L'Imprimeur

Premier tome d'une série morte-née mettant en scène la famille des Fleckenstein, et notamment l'un de ses membres, Frédéric. Celui-ci après avoir rencontré au cours d'une chasse au bord du Rhin des orpailleurs, se propose de faire pour eux une livraison à Strasbourg, où il rencontrent l'inventeur Gutenberg, qui essaye alors tant bien que mal de terminer son invention, l'imprimerie.

Commençons par le positif: Christophe Carmona est au dessin, et ça se voit. Il fait partie de mes illustrateurs préférés, en raison de la beauté de son travail et de la grande exactitude historique de ses représentations. Ses dessins de Strasbourg, notamment de la cathédrale, ainsi que des villes et châteaux d'Alsace du Nord par où passe le héros sont d'une grande précision et particulièrement beau. Il y a bien quelques erreurs historiques minimes dans les représentations, mais je pense ne les avoir repéré que parce que je suis spécialiste de l'architecture médiévale de la région, et je pense qu'elles passeront inaperçues pour au moins 95% des lecteurs.
Si l'architecture est indubitablement son point fort, les quelques représentations paysagères et animalières ne sont pas en reste. J'aime en revanche un petit peu moins ses personnages.
À noter que le style est ici assez particulier, avec un rendu de type aquarelle qui ne me dérange pas mais pourrait rebuter certains.

Passons maintenant au point qui fâche: le scénario, dont les nombreuses incohérences et inexactitudes brisent l'immersion conférée par la précision des dessins.
Cela commence dès la première page, lorsque l'on apprend que le seigneur de Fleckenstein rentre chez lui après avoir combattu, au côté du roi de France (!), les "vils angloys" (!!) qui sont considérés comme des "envahisseurs" (!!!).
Premièrement, l'Alsace est alors le coeur du Saint-Empire Romain Germanique; deuxièmement, les Fleckenstein eux-même sont des vassaux directs de l'Empereur: pourquoi diable iraient-ils à l'autre bout de leur monde combattre pour un roi qui n'est rien pour eux? Pourquoi diable considéreraient-ils les anglais comme de "vils envahisseurs", puisque non seulement, ils ne sont en rien liés à la France, mais que –pire!– l'Empire joue globalement dans le camp anglais?
On peine à comprendre comment un tel contresens est possible et on ne peut qu'espérer qu'il ne soit pas lié à une certaine idéologie qui aime à maquiller l'histoire pour faire croire que l'Alsace a toujours été 100% française (pendant d'une certaine autre idéologie qui aime agir de même pour faire croire que l'Alsace est 100% allemande).
Je reste également dubitatif sur Frédéric de Fleckenstein qui fait copain-copain avec tous les paysans qu'il rencontre, au point de leur faire leurs commissions. Si certains seigneurs de petites familles ne vivaient guère différemment de leurs paysans, il y a avait tout de même un écart hiérarchique entre eux; et les Fleckenstein ne sont pas précisément des petits nobles, mais l'une des plus puissantes familles d'Alsace du Nord (imaginez que votre député vienne vous dire bonjour et se propose de faire vos courses...pas très crédible).
Il y aussi une légère incohérence dans la chronologie, avec la représentation en simultanée d'évènements ayant eu lieu avec plusieurs années d'écart.

Une bande dessinée qu'on lira surtout pour pouvoir contempler les très belles planches de Christophe Carmona, qui, si elles n'avaient pas été plombées par un scénario un peu faible, aurait données une note plus haute à l'ouvrage. Il semble d'ailleurs que le scénariste n'ai heureusement jamais eu l'occasion de récidiver, puisque je n'ai trouvé absolument aucune trace de lui nulle part.