Nous ne dormions plus dans la même chambre depuis trente ans je crois. Parler dans le noir te ramène en arrière, plus que tout autre chose.
C'est étrange comme un simple rituel--refaire un vieux lit avec de vieux draps--peut apporter la paix, évoquant les esprits bénéfiques.
Nous sommes embarrassés avec les odeurs, surtout avec les mauvaises, à cause d'un processus culturel. Nous tendons à les refuser parce qu'elles évoquent la partie la plus élémentaire, animale si tu veux, de notre nature.
Toujours, avant le départ, il y avait un sentiment d'attente, comme une légère fièvre de l'âme. Les choses qui nous arriveraient cette saison changeraient pour toujours nos vies. On en était certains, chaque fois.
La marchande de tabac
Nous aimions l'épier, bien cachés derrière les persiennes de la cuisine de grand-mère. Sauf quand il faisait vraiment froid, elle dinait dehors, à côté de la porte-fenêtre qui donnait sur la cour. Elle mangeait presque toujours des macaronis à la sauce tomate, tenant son assiette à la main et prononçant, entre deux bouchées, de brèves litanies d'une voix caverneuse. Puis dans la même assiette, juste après, elle versait le contenu d'une boîte de pâtée pour chiens, et poussait un sifflement bref et mordant. Son berger allemand arrivait en remuant la queue, mangeait à son tour et s'endormait repu, tandis que sa maîtresse allumait un demi cigare toscan et le fumait tout en débitant d'autres mélodies gutturales. C'étaient des sortilèges, et quand elle rentrait chez elle - un antre obscur dont on ne distinguait pas l'intérieur - je m'imaginais qu'elle s'occupait de préparer des sorts et des potions maléfiques.
Cette vieille - mais justement je ne suis pas sûr qu'elle l'était vraiment - semblait tout droit sortie d'un conte noir des frères Grimm et pendant des années, même après la fermeture du magasin, même après la fin de mon enfance, elle est revenue me hanter la nuit, dans quelques-uns de mes cauchemars les plus gothiques.
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Les oliviers sont caressés par un vent léger qui change la couleur des feuilles, et l'air est doux.
E una giornata di ottobre, le soleil allonge les ombres, avant l'obscurité hivernale.
En général, c'était papa qui cuisinait, alternant chaque année deux plats typiques de la région : les spaghettis à la San Giuannid - avec des olives, des anchois, des câpres, des tomates cerises et du piment frais - et la ciallèd. La cialleda avait une base toujours identique : pain sec d'orge trempé et coupé en morceaux, sel, huile, origan,basilic, tomates, concombres et oignon rouge d'Acquaviva, émincé très fin. Ce plat - qui se mange froid et ressemble à la panzanella florentine - avait de nombreuses variations sur ce thème, avec ajout de fromages frais, de thon, de poulet, d'anchois et de poivrons crus. Naturellement pas tout à la fois.
Après le déjeuner, j'allais dans ma chambre, tandis que Gianrico était déjà à la recherche des copains. Je m'allongeais sur le lit, je fermais les yeux et j'écoutais. C'était ça le plus excitant. Les bruits du bois annonçaient les mystères de l'été.
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