Retour aux sources est la nouvelle la plus fameuse d'
Alejo Carpentier, le créateur du réalisme magique latino-américain. Elle a été écrite en 1944 et publiée en 1963 à la Havane. Dans cette nouvelle, le temps s'inverse littéralement.
Une grande maison coloniale est en démolition au premier chapitre. Un vieux « nègre » s'assoit dans le jardin sous une statue de Ceres délabrée et frappe le sol avec un bâton.
La maison se reconstruit, et Don Martial, Marquis de Capellanas, l'aristocrate mourant qui la possédait autrefois voit sa vie repartir à rebours : sa maladie disparaît, il récupère, se rétracte de la longue confession faite au prêtre sur son lit de mort. Sa maîtresse se lève, s'habille et quitte sa maison. Martial est déprimé par la vente de la maison. Il prend une maîtresse suite au décès de sa femme. La maison et son contenu rajeunissent. Etc etc. Sa vie est refondue, rembobinée comme un film rejoué à l'envers en 12 fuseaux , jusqu'à sa naissance, une époque où « il ne savait pas son nom », puis au-delà, jusqu'à une époque où « tout retourne à son état premier».
A la fin les ouvriers chargés de la démolition reviennent constater que la maison a disparu.
Il y a mille et une choses à découvrir dans cette nouvelle.
Alejo Carpentier était un musicien et un musicologue réputé. Son récit est construit savamment selon la récurrence ou forme rétrograde c'est-à dire lue de la dernière note à la première, avec des coups de tonnerre et des motifs répétés : la statue de Ceres (déesse de la fertilité et de l'agriculture), l'horloge, le miroir.
Les descriptions de la maison, des meubles qui s'agrandissent, des objets aux différents stade de la vie de Martial sont formidables : précises, foisonnantes, sensorielles, luxuriantes à mesure que la terre originelle reprend ses droits (voir citations).
La magie est déclenchée par le vieux « nègre » qui provoque la régression. Il est une sorte d'intercesseur entre le temps chronologique et le temps à rebours cyclique. Il réapparaîtra plus tard avec Melchor le cocher noir de la propriété et « mage » comme son nom l'indique, qui apprend tant de choses au jeune Martial en cachette du père détesté.
Suite à sa longue confession, on pense que Martial est un homme sans scrupules, on se demande s'il n'a pas tué la marquise mais à mesure qu'on déroule le film à rebours on révise notre jugement. Il devient en effet de plus en plus sympathique. Martial se dépouille de ses attributs colonialistes, des convenances, des tabous, il retrouve sa liberté, son innocence, sa vie est plus agréable, plus ludique, il devient plus joyeux, plus sauvage, plus animal et finit au-delà de sa naissance par fusionner avec la semence nourricière.
Retour aux sources figure dans l'excellente anthologie Histoires étranges et fantastiques d'Amérique latine, dans le recueil
Guerre du Temps et autres nouvelles (folio) et je vous recommande chaudement l'écoute du podcast gratuit.