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EAN : 9782823614114
320 pages
Editions de l'Olivier (19/09/2019)
3.73/5   54 notes
Résumé :
Un ruban vert autour d’un cou est un détail qui a de quoi intriguer, surtout quand la femme qui le porte refuse qu’on y touche, y compris son mari. Que cache ce refus ? Ce ruban est-il une métaphore, un symbole, ou bien plus concrètement la marque d’un danger qui rôde ?

Voilà le genre d’histoires que renferme Son corps et autres célébrations. Les relations entre hommes et femmes, et le rapport des femmes à leur propre corps, sont au cœur de ces nouve... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (15) Voir plus Ajouter une critique
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Ebouriffant et inventif ce recueil de huit nouvelles qui célèbre d'une façon fascinante et fantastique le corps de la femme ! Une femme sensuelle, sauvage, espiègle, inquiétante, troublante, fragile. Une femme faite d'ombres et de lumières, dont les expériences la confrontent à la violence, réelle ou symbolique et, consécutivement, à la perte d'identité.

La première des nouvelles, intitulée « le point du mari », a ma préférence tant son étrangeté est troublante. Une femme porte en permanence un ruban vert autour du cou et refuse que son mari le touche, l'effleure même. Ce ruban reste un mystère entre eux. Elle ne l'a jamais enlevé, elle dort avec, mange avec, fait l'amour avec. Il fait partie d'elle. On la suit dans sa vie de jeune femme, puis dans son couple avec son mari où le sexe tient une place prépondérante, nous assistons à la naissance de leur fils et la voyons soulagée à la vue de ce nourrisson sans ruban, vu que c'est un garçon.
Qu'est-ce que ce ruban jamais délié ? Seule la toute fin nous donnera la réponse. En attendant cette femme nous raconte des histoires, des contes qui sont autant de petites fictions marquantes qui font froid dans le dos…Soulignons l'inventivité de Carmen Maria Machado qui se permet de nous donner des conseils sur la façon de lire sa nouvelle, elle nous prend de temps à autre en aparté, dans des passages entre parenthèses troublants, voyez plutôt :

« Pas de ruban. Un garçon. Je me mets à pleurer et je presse contre ma poitrine l'enfant dépourvu de signe. L'infirmière me montre comment l'allaiter et je suis si heureuse de le sentir boire, de toucher ses doigts recroquevillés, comme autant de petites virgules. (Si vous lisez cette histoire à voix haute, donnez aux auditeurs un couteau de cuisine et demandez-leur de couper le fin morceau de peau entre votre index et votre pouce. Ensuite, remerciez-les.) »

Dans la seconde nouvelle, « Inventaire », une femme fait l'inventaire de ses amants et de ses amantes, nous livre des détails intimes, des expériences sexuelles mais aussi une belle sensualité, catalogue saugrenu alors qu'un fléau plonge les Etats-Unis vers l'angoisse et l'apocalypse. Un érotisme qui semble totalement en décalage avec ce que l'humanité est en train de vivre, un érotisme comme une bouée à laquelle se raccrocher lorsque la fin du monde semble éminente, une vision apocalyptique hors norme.

« Une femme. Beaucoup plus âgée que moi. Elle a médité trois jours sur une dune en attendant de pouvoir entrer. J'ai examiné ses yeux, ils avaient la couleur verte des verres de mer. Ses cheveux grisonnaient aux temps et son rire dévalait en sautillant les marches de mon coeur ».

La troisième nouvelle, « Mères », nous offre des pensées de mères, des pensées ancestrales, viscérales, des pensées inquiétantes aussi, cette nouvelle m'a remuée plus que les autres tant l'auteure nous entraine à la lisière de la folie et des pensées inavouables à jamais refoulées. La narratrice est en couple avec une femme plus âgée qu'elle, Bud, au charme hypnotique. Leur épanouissement est d'autant plus libéré qu'elles n'ont pas à réfléchir au fait d'avoir un enfant de par la nature de leur relation. Comme si elles avaient été exaucées ou punies d'avoir contournée ainsi ce rôle de mère, poids fantôme qui pèse sur toute femme, rôle avec lequel elle jouait entre elles, partagées entre le fantasme d'avoir un enfant à elles et le soulagement de ne pas à avoir à assumer la parentalité, enfant il y aura. Un nourrisson, une petite fille prénommée Mara, est amené à la narratrice par Bud avant de la quitter. La voilà seule avec ce bébé, seule avec ce nouveau rôle de mère. Seule avec ces pensées, avec la confusion du présent, du passé, du futur, seule avec sa folie et ses rêves.

« La tête du bébé me hante parce qu'elle tient du fruit gâté. Je m'en rends compte maintenant, au milieu du désert infini de sons. Elle est comme cette partie molle de la pêche dans laquelle vous pouvez enfoncer le pouce, sans trop poser de questions, ni demander si ça va. Je ne vais pas le faire, mais j'en ai envie, une envie si forte que je le dépose. Elle hurle de plus belle. Je la reprends et l'appuie contre moi en murmurant « je t'aime ma petite, je ne vais pas te faire de mal », or la première affirmation est un mensonge et la seconde pourrait l'être également. Je devrais éprouver le besoin de la protéger et je ne pense qu'à cette région molle, cet endroit où je lui ferais du mal si j'essayais, si je voulais lui faire du mal ».

La quatrième nouvelle, centrale, est une expérience de littérature. Je m'y suis reprise à deux fois tant je suis passée à côté lors de ma première lecture, et j'ai bien fait ! Cette nouvelle s'appelle « Particulièrement monstrueux ». Elle est écrite comme une série télé comprenant douze parties comme douze saisons. Des scripts, des pitchs, comprenant chacun un titre. Nous suivons un couple, Benson et Stabler, deux policiers, un homme et une femme. Des enquêtes tordues, sordides et nous comprenons peu à peu que les deux policiers croisent leur double maléfique. Ebouriffant et saisissant d'inventivité, je suis restée bouche bée lorsque j'ai compris où l'auteure voulait nous emmener. Dire que lors d'une première lecture, je l'ai sauté cette nouvelle alors qu'elle est centrale et éblouissante, elle demande juste d'accepter de se laisser porter.

La nouvelle suivante, « A corps perdu » nous montre à voir un fléau qui rend peu à peu invisible le corps des femmes, on voit littéralement peu à peu à travers elle. Des fantômes, des spectres, ces femmes évanescentes, ni vivantes ni mortes, dont la société se méfie. Une ambiance teintée de noirceur, de misère et de solitude rend cette nouvelle particulièrement sombre et triste. Elle met à l'honneur un couple amoureux dont l'une des deux femmes s'efface. Une nouvelle qui m'a touchée.

« Je m'allonge sur Petra, j'embrasse sa lèvre supérieure. J'embrasse sa gorge. Ma main plonge entre ses cuisses. Autour de nous, les minutes trottinent sur le sol comme des fourmis et dévalent dans le ruisseau en crue, emportées à jamais ».

Dans « Huit bouchées », la femme est victime du diktat de la minceur et va recourir, pour éliminer ses formes, à la chirurgie bariatrique. Une autre forme d'effacement de soi. Avec cet anneau en elle, elle pourra devenir enfin aussi minces que ses soeurs et ne plus avoir à subir le regard des autres, et en premier lieu celui de sa fille. Mais que reste-t-il d'elle ? Est-ce vraiment elle, cette nouvelle femme, mince ? Ses plis et replis ne constituaient-ils pas son essence, sa beauté ? Jusqu'où la transformation doit-elle allée ? N'est-ce pas une quête sans fin ?

« Est-ce que je serai un jour transformée au passé, ou toujours en train de me transformer, en mieux, jusqu'à ma mort ? ».

Dans « En résidence » nous découvrons une communauté d'artistes dans le lieu même où, jeune, notre narratrice faisait des camps scouts. Là où la découverte de son corps et de son penchant pour les femmes fut moquée, jugée. Là où sa vie est devenue un enfer, devenue esclave à l'intérieur même d'un conte cruel, piégé dans sa propre prison mentale. Tout au long de cette nouvelle, des signes discrets nous oppressent de par leur étrangeté et d'où l'inquiétude sourde discrètement.

« Un large escalier menait à la porte d'entrée, si large que les rampes étaient inaccessibles depuis le centre. Je suis montée par la droite, la main courant sur la rampe jusqu'à ce qu'une écharde se plante dans ma paume. La main ouverte, je l'ai examinée entre la ligne de coeur et la ligne de tête. J'ai pincé le bois visible et j'ai tiré ; ma main s'est contractée autour de la blessure qui ne saignait pas ».

La dernière nouvelle « Pénible en soirée » évoque la pénibilité, celle de devoir cacher les bleus de son mari, celle d'entendre des voix dissonantes en plein films érotiques rappelant des horreurs. le corps devient sale, à la fois vulgaire et excitant, sensuel et langoureux. le corps de la femme se fait objet.

Huit nouvelles qui ne laissent pas indifférent, dans lesquelles l'auteure américaine explore toutes les sensations qu'elles soient tactiles, visuelles, odorantes, gustatives, sexuelles. Un livre sensuel et inquiétant dans lequel le corps de la femme est porté à son incandescence. Des femmes qui ont atteint une certaine liberté au prix de violence, de solitude, de traumatismes, de chirurgie, d'effacement. Un récit dans lequel le féminisme s'entremêle au fantastique voire à l'horreur. Avec cependant quelques douces lumières qui nous caressent de leur chaleur, tels des battements de cil gracieux.

« Je crois à un monde où l'impossible se réalise. Où l'amour surpasse la violence, la neutralise comme si elle n'avait jamais existé, ou la transforme en quelque chose de nouveau, de plus beau. Où l'amour peut l'emporter. »

Pas étonnant que ce premier recueil de nouvelles ait été finaliste du National Book Award de fiction 2017 et ait reçu de nombreux prix dont le prix John Leonard 2017 décerné par le National Book Critics Circle. Pas étonnant. Je ne souhaite qu'une chose : découvrir d'autres écrits de Carmen Maria Machado.
Merci chère amie de me l'avoir offert, j'ai pensé à toi en parcourant ces pages. Elles sont à ton image. Iconoclaste, authentique et touchante. Riche et belle de ses différences.
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Je remercie Sonia pour ce conseil de lecture même si l'ensemble m'a ennuyé.
Bien que l'écriture soit soignée et poétique, j'ai été frustrée d'incompréhensions. Malheureusement, la béotienne que je suis, n'a pas tout compris.
Lorsque je lis les billets des autres, je me dis que je dois côtoyer le niveau zéro de l'intelligence. Ou c'est mon manque de culture qui m'a fait défaut.

Néanmoins, je retiens deux nouvelles qui m'ont touché pour des raisons personnelles.

La première nouvelle qui m'a plu, le Point du mari.
Le point du mari, qu'est-ce que c'est ? C'est une suture supplémentaire que le corps médical pratique à l'insu des femmes après un accouchement sous épisiotomie, consistant à resserrer le vagin afin d'accroître le plaisir de l'époux. J'entends beaucoup d'hommes, ces derniers temps, agacés par la révolte des femmes. Cependant, je sais de source sûre que l'on n'oblige aucun homme à se torturer des morceaux de chair pour satisfaire la femme. (J'ai tellement d'autres exemples prouvant que beaucoup d'hommes considèrent la femme comme sa propriété, comme un bien matériel ou un animal domestique, mais on va s'arrêter à l'exemple de la Nouvelle.)
Il était une fois, le corps de la Femme.
Glorifié, frappé, tripoté, violé, bafoué, déchiré, sacralisé, dénigré, dévoré, baisé, amoindrie, charmé, inspiré, annihilé, pilonné, mystifié, rejeté, transformé.
Il faut le cacher sous des kilomètres de tissu. Ou il faut trop le montrer. Il faut l'épiler. Des cheveux longs. Un ventre plat mais des gros seins. Des grosses fesses mais des jambes minces comme un poulet.
Un bout de viande ou une oeuvre d'art?
Il était une fois des morceaux de femmes désassemblées, désarticulées, transformées.

Dans la nouvelle de Carmen Maria Machado, la jeune mère est mise au courant, puisque le praticien fait un clin d'oeil complice à l'époux devant la femme parfaitement consciente, qui concrètement n'a pas voix au chapitre de SON PROPRE CORPS. Pour ceux qui tombent de haut, cette pratique se fait aussi dans les pays occidentaux. Alors certes, on est loin de l'excision et de l'infibulation, mais c'est l'objectif qui est choquant. La femme est autant considérée que le jour où l'on coupe les couilles de son chien. Vous ne demandez pas à votre chien : « tu es d'accord qu'on te castre ? ». Etonnement, ni l'époux, ni le médecin ne demanderont à l'épouse si elle accepte qu'on lui diminue l'entrée de son vagin. N'ayant plus de droit sur son corps.
A partir du moment où le corps de la femme ne lui appartient plus, ou se trouvent les limites ? C'est ainsi que je comprends le message : ne cédez rien, sinon vous finirez par y perdre la tête. le mariage ne doit pas donner l'impression que le corps de la femme appartient au mari. L'épouse doit accompagner son conjoint dans la vie et non être chosifiée à ce qu'il veut au moment où il veut.

La seconde nouvelle qui m'a plu, c'est Huit bouchées. Elle m'a rappelé le roman de Sarai Walker, (in)visible, cette femme en surpoids qui rêve de devenir mince avant de réaliser, grâce à une féministe de renom, que peu importe son corps, beaucoup d'hommes ne verront en elle qu'un bout de viande. (D'ailleurs je vous invite le lire ce roman, même si certains passages sont rébarbatifs, l'auteur tient un sujet très intéressant que malheureusement elle n'exploitera pas à fond, mais qui mérite notre attention).
Dans cette nouvelle, le personnage ne rencontrera pas de féministe pour lui faire changer d'avis. Bien au contraire, elle aura toute une cohorte de femmes la poussant à la mutilation jusqu'au médecin qui va carrément m'indigner avec cette phrase : « Vous allez souffrir. Ce ne sera pas facile. Mais après, vous serez la plus heureuse des femmes. » Devenir la copie conforme de la sororité jusqu'à se perdre. S'illusionner du bonheur sacrifiant le plaisir. C'est presque de la folie. Et c'est clairement ainsi que je vois ce déséquilibre de bouffer huit cuillères par repas pour rester mince. Je dédie d'ailleurs ce billet, à ma fidèle amie que j'admire avec beaucoup d'amours, qui a refusé de se trancher des morceaux de son estomac pour plaire à son fourbe d'époux, avec cette phrase : « j'aime trop manger, j'aime trop vivre ». Refusant ainsi de perdre la tête pour un homme. Je n'ai rien contre la sleeve, il faut juste la faire pour de bonnes raisons (santé, problème physique, mais ne faîtes pas cela pour ressembler à Charlize Theron et surtout pas pour plaire à un homme).

Mention spéciale pour ce passage où la protagoniste rencontre un amas de graisse dans sa cave digne d'un Cronenberg.
N'est-ce pas avec cette nouvelle Sonia que tu as pensé à moi ?





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Pose-toi, ici. Voilà, comme ça.
Entre l'ombre et la lumière devant toi, regarde.
Un livre repose devant ta main qui frissonne, impudique et légère, le long des pages ternes de cet ouvrage si clair. Clair-Obscur. Obscur et noir.
L'américaine Carmen Maria Machado est là, quelque part, derrière ses lignes. C'est son premier recueil de nouvelles que tu tiens entre les doigts. Ton coeur s'étrangle, ta gorge palpite. Pourquoi ?
Huit textes. Huit histoires. Autant de corps et davantage encore. Célébrée par la presse, célébrée par tour, Carmen Maria Machado arrive sans prévenir aux éditions de l'Olivier.
Huit fois. Huit première fois. Huit fois étranges.
Bienvenue dans la chair et l'extraordinaire, la femme et le corps.

Dans Son corps et autres célébrations, l'américaine explore nos sensations. Tactiles. Visuelles. Gustatives. Sexuelles.
Tout commence par l'histoire surréaliste de cette femme au ruban, un simple ruban qui lui entoure le cou, un secret, son secret, sa part à elle d'intime qu'elle ne veut pas laisser à d'autre.
Dans le point du mari, une femme épouse un homme…et elle aurait pu trouver pire. Elle lui donne un fils, elle lui accorde tous les plaisirs sexuels qu'il désire, tous les fantasmes. Elle lui donne tout, sauf ce ruban qui finit par obséder le mari. Ce mari prêt à recoudre le vagin de sa femme après une épisiotomie pour son propre plaisir. Mais la femme l'accepte, car elle l'aime.
Entre deux, elle raconte des histoires, des contes cruels et authentiques où la princesse ne finit pas avec le prince. Son corps exulte, ses histoires grincent.
Puis son fils devient un homme aussi et comme tous les hommes, il pose des questions à propos du ruban. Carmen Maria Machado livre là un conte d'une subtilité magistrale où le féminisme embrasse le fantastique et l'horreur voilée, pour une chute qui fait mal. Un ruban, c'est tout ce qu'elle demande mais même là, l'homme refuse. Malgré l'amour et la vie derrière. le corps, dernier secret inviolable ? Ou le secret du corps de cette femme au ruban qui voulait garder son ruban, handicap ou prodige, personne ne le saura jamais.

Du corps des femmes et des hommes, il est toujours question dans Inventaire. Journal d'une apocalypse où la narratrice énumère ses expériences sexuelles et raconte son ressenti charnel. Où la virginité perdue devient une chose horrible et une note mélancolique. Où la femme rencontre à nouveau la femme, plus douce et moins auto-centrée…ou presque. Postulat inventif et glaçant, certainement la narration d'une apocalypse la plus originale jamais offert au lecteur ces dernières années, ici, le sexe devient le dernier moteur humain devant la fin des temps et une prodigieuse façon de parler de nos expériences intimes.

Puis, viennent les Mères. Deux femmes qui s'aiment et dont Carmen Maria Machado imagine l'avenir avec chaleur et lumière, empoisonné par la question de l'enfant, de la conception, de ce poids fantôme qui pèse sur la femme. Dieu merci, nous ne pouvons pas faire d'enfant. Et si en fait…si ? Qui sera cet enfant ? Les pistes se brouillent et l'écriture de l'américaine s'envole. On ne sait plus bien si la narratrice est folle ou si le monde l'a trahi mais on connaît la fin avant le début. On s'émeut devant la vie de Mara en sachant qu'elle n'existe pas, ou trop. L'histoire d'amour tourne à la déroute, le plaisir des corps féminins s'étiole et l'on reste orphelin à la fin d'une vie que Carmen n'a fait pourtant qu'effleurer.
« Je crois à un monde où l'impossible se réalise. Où l'amour surpasse la violence, la neutralise comme si elle n'avait jamais existé, ou la transforme en quelque chose de nouveau, de plus beau. Où l'amour peut l'emporter. »
Des vies effleurées, gaspillées, ce recueil en est plein.
Dans À corps perdus, une étrange maladie transforme les femmes en fantômes, spectres translucides dont on ne sait pas vraiment si elles existent encore ou non. La femme invisibilisée, la femme-objet incapable de survivre autrement que par les choses de sa vie d'hier. Cousues dans des robes, les femmes s'accrochent et c'est à nouveau l'histoire d'amour de deux d'entre elles qui capotent. Parce que l'une s'efface et l'autre reste. C'est beau, doux, subtil, formidable. À travers ce texte, la femme devient esclave de la mode et prolonge son calvaire dans Huit bouchées, où une nouvelle narratrice décide de recourir à la chirurgie bariatrique pour être aussi mince et fine que ses soeurs, fatiguée d'un monde qui la juge sur ses kilos et sur son apparence physique. Mais que reste-t-il de ce conte où les soeurs maigrissent et trouve chez elle un corps qu'elles ont laissé en pâture au Diktat de la société moderne ? Que reste-t-il de cette mère incapable de dire à sa fille qu'elle sera toujours belle malgré ses kilos et que ce n'est pas ce qu'elle veut en vérité, au fond, dans les replis de son corps où huit bouchées suffisent maintenant.

Grandiose encore cette lesbienne-clichée-gothique qui vit en dehors d'elle-même jusqu'à cette résidence d'écrivain qui semble faire rejaillir les souvenirs cruelles de son enfance où la propre découverte de son corps est devenu un Enfer refoulé loin, très loin dans sa mémoire. En résidence raconte une communauté d'artistes d'où pourrait jaillir un Frankenstein mais cette Mary Shelley-là s'appelle Lucille, ou peut-être pas. Elle aime les filles et on s'est moqué d'elle, devenue esclave et lutin dans un conte cruelle, piégé dans sa propre prison mentale.
Enfin, on peut être Pénible en soirée chez Carmen Maria Machado. Pénible parce qu'on cache les bleus de son mari ou d'un autre, parce que l'on entend des voix dissonantes dans les films érotiques et pornos pour couples que personne d'autre n'entend et qui nous rappelle des choses terribles, horribles. Dans la cassette vidéo, le corps devient un objet pour passion et pour fusion, dégueulasse et excitant, amoureux et langoureux.

Mais…mais, Carmen Maria Machado atteint le sommet de son art étrange avec Particulièrement monstrueux, monument de weird fiction où horreur, science-fiction, thriller, policier, féminisme et séries télé entrent en collision sans prévenir.
Imaginez ça un peu : un texte écrit comme une série télé, séparé en douze parties comme douze saisons. Dans chaque partie, des sous-parties où chaque paragraphe est nommé par le titre de l'épisode de…New York Unité Spéciale correspondant.
Oui, vous connaissez New York Unité Spéciale, cette série d'enquêtes sur des crimes sexuels particulièrement monstrueux. Avec Benson et Stabler, la femme et l'homme, les deux policiers. Et les personnages annexes : les criminels, les procureurs, les stagiaires…
Carmen Maria Machado commence par donner le pitch de quelques enquêtes sordides puis les choses se tordent. Benson et Stabler croisent leur double maléfique et parfaits, Benson et Stabler entendent des secousses qui annoncent violence et carnages.
Benson voit des filles-aux-yeux-en-clochette qui sont des victimes de viols et d'autres atrocités et qui cherchent à la posséder. Benson tente de tuer son double.
Stabler découvre que sa femme a été enlevé par des extra-terrestres…à moins qu'elle n'ait été elle aussi violée et torturée. Stabler veut Benson mais il ne peut pas.
Et les choses empirent, avec un arrière-goût de la folie cryptique et glauque de 300 millions de Blake Butler. En moins incompréhensible et en plus retors. C'est prodigieux, scotchant, épatant. Une expérience littéraire totale où l'écriture de Machado explose et où votre pauvre cerveau de lecteur finit en compote.

Célébrez Carmen Maria Machado. Célébrez le corps féminins libéré des contraintes masculines, apaisé par la douceur d'autres femmes.
Ce premier recueil à la fois terrifiant, doux, renversant, féministe, intelligent et subtil, ce premier recueil est un délice où le masculin se conjugue au féminin. Un tour de force littéraire, rien de moins.
Lien : https://justaword.fr/son-cor..
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Revisiter le féminin.

Il s'agit d'un recueil de nouvelles de Carmen Maria Machado.

J'ai découvert cette autrice avec l'OLNI "Dans la maison rêvée". L'expérience ayant été plus que concluante, j'ai voulu lire d'autres écrits de Carmen Maria Machado. Ce recueil bouscule les genres brillamment. Certaines nouvelles relèvent du fantastique, quand d'autres lorgnent vers la science-fiction. La thématique commune est la vie des femmes et les différentes violences qu'elles subissent.

Trois nouvelles ont particulièrement retenues mon attention.

"Le point du mari": Cette femme porte en permanence un ruban vert autour du coup, son mari ne peut pas y toucher quelque soit la situation. Cette nouvelle repose sur un élément fantastique. Quel est ce ruban vert ? Que se passe-t-il si on y touche ? Cet élément n'est qu'un prétexte pour montrer la vie de couple du point de vue d'une femme. La nouvelle est très bien ainsi que sa chute.

"Inventaire": Une femme fait l'inventaire de ses amants, alors qu'une pandémie ravage les États-Unis. Également une très bonne nouvelle. La construction est très bien faite. A première vue, il s'agit tout d'abord d'une énumération des ébats sexuels de la narratrice, mais peu à peu la pandémie prend de l'importance.

"Particulièrement monstrueux": Cette nouvelle prend la forme d'un synopsis de série policière. Tout simplement brillant ! Je n'ai d'abord pas compris où voulait en venir l'autrice, mais à partir du milieu de la nouvelle j'ai commencé à comprendre ses intentions. D'une série policière consensuelle, nous passons peu à peu a quelque chose d'extrêmement malsain. Il s'agit de ma nouvelle préférée du recueil, si vous ne devez en lire qu'une seule, lisez celle-ci. L'expérience vaut le détour.

En conclusion, ce recueil m'a de nouveau fait passé un excellent moment. J'attendrai avec impatience les futures publications de Carmen Maria Machado.
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Comme des personnes, il est des lectures pudiques. Elles ne se dévoilent que si on leur accorde intérêt et attention. Ainsi l'on peut choisir de s'en détourner si elles n'ont pas à nos yeux la curiosité qui suscite un effort de notre part. Tout comme à l'inverse l'on peut décider, armé de patience, avide de compréhension face à une oeuvre ou à quelqu'un qui nous paraît fascinant, de semer dans notre petite tête des graines de réflexion et d'imagination. Graines qui pourraient faire croitre de beaux fruits goûteux et de belles feuilles brillantes, faire épanouir et éléver une pensée, lui donner forme et force. le tout parfois auréolé d'admiration pour autrui.
Comme j'admire dorénavant le talent d'autrice de Carmen Maria Machado, après avoir décidé de me donner le temps de relire et de digérer ce premier recueil de nouvelles daté de 2017. Après avoir choisi de ne pas me fermer au premier abord, parceque le sens m'avait échappé pour une bonne part des 8 nouvelles. Ma curiosité et mon admiration tout de même titillée dès la première " le point du mari ", je n'ai pas pu me détourner de ce livre, et passer simplement à autre chose, sans lui donner toute l'attention qu'il mérite.
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La voix est donnée à plusieurs femmes au cours de ces nouvelles. Par des façons détournées, qui surprennent, comme ce ruban vert qu'une femme a noué à son cou, n'autorisant à personne le droit de le toucher, dans une première nouvelle, il est notamment question de la condition féminine de toute une société. Il est question du corps, sa posséssion par autrui, son appropriation par soi-même, son usage comme objet de désir et de plaisir pour les autre et pour soi-même.
Dans une autre nouvelle "A corps perdu" ce corps féminin devient peu à peu transparent, les femmes étant atteintes d'un mal mystérieux qui les fait disparaître. Ici la condition féminine ne détruit pas le corps, elle l'annihile purement. Et les femmes oscillent entre soumission et malice, tristesse et rage. Ma nouvelle favorite, le frisson si difficile à atteindre entre sens et incongru, entre folie et clairvoyance, entre brutalité et finesse.
La condition fémninine, mais aussi les injonctions de la société sur les femmes, sur leur corps, sont aussi très présentes dans la non moins magnifique nouvelle "Huit bouchées". Accepter de se rencontrer soi-même, ou répondre aux injonctions, là est le dilemne de cette femme qui se fait poser un anneau gastrique. Et la réponse de l'autrice est merveilleuse, et m'a beaucoup touchée.
D'une manière différente, cette question de l'acceptation de soi est aussi traitée dans " En résidence ", sous le prisme de l'identité sexuelle. L'homosexualité, le sexe, sont centraux dans les nouvelles de l'autrice dont le discours est aussi engagé que celui de toutes les femmes auxquelles elle donne la parole.
Les scènes et les mots sont crus, choquants tel un tableau expressionniste, avant même d'en saisir le sens. Dans "Pénible en soirée" une femme est aux prises avec un traumatisme dû à une agression. Elle sort à peine de l'hôpital et voudrait reprendre sa vie et sa sexualité en main, mais le traumatisme s'insinue en elle de façon étrange.
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Je ne vais pas égrénner toutes les nouvelles une par une, toutes m'ont saisie, tant par le fond que par la forme. Certaines m'ont laissée de côté malgré mes relectures, comme " Mères ", où réalité et folie sont intriquées, entre peur et désir, entre passion ennivrante et destructrice entre femmes. Un fantasme né de la question de maternité dans leur couple semble les pousser à la rutpture. "Particulièrement monstreux" a fait baisser ma note, car je n'ai pas eu le courage de la relire. En plus d'y être paticulièrement hermétique pour ma part, je l'ai trouvée particulièrement longue.
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Toujours est-il que, malgré ce de quoi je suis hélas passée à côté, et c'est une frustration et non une critique, je suis conquise.
Le style de Machado a le tranchant d'une hache, de part sa crudité, son animalité, et la finesse d'un cristal, de part les émotions et la réflexion qu'il suscite. Les femmes que j'ai croisées ont la force de toutes celles qu'elles représentent en nombre, et l'évanescence de leurs fragilités. Leur pluralité élève haut la voix de toutes les femmes.
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Mention spéciale à la couverture des éditions de l'Olivier. Oui, nous célébrons notre corps, notre pensée, notre liberté souvent entravée et tout un tas d'autres célébrations dans ce titre si bien choisi. L'image, ce dos de femme désirable à la nuque dévoilée, fait écho notamment à la première nouvelle de part la couleur verte qui parait à son cou, comme un ruban, par transparence avec le fond vert de la couverture. Une figure féminine en noir et blanc qui contraste sur un fond vert fluo, qui correspond bien à une charge acide, trash et incongrue qui ne manque pas d'interpeller durablement.
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Citations et extraits (26) Voir plus Ajouter une citation
Lorsque je range ma robe de mariée dans l'armoire avec mon trousseau, je repense à la femme qui, en jouant à cache-cache le jour de son mariage, s'est dissimulée au grenier dans une vieille malle qu'elle n'a jamais pu rouvrir. Elle y est restée prisonnière jusqu'à sa mort. Les gens la croyaient enfuie quand, des années plus tard, une domestique trouva son squelette, en robe blanche, recroquevillé à l'intérieur de cet espace sombre. Les mariées ne s'en sortent jamais bien dans les histoires. Et les histoires laissent pressentir le bonheur avant de le souffler comme une bougie.
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La tête du bébé me hante parce qu'elle tient du fruit gâté. Je m'en rends compte maintenant, au milieu de ce désert inifini de sons. Elle est comme cette partie molle de la pêche dans laquelle vous pouvez enfoncer le pouce, sans trop poser de questions, ni demander si ça va. Je ne vais pas le faire, mais j'en ai envie, une envie si forte que je la dépose. Elle hurle de plus belle. Je la reprends et l'appuie contre moi en murmurant "Je t'aime, ma petite, je ne vais pas te faire de mal ", or la première affirmation est un mensonge et la seconde pourrait en être un également. Je devrais éprouver le besoin de la protéger et je ne pense qu'à cette région molle, cet endroit où je lui ferais du mal si j'essayais, si je voulais lui faire du mal.
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Notre fils a douze ans (...) Son odeur n'est plus celle d'un enfant - la douceur du lait est remplacée par quelque chose de plus violent et pénétrant, comme un cheveu qui grésille sur un poêle.
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Notre fils n’en finit pas de grandir. Il a huit ans, dix ans. Au début, je lui lis des contes de fées — les très anciens, pleins de douleurs, de mort et de mariages forcés qui s’étiolent comme des feuillages jaunis. Il pousse des pieds aux sirènes et ça fait rire. Les méchants cochons repentis quittent de grands banquets sans avoir été mangés. Les vilaines sorcières partent du château et s’installent dans des chaumières où elles passent leurs journées à peindre des portraits de créatures des bois.
En grandissant, cependant, il commence à poser trop de questions. Pourquoi ils ne mangent pas le cochon, alors qu’ils ont si faim et qu’il a été si méchant ? Pourquoi la sorcière a-t-elle le droit de s’en aller du château après avoir été aussi affreuse ? Et l’idée de nageoires transformées en pieds étant trop atroce, il la rejette catégoriquement après s’être coupé la main avec une paire de ciseaux.
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J'étais nerveuse, excitée. J'avais l'impression d'être une guitare, quelqu'un tournait les clés et mes cordes se tendaient. Ils ont battu des cils contre ma peau et soufflé doucement dans mes oreilles. J'ai gémi, frémi, et je me suis tortillée, au bord de la jouissance pendant plusieurs minutes alors que personne ne me touchait à l'endroit voulu, pas même moi.
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