Nous aimons bien la musique cubaine, par contre sa littérature a été très loin de nous séduire jusqu'à ce jour. Ce "Siècle des Lumières" souffre des mêmes défauts que cette autre monstruosité intitulée "La caverne des idées" commise par un certain Somoza. (cf. notre critique de ce livre sur le même site)
Déjà le titre est une supercherie dans la mesure où le récit ne se situe qu'à l'extrême fin du XVIIIème, période pendant laquelle les idéaux de ce fameux siècle ont été bafoués, piétinés. Il eût donc été plus judicieux et surtout plus honnête de titrer ce roman "Le naufrage du Siècle des Lumières" par ex. de plus nous n'avons pas aimé ce mélange des genres : entre histoire ou roman, prose ou poésie, Alejo n'a pas su choisir, le résultat est hélas un salmigondis fort indigeste ... Carpentier comme Somoza
-frustrés de ne pas trouver de personnages suffisamment charismatiques dans la mémoire de leur île- plaquent donc leurs fictions sur des périodes marquantes du passé occidental. À notre sens, ces lacunes ne les autorisent absolument pas à transformer des personnages historiques en marionnettes de leurs fictions délirantes. Ici les héros fictifs ne sont pas moins caricaturaux : gosses de riches capricieux véritables têtes à claques. La Sofia notamment, qui de pucelle effarouchée passe par les stades d'épouse indigne, d'amante soumise, de quasi nymphomane, pour finir lamentablement en Pasionaria avant la lettre. le lecteur n'est évidemment pas en droit de s'étonner que, sans être scolarisés, ces ados se révèlent être de fins érudits : Aucun livre rare ne leur est inconnu, aucun hameau de la toundra, aucun myriapode du Popocatepetl ne sauraient échapper à leur sagacité. Sans compter tout le matériel scientifique - à faire crever d'envie un Lavoisier- qui encombre le Capharnaüm dans lequel ils s'ébattent. En fait, rien que de très normal dans ce foyer culturel d'exception que devait être La Havane de cette époque !
Ce qui précède pourrait être tenu pour négligeable si, au moins, la lecture restait agréable. Mais il n'en est rien, le style emprunté à
Proust (avec le talent en moins) est parfaitement imbuvable. (ce que confirment d'autres commentateurs.) Comment peut-on infliger régulièrement à son lecteur des phrases de 11 lignes (cf:p.16) dont le sens, de par leur complexité, reste forcément obscur. On pourrait encore qualifier cette prose -pleine de clichés, de néologismes, de citations en latin ou autres langues- de prétentieuse, d'ampoulée, quand elle ne sombre pas dans le verbiage insipide.
Que dire encore de ces descriptions à rallonge dont on se lasse rapidement à cause de leur caractère bien trop répétitif qui nuit gravement à la progression de la "narration" à défaut d'intrigue véritable. On se surprend vite à les sauter sournoisement en soupirant : "passons enfin au déluge." L'un des pires exemples s'étale de la p.237 (où l'on apprend qu'une baleine est un poisson !!!) jusqu'à la p.245. Rien ne nous est épargné, du plus infime grain de sable jusqu'à la grosse méduse gélatineuse échouée sur la plage, en passant par tous les éléments intermédiaires dont nous vous ferons grâce par compassion. L'action, par elle même, aurait pu facilement se limiter à 50 pages, mais comme pour chaque page de récit il faut en ajouter au minimum 5 de descriptions, ça fait évidemment beaucoup de papier noirci pour ne pas dire gâché ;-) Vous nous direz qu'on n'arrive ainsi qu'à un total de 300 environ, alors que le bouquin en a plus de 400. Que contiennent donc les pages restantes ? Exact, nous avions oublié de préciser que notre auteur aime tellement ses descriptions qu'il en fait des copier-coller pratiquement mot pour mot. On se farcit ainsi au moins 5 fois la description de l'entrepôt-dépotoir où sévissaient les garnements, vous voyez qu'à ce rythme on arrive rapidement au bout du compte...
Que dire encore ? Ah oui, nous avons aussi été particulièrement énervés par certains noms et mots qui reviennent, hors de propos, à une fréquence obsessionnelle : Lycurgue, Hiram Abi, l'abbé Marchena, ancillaire et surtout cécine (que le traducteur aurait dû orthographier cecina pour éviter la confusion avec le composé chimique.)
Étant donné que Somoza souffre des mêmes tocs, nous nous risquerons d'émettre l'hypothèse selon laquelle un virus spécifique sévissant à Cuba pourrait en être la cause... ;-) Et à propos de ce Lycurgue qui hante visiblement Carpentier pour on ne sait quelle obscure raison, nous avons été consternés par cette scène (p.76) d'une puérilité grotesque où Victor est censé animer des épisodes de la vie de ce personnage. S'il n'était décédé, on aurait aimé que Alejo nous montre comment il s'y prendrait pour mimer ce législateur et à plus forte raison une scène de sa vie dont on ne sait rien !!! Il est également évident que d'autres passages (ex: p.361) ont été écrits en pleine ivresse lysergique, sinon on est légitimement en droit de se poser des questions sur la santé mentale de l'auteur. Dans le même ordre d'idées on ne peut pas passer sous silence l'omniprésence d'un tableau représentant une "explosion dans une cathédrale". Oeuvre qui, soit dit en passant, avait autant de chances de se trouver dans cette demeure qu'un portrait dédicacé de tonton Adolf dans le boudoir d'
Anne Sinclair ;-) [ Afin de rassurer nos lecteurs fans d'art pictural, précisons que -contrairement aux élucubrations d'Alejo- cette toile n'est pas l'oeuvre d'un artiste anonyme et qu'elle n'a pas été vandalisée par Esteban (p.398) puisqu'on peut la contempler, intacte, au Fitzwilliam Museum sous le titre de "King Asa of Juda destroying the idols" ] Des esprits bienveillants voudront y voir (ce qui reste à prouver) la volonté de l'auteur d'en faire un symbole de ce mode de civilisation en train de s'écrouler. Mais alors pourquoi ne pas faire allusion à d'autres peintres comme
Thomas Cole ou
John Martin qui ont illustré ce thème de manière encore plus explicite ? Manque de vraie culture ? On est poussé vers ce soupçon dès le premier chapitre où Carpentier commence à déverser le trop plein de son glossaire : mots rares ou techniques glanés au cours de lectures on ne peut plus éclectiques. Il adore le bric à brac et ne se gêne pas pour nous l'infliger encore et encore. C'est bien connu : La culture c'est comme la confiture...moins on en a plus on l'étale et notre pédant ne s'en prive pas hélas. Que d'anecdotes, de digressions hors sujet, qui débarquent comme un cheveu sur la soupe, c'est éreintant...Curieusement ce reproche est fait à Victor au début de la (p.360)...comme quoi on ne se voit jamais tel qu'on est !
La sensibilité de certains lecteurs sera également mise à rude épreuve par ce goût malsain pour la mort et la cruauté, (typique de la mentalité ibérique) illustré par des descriptions complaisantes et insistantes de diverses atrocités, sans compter la foule des autres outrances. On pourrait encore énumérer les plagiats, toutes les invraisemblances et scènes ridicules, mais nous laisserons cette corvée aux lecteurs masochistes qui voudront se risquer dans ce siècle, qui ne nous aura certes pas éblouis par ses lumières.
Faut-il encore voir dans ce livre une critique des dérives de la Révolution Cubaine ? Nous n'y avons trouvé aucune allusion évidente. Alejo n'avait-il pas le courage qu'il prête à Sofia ? Victime d'un assassinat, il aurait pourtant bénéficié d'une aura de gloire pour sa postérité. Comme Mitterrand il a raté la sortie théâtrale dont tous deux devaient rêver...
CONCLUSION : Certes, on ne peut nier que Carpentier soit un écrivain cubain, mais certainement pas un "grand" écrivain comme on voudrait nous le faire admettre.