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Critique de MarcelineBodier


J'ai été vraiment très agréablement surprise par Mon petit coeur de pierre. Pourtant, en écrivant cela, je me demande par rapport à quoi j'ai été surprise : je ne connais pas grand chose à la littérature dite pour ados. Surprise par rapport à l'idée que je ne suis pas la lectrice cible, sans doute... et pourtant, je recommande vraiment ce roman à toute personne qui s'intéresse aux mécanismes des dépressions qui surgissent à l'âge adulte : car tout est là, décrit à l'âge où tout se joue, mais que nous avons plutôt l'habitude de voir décrit 10, 20 ou 30 ans plus tard, quand tout s'est installé, qu'un travail souterrain nous a rongés jusqu'à surgir sous forme de plaie si difficile à soigner, et que nous éprouvons le besoin de remonter à l'enfance et aux tournants ratés dans l'adolescence. Là, en décrivant ce qui arrive à Marion pendant son année de troisième, Lucile Caron-Boyer nous donne la chance d'observer à la loupe le moment où tous les tournants sont possibles : ceux qui lèvent les malentendus et permettent d'enraciner une vie adulte qui pourra s'épanouir, ou ceux qui les enfouissent et lancent des années de spirale descendante. C'est passionnant de les voir à l'oeuvre en direct, d'une manière qui sonne très juste.

Alors évidemment, on a très envie de comprendre ce qui fait que pour Marion, on a le sentiment que la vie adulte tournera bien. Est-ce une histoire particulière et non généralisable ? Marion entre en troisième, n'a jamais connu son père, mort avant sa naissance, a grandi avec un meilleur ami roux qu'elle cherche à protéger autant qu'il la protège, et a cadenassé ses sentiments de peur qu'ils la submergent. Cette histoire est banale. Et elle est de celles qui peuvent mener à une vie adulte faite de dépression : à moins que... à moins que quoi ? A moins d'avoir la chance, comme elle, d'être entourée d'adultes bienveillants qui entourent sa mère ? A moins d'avoir la chance d'avoir rencontré un meilleur ami dès l'école primaire, avec qui elle grandit mieux qu'avec un frère, car ils se sont choisis ? A moins d'avoir la chance que sa mère rencontre un homme qui a envie de bien faire ?

Je ne crois pas. Tout ça, c'est l'histoire que raconte Lucile Caron-Boyer, mais si cela fonctionne, c'est pour une raison que nous avons tout intérêt à identifier parce qu'elle peut aider chacun de nous : et je crois que c'est parce que Marion essaye toujours de protéger les autres avant de se protéger elle-même. Son petit coeur est en pierre, c'est entendu : il est donc bien à l'abri et elle se sent suffisamment forte pour avoir envie de protéger ceux dont elle pense le petit coeur plus fragile. Son ami Tom l'aide, mais elle a envie de le protéger et elle prend des initiatives aux surprenantes conséquences (pour elle) parce qu'elle veut lui venir en aide. Hervé, l'amoureux de sa mère, lui parle, mais elle n'entend ce qu'il lui dit qu'à partir du moment où elle se décide à lui demander pourquoi il s'enlaidit d'une moustache dont elle se doute que sa mère la tolère, sans l'aimer. Ce faisant, évidemment... les choses bougent autour d'elle, les autres l'aident en retour, et elle éclaircit les énigmes de sa vie l'une après l'autre au lieu de les enfouir.

Somme toute, c'est le processus qu'a magistralement décortiqué Irvin Yalom dans Et Nieztsche a pleuré : Breuer ne peut aider Nietzsche qu'à partir du moment où il retourne la situation en demandant à Nietzsche de l'aider. Dans Mon petit coeur de pierre, on le retrouve sans intention de le décortiquer ni d'en faire une leçon, juste en mécanisme sous-jacent à une histoire qui sonne très juste parce que tout ne s'y enchaîne pas comme par magie, mais avance sous l'effet de réactions en chaîne qui se produisent et ont des effets vertueux dès lors que nous savons saisir les occasions où quelqu'un a besoin de nous. Et ça, ne serait-ce pas toujours vrai, à n'importe quel âge ?

Et puis il y a la plume de Lucile Boyer-Caron, simple et bourrée de formules-trouvailles, qui touchent toujours très juste : « Je n'avais pas vu venir l'ennemi. Il a surgi de l'intérieur ». « Ce que je ressentais, ce qui devait transparaître, c'était l'écoeurement, la sensation d'être ballottée dans le secret des autres, d'être le personnage central d'un jeu dont j'étais la seule à ne pas connaître les règles et le but ». « Ce n'était pas romantique. C'était terrifiant ». Il y a son humour. Au final, une superbe réussite et un livre à mettre entre toutes les mains !
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