AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Nastasia-B


Les bobos parisiens ne mangent certes pas de steak, mais ils ont la dent longue. Merci à Aymeric Caron, Fabrice Nicolino et leur bande de suiveurs en col blanc et aux ongles impeccables de nuire à un secteur qui fait partie de l'identité même et de la culture de la France depuis la nuit des temps.

Les agriculteurs et en particuliers les petits éleveurs de races à viande gagnent au mieux des clopinettes et le plus souvent ne gagnent rien du tout, en faisant l'un des métiers les plus durs qui soient : travail non stop 365 jours par an, en n'oubliant pas, en plus, de se relever toutes les nuits quand il y a des vêlages, dans le froid, sous la fournaise ou sous la pluie battante, parce qu'il y a une magnifique campagne de dénigrement organisée par des lobbies divers (dont les grands groupes agroalimentaires car ils n'ont pas la main sur ce marché) de petits mirlitons parisiens ou d'ailleurs (la bêtise pousse très bien et dans n'importe quel sol, même à la campagne) qui n'y connaissent absolument rien et qui ont perçu au mieux 15 % des enjeux depuis la mince fenêtre de leur bureau en verre.

Je hais ces minables et c'est une fille d'éleveur bovin qui vous parle. Quelqu'un qui sait ce que c'est que d'avoir l'onglée, la fourche à la main, les mois d'hiver, quelqu'un qui sait ce que c'est que le stress d'une naissance difficile, quelqu'un qui sait ce que c'est que d'avoir le dos brisé à soulever un veau pour essayer de le maintenir debout quand il n'arrive pas encore à boire seul à la mamelle de la mère, quelqu'un qui sait ce que c'est que de voir réduit à néant ou à presque rien une à deux années de travail parce que les cours ont perdu 30 % en quinze jours sous l'effet de telle ou telle annonce.

Les ignares agricoles comme Aymeric Caron, qui prônent un végétarisme absolu savent-ils seulement que la production agricole végétale est encore bien plus polluante et dévastatrice pour notre planète que l'élevage ? Savent-ils que ce qui menace le plus actuellement la biodiversité, c'est justement la mise en culture pour des productions végétales d'espaces jusqu'alors sauvages ?

Les ignares agricoles comme Aymeric Caron savent-ils que le mode d'élevage traditionnel du bétail en France (je pense par exemple à la Bourgogne, au Limousin, aux Pays de Loire ou, à ma propre région d'origine, la Normandie), s'appuie (ou plutôt s'appuyait car il tend à disparaître justement sous l'action des gros lourds à la Caron) sur des bocages, c'est-à-dire de petites parcelles en herbe délimitées par des haies, le plus souvent des doubles haies (lisez Flaubert ou Maupassant, par exemple, qui le décrivent très bien dans leurs écrits du XIXème siècle et qui parlent plus spécifiquement de la Normandie).

Ces doubles haies servaient à la fois de chemins balisés pour conduire le bétail d'une pâture à l'autre ou de l'étable à la pâture, servaient au drainage naturel en cas de fortes pluies tout en ralentissant admirablement le ruissellement des eaux et en maintenant une humidité lors des mois les plus chauds. Avec leur effet tampon, elles luttaient donc activement contre l'érosion des sols, la pollution des nappes phréatiques et le besoin d'irrigation qui pille actuellement les ressources en eaux en bon nombres d'endroits en France ou ailleurs. C'était aussi, un abri naturel qui permettait aux vaches de bien supporter à peu près tous les climats en toute saison (ombre l'été, rempart contre la pluie et le vent, etc.), c'était un réservoir incalculable de biodiversité. Je pense notamment à une espèce autrefois très répandue comme la tourterelle des bois (Streptopelia turtur) qu'on ne rencontre quasiment plus dans ma Normandie natale, faute d'environnement adéquat.

C'était un système pérenne et non polluant qui a fait ses preuves pendant plus de mille ans avant que le XXème siècle et sa manie de vouloir tout mécaniser et sa prétention de tout savoir mieux que ceux qui avaient précédé ne vienne tout casser. SI bien qu'on a arraché ces haies (les Bretons savent de quoi je parle avec le traumatisme du remembrement avec les conséquences désastreuses pour les minces sols et les nappes phréatiques bretons, coincés qu'ils sont sur un socle en granit) en disant aux agriculteurs qui avaient toujours fait de la même façon : « Faites différemment, utilisez des engrais chimiques, donnez du maïs aux vaches, faites des ensilages, donnez des tourteaux de soja, mécanisez-vous, faites des grands bâtiments hors-sol, en un mot comme en cent, devenez IN-DUS-TRI-ELS ! »

En fait, Aymeric Caron confond le fait de consommer de la viande et le fait que la production soit devenue industrielle, sous l'effet combiné des banquiers (ces magnifiques banquiers que j'adore), de la grande distribution (ô, grande distribution de mon cœur !) et de l'ouverture des frontières à tous vents pour de la viande venue d'ailleurs et produite dans des conditions qu'il ne vaut mieux pas détailler (Ah ! la magique mondialisation et la somptueuse OMC, comme je vous aime !).

Savez-vous seulement, mon brave Aymeric Caron ce qu'est de la viande ? Le top du top de la viande, la Rolls-Royce de l'entrecôte, c'est de la génisse de 4 ans, si possible d'une race mixte et non d'une race à viande (je ne parle évidemment pas des vaches laitières de réforme puisqu'on ne peut décemment pas appeler ça de la viande), pour la bonne et simple raison que dans les races à viande actuelles, la sélection a été tellement faite sur le muscle et avec une telle volonté de proscrire le gras qu'on en a perdu du même coup toute la saveur, tout l'intérêt gustatif et même sa texture. Une entrecôte, ou, mieux encore, une araignée, ce n'est pas rose, ni rouge, ni uniforme comme ce que l'on vous propose avec une magnifique étiquette " jeune bovin ", appellation qui en terme gastronomique signifie " grosse infamie ".

Non, une entrecôte ou une araignée c'est sombre, de couleur violacée, et c'est constellé de fines inclusions de gras blanchâtres ou jaunâtres : on appelle ça " persillé ". C'est joli à voir tellement c'est irrégulier, tellement cela ne ressemble à aucune autre, cela pourrait se comparer à une belle roche métamorphique, comme un gneiss avec ses inclusions de feldspaths. Cela a pris longtemps à faire : quatre longues années dans les herbages à la belle saison et du foin à volonté l'hiver. Il n'y a besoin de rien d'autre, simplement du temps et de l'herbe et l'œil expert d'un éleveur pour savoir s'en occuper si elle est malade et pour savoir la faire abattre au moment idéal d'engraissement, ni trop, ni trop peu.

Malheureusement, cette qualité, ce travail, cette non pollution, cette activité économique honorable, plus personne ou presque n'est plus prêt à la payer à sa juste valeur. On ouvre les portes de n'importe où et on fait venir n'importe quoi si bien que les prix invariablement baissent. Mon père vend son kilogramme de viande à peu près au même prix qu'en 1983 avec une conversion du franc à l'euro. Vous connaissez un domaine où les prix n'ont pas bougé depuis 1983 ?

SI bien que les petits éleveurs ne vivent plus du fruit de leur travail mais du complément apporté par les primes européennes. Les éleveurs de veulent pas de ces primes, ne veulent pas faire la manche ni cirer les bottes de Bruxelles. Ils veulent juste vivre du prix de vente de leur travail et ce travail, je ne le répèterai jamais assez, sachez qu'il est dur et prenant et qu'on finit à 65 ans avec le dos bousillé, les mains caleuses et tordues dans tous les sens et la démarche trainante et qu'on ne fera visiblement pas un centenaire.

Donc, les petits éleveurs crèvent, les uns après les autres, et ne survivent (mal certes) que ceux qui font de l'industriel, la négation de ce qu'est la bonne viande et la production durable de viande. De sorte que plus l'on boycotte la viande, comme ce que préconise ce sinistre faible penseur de Caron, plus on favorise, plus on sélectionne par un processus quasi darwinien les pires éleveurs, qui font la pire viande et la moins durable. Celle qui est bien rose, sans une once de graisse, celle qui s'intitule " jeune bovin ", c'est-à-dire du taurillon de 2 ans, une hérésie, mi-veau mi-bœuf, qui n'a consommé que des ensilages abjects traités à l'acide propionique et d'origines les plus douteuses (les sojas OGM américains, par exemple, parmi une liste fort longue). [Juste pour info, ceux qui remplacent les protéines animales par des protéines de soja, renseignez-vous un peu sur votre sensationnel soja ; on va rigoler cinq minutes.]

Quand à l'argument saugrenu des tenants de la vie animale. C'est tellement juvénile, c'est tellement non réfléchi, c'est tellement facile à battre en brèche voire à humilier que je n'éprouve aucune satisfaction rhétorique à les contre-dire. Je vais juste souligner un tout petit problème logistique d'approvisionnement car il va bien falloir, lorsque plus personne ne consommera de viande, et donc, n'en produira, qu'ils trouvent, ces amis des bêtes, une solution alternative pour nourrir leurs millions de chiens et de chats, leurs petits amours d'animaux de compagnie qui ne raffolent pas spécialement de la salade ni des pois chiches...

Ouvrez les yeux ! Réfléchissez ! Depuis que l'homme est homme il mange de la viande, c'est ça qui lui a permis de survivre aux grandes glaciations et dans les zones les plus hostiles de la planète (allez dire aux Inuits que manger de la viande, ce n'est pas bon pour la planète, ah ! ah ! ah !, la bonne blague !) et parce que les mièvres Aymeric Caron et consort, avec leurs petits derrières bien propres et parce que du haut de leur infinie science (entendez la contrepèterie qu'on peut faire avec ces deux mots) ils ont trouvé ça tout seuls et qu'ils ont la possibilité d'ouvrir la bouche grand comme des hippopotames devant un micro de bas aloi ou une caméra dénuée de talent, il faudrait que l'humanité entière se convertisse ?

Et quand l'humanité convertie se rendra compte que c'était une grossière erreur et se retournera pour lui mettre son poing, il ne lui restera même plus assez de dents dans sa gueule de végane pour opposer une résistance honorable et digne de ce nom.

Souvenez-vous monsieur Caron, plus de mille ans de pérennité pour le système d'élevage traditionnel, ça fait un paquet de générations qui n'ont pas trouvé mieux, un paquet de générations qui ont su utiliser leur environnement de façon durable et optimale, sans un seul gramme de pesticide ni de produit chimique. Ce que vous voyez, c'est l'élevage industriel, ce à quoi je veux bien me joindre à vous pour dire qu'il est un scandale et un outrage aussi bien aux personnes qui les mangent qu'aux animaux qui le subissent.

L'ennui, c'est que vous jetez le bébé avec l'eau du bain : la production industrielle de viande est un scandale ERGO il ne faut plus manger de viande, quitte à faire crever ceux qui justement luttent avec leurs faibles moyens pour de la qualité et de l'élevage durable et respectueux. Sachez enfin, monsieur Caron, que les quelques fois où j'ai vu mon père pleurer, il y a bien la moitié des fois où c'était suite à la mort d'un animal pour lequel de toute son âme il avait fait, de longs jours ou de longues semaines durant, tout son possible et même un peu plus pour le maintenir en vie ; mais la nature est parfois ingrate et ne paye pas de retour le mal et la peine qu'on se donne.

Si bien que de tout cela, cher monsieur Caron, permettez-moi de vous dire que je vous désavoue totalement et que cet avis, qui n'est que mon avis, je vous le jette à la figure, mais j'aimerai autant qu'il fût un coup de poing et qu'il vous enflât l'œil pour un bon moment. Au moins auriez-vous l'occasion de connaître l'un des autres mérites de l'escalope froide...

P. S. : Je me souviens encore, au début des années 2000, lorsque la Pologne est entrée économiquement dans l'Union européenne, elle qui comptait 60 % de sa population active vivant de près ou de loin de l'agriculture, dans de petites structures de type familial, que des reportages étaient consacrés à la " modernisation " (ça signifie " dégradation drastique " en terme de qualité des produits, je vous branche le décodeur) de l'agriculture polonaise.

On y voyait le commissaire européen dont j'ai oublié le nom, déambulant devant la caméra dans les campagnes, avec son costume, sa chemise blanche et son gros bide en-dessous qui expliquait aux paysans qui avaient fait ça toute leur vie comment il allait falloir travailler à présent. Et cette phrase, qui sonnait beau et fort dans sa grosse tête de technocrate : « Chaque agriculteur polonais doit apprendre à devenir un chef d'entreprise. » L'enjeu, c'était que la Pologne puisse ENFIN toucher les subventions européennes...

Ah ! comme c'est beau l'Europe vu comme ça ! (Hep ! et si, pour s'en sortir, on leur achetait leurs produits à leur vraie valeur ? P't-être ben qu'ils en auraient plus besoin des subventions européennes les Polonais, et les Français non plus, et les Espagnols non plus et plus personne même ? Car les subventions, c'est qui ? C'est tout le monde, enfin, ceux qui payent des impôts, j'entends, c'est-à-dire, ceux qui ont le moins de capital, car ceux qui ont vraiment de l'argent, eux n'en payent pas.

Voyez que la vie est bien faite car ce procédé permet aux intermédiaires qui sont pleins aux as, dont la grande distribution, de continuer à prélever leur petite rente. Donc, vous me suivez, ceux qui achètent payent deux fois l'impôt (une fois à la grande distribution, qui elle n'en paye quasiment pas pour les subventions à l'agriculture) et une fois dans les impôts classiques. Quant à ceux qui sont végétariens, végétaliens, véganes, méganes ou rogatons, ils payent quoi qu'il arrive dans leurs impôts pour que la grande distribution puisse continuer à saigner les éleveurs tranquillement. Lesquels éleveurs on perfuse de menues primes compensatrices juste avant le seuil létal.

Dans l'absolu, les seuls qui devraient payer sont les consommateurs de viande et l'essentiel de ce qu'ils payent devrait revenir aux éleveurs qui ont fait tout le travail et qui ainsi vivraient réellement de leur activité. Donc, non seulement, si vous ne consommez pas de viande (notamment de viande de qualité) vous renforcez ce que dénonce Caron, mais en plus, vous vous faites royalement avoir.

En somme, mon petit Aymeric, cogne-toi un petit steak de temps en temps, mais choisis-le bien, d'une génisse de quatre ans, d'une race mixte, comme la salers ou la normande ou les magnifiques petites races des montagnes, assure-toi qu'elle n'aura mangé que de l'herbe, et si tel est le cas, tu peux être sûr que le paysan ne sera pas un gros exploitant, il aura peut-être un peu tendance à rouler les r et à patoiser, glisse-lui ton petit billet dans sa grosse main tannée aux doigts gonflés et aux ongles noircis.

Il ne te parlera pas beaucoup parce qu'il ne sait pas trop faire ça, mais il aura comme une lueur dans le regard, un brillant qui ne s'appelle pas encore une larme mais qui en est l'embryon. Il ne te dira pas grand-chose mais au fond de son cœur il y aura quelque chose comme de la reconnaissance, parce qu'il aura compris que tu respectes son travail, et son travail à lui, c'est toute sa vie, les vaches c'est toute sa vie et il en a marre de se faire insulter et de se faire montrer du doigt par des gens qui n'y connaissent rien et parce que certains éleveurs sans âme salissent sa profession. Penses-y Aymeric et ferme-la un peu, ça nous fera des vacances.
Commenter  J’apprécie          15328



Ont apprécié cette critique (131)voir plus




{* *}