'âme humaine, nous renvoient à notre propre vie, nos souvenirs. Qu'avons-nous réussi ? Raté ? Quelle route n'avons-nous pas prise ? La plupart des événements majeurs de nos existences se produisent en corrélation avec d'autres, selon les mystérieuses conjonctions du hasard, de la fortuité. Quel rôle jouent les Parques, l'oeil du Cyclope, dans nos vies ?

On retrouve avec bonheur les comparaisons inattendues : « le thé du matin apaise comme le baiser du soir », ou « le théâtre est la confiserie de ma vieillesse », confie Lilia. On apprécie la plume méticuleuse, d'une « précision d'horloger » et l'humour de Christophe Carlier. Ce qui est sûr c'est que Singuliers interpelle si justement le lecteur adhérant à l'idée que « certaines rencontres nous ménagent un rendez-vous avec nous-mêmes ». Un roman qui fait écho à cette réflexion de Claudie Gallay : « Il est des êtres dont c'est le destin de se croiser où qu'ils soient. Où qu'ils aillent. Un jour ils se rencontrent. Alors à vous de faire leur connaissance. »

(1) : Happé par Sempé, Serge Safran éditeur, 2013.
Nadine Doyen
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Deux anciennes connaissances se revoient un jour dans le métro. le lieu étant peu propice à la discussion, ils se retrouvent le lendemain dans un café, non loin d'un théâtre où une représentation de Corneille est imminente. Autour d'eux gravitent personnel du théâtre, comédiens ou simples clients du café. Chacun de ces personnages va peu à peu, à la manière d'un monologue intérieur, se confier ou confier ses impressions sur d'autres protagonistes.
« J'ai conscience que la plupart des gens disent n'importe quoi, alors que, si l'on se laisse porter par le flux de leur parole, on peut accéder à la pénombre de leur âme. » Cette phrase du roman résume très bien la teneur du propos du livre, tout en s'appliquant à la vie en général : en observant les gens, on en apprend beaucoup sur eux. Chaque personnage a la particularité d'être distrait par l'enquête plus ou moins approfondie qu'il mène sur autrui, ce qui lui permet de déchiffrer un tant soit peu qui se cache vraiment derrière la façade d'un individu.
La mise en page, aérée et claire ménage des pauses, tout en faisant se succéder les différents points de vue. Un court roman au propos tout à fait intéressant qui pousse à la réflexion, dans un monde où le silence fait parfois peur.
A noter que le titre choisi, singulier au pluriel est un bien bel oxymore !
Un grand merci aux Editions Phébus pour l'envoi de ce roman, et à Babelio pour cette bien belle opération de Masse Critique !
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Sur des banquettes de café, dans des fauteuils de théâtre, des appartements à l'heure d'éteindre les lumières, près de tables de petit déjeuner, sur des trottoirs, dans des bureaux, une dizaine de personnes égrènent des pensées éparses qui font leur chemin, et des observations sur les amis ou les anonymes qu'ils côtoient… Mais ces pensées ne ressemblent heureusement en rien à celles d'un café du Commerce, comme en témoignent les petits marque-pages disséminés ici et là. Elles évoquent plus une certaine gorgée de bière, ou les pensées du journal de Jules Renard. A la lecture, on passe d'un personnage à l'autre, on revient vers l'une, on accompagne un autre, on les retrouve autour d'une représentation du Menteur de Corneille
Il faut toutefois que cette mécanique de la ronde ne tourne pas à vide, et par bonheur, la fin justifie la forme choisie, en faisant apparaître les connivences entre certaines pensées qui se rejoignent ou, au contraire, le grand écart entre d'autres qui se croyaient proches.
Ce roman m'a rappelé Uniques de Dominique Paravel qui employait un peu le même procédé. C'est, dans les deux cas, agréable à lire, mais faute de mettre en avant un caractère plus qu'un autre, un petit peu frustrant. le milieu du théâtre, décor central et plus original que les cafés ou les bureaux, est la partie qui m'a plu davantage, et où j'ai trouvé les réflexions qui me parlaient le plus.
Un petit livre agréable et plein d'observations perspicaces.
Lien : https://lettresexpres.wordpr..
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
Le cadeau doit être offert sans raison à une personne qui ne s'en doute pas et qui ne recevra aucune explication. Elle ne doit pas dire merci ni envisager la moindre forme de réciprocité. En même temps, pour échapper au piège de l'acte gratuit, il faut qu'il y ait un rapport étroit entre l'objet offert et la personne qui le reçoit. Quelque chose qui relève d'une nécessité aléatoire.
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La trace du temps sur la peau est une des choses qui m'intéresse le moins. Ce qui le fascine en revanche c'est la manière dont l'apprentissage du jeu social fait de chacun de nous un homme comme tous les autres, alors que la jeunesse porte en elle un univers irréductible d'espérances et de paradoxes.
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Je souris à cet autre moi qui se reflète dans le miroir et dont je m’apprête à me délester. Le premier indice que je deviens un autre est que j’isole, dans la langue ordinaire, des séquences de six ou douze syllabes. Les phrases de mes interlocuteurs résistent au rythme des vers. Ici, il manque un mot ; là, l’hémistiche est trop long. Soudain, l’une d’elle succombe par hasard. Une habituée a annoncé à la patronne : « Je viendrai demain soir dîner avec mon fils. » Je répète mentalement la phrase en imaginant une situation, un jeu de scène. Le rideau pourrait-il tomber sur un vers comme celui-ci ?
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Pendant deux heures, le public va s’ennuyer poliment devant une pièce du répertoire classique. Je suis ailleurs. Comme d’autres sûrement. Comment font les acteurs quand l’assistance pense à autre chose ? Est-ce qu’eux aussi s’éclipsent parfois et laissent leurs costumes jouer tout seuls en scène ?
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Les hommes vivent leur vie, mais c'est toujours une femme qui la fait même quand ils choisissent finalement de la passer sans elle.
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