Il était aussi loin des routes qu'on pouvait l'être dans ce pays, et il avait la sensation primitive et rare d'être la première personne à marcher ici, et quelques minutes plus tard, à marcher ailleurs. Depuis le début du temps. Ce plateau rocheux incliné était nu et indifférent ; parfois, certains endroits révélaient leur indifférence. Ils étaient là depuis une éternité et y resteraient. Les rochers se fichaient de ce qui arrivait à l'homme, ils s'en fichaient il y a mille ans et ils s'en ficheraient dans mille milliers d'années.
Les bonnes manières, toutes sans exception, sont des protections. Elles peuvent être plus efficaces que les muscles dans les endroits visqueux.
Il observa les anneaux qui se dessinaient à la surface, dix, puis cent à mesure que les poissons montaient se confronter au monde. Il avait vu les insectes sur l'eau la veille, des moucherons blancs minuscules, presque invisibles, que les truites préféraient à ses vilaines boules de poils artisanales. Il n'avait jamais adopté les canons de la pêche à la mouche, à la manière des guides et des dandys de Jackson. Il avait vu leur matériel, aussi précis et élégant que de l'horlogerie, et leurs mouches qui ressemblaient à de fabuleux croisements entre des bijoux et des semi-conducteurs. Il n'avait toujours attaché qu'une seule mouche, brune, rêche et grosse comme une touffe de crin, disait son père. Prends-en deux et balai la grange. Mais -et cela aussi faisait sourire son père- elles étaient efficaces. Il n'attrapait pas les petits, ni les plus malins, ni les poissons des rivières réservées qui voyaient passer du matériel sophistiqué jour et nuit durant toute la saison, mais Mack attrapait les poissons qu'on garde, ceux qui s'attardaient dans les endroits où il faisait faim. C'était là tout le secret : aller chercher les poissons aux endroits où ils ne vous ont jamais vu.
Il aimait les endroits perdus comme celui-ci, les surprises exclusives auxquelles n'avaient pas eu droit plus d'une dizaine de pionniers ; il y avait des milliers de recoins isolés dans la nature sauvage et ils le remplissaient toujours d'espoir.
Il y a trop de montagnes dans ma vie pour qu'on y mette un avion.
Au matin, ils se mirent en route. La piste était sèche, la pente douce jonchée de feuilles de tremble jaunies, et la fraîcheur et le silence bruissaient dans l’immensité du ciel. Ils marchèrent comme ils avaient toujours marché lors de leurs expéditions, elle devant, lui derrière, lents et réguliers.
Quitte à être fauché, autant l’être au bon endroit.
Il était aussi loin des routes qu'on pouvait l'être dans ce pays, et il avait la sensation primitive et rare d'être la première personne à marcher ici, et quelques minutes plus tard, à marcher ailleurs. Depuis le début du temps. Ce plateau rocheux incliné était nu et indifférent ; parfois, certains endroits révélaient leur indifférence. Ils étaient là depuis une éternité et y resteraient. Les rochers se fichaient de ce qui arrivait à l'homme, ils s'en fichaient il y a mille ans et ils s'en ficheraient dans mille milliers d'années. Partout autour de lui, il voyait des rochers qui s'en fichaient et s'en ficheraient toujours. C'était exaltant, Mack savait qu'il était en plein mélodrame. Le soleil ici n'avait pas d'âge et il était lui aussi indifférent. Mack sourit.
La journée suivante avait été une ascension délirante entre les arbres centenaires, toute une chaîne de montagnes pour deux personnes. Ils étaient certainement les premiers à parcourir ces chemins, ou telle était leur impression, même pour Mack qui ne les avait jamais vus de cette manière auparavant; ils inventèrent chaque virage, chaque tournant, chaque tronc à terre, chaque ruisselet, et ils inventèrent l’air et les heures au fil du jour, doré comme un fruit mûr, un parcours pour installer tôt leur campement et allumer un feu où ils chaufferaient une soupe avec un croûton de pain. Ils prirent leur temps.
C'est parce qu'ils signifiaient quelque chose qu'on transportait certains objets.