Les Rêveurs, un récit où les mots sont portés jusqu'à leur incandescence par
Isabelle Carré, jusqu'à la rupture, quand la voix se brise, quand les yeux se ferment, où quand l'émotion retient ses larmes. Il faut alors apaiser les battements du coeur et reprendre son souffle. Abasourdi par cette acuité à faire revivre, les hésitations de la mère, la tendresse qui ne sait plus par où passer, "une famille où les femmes n'ont pas de bras". le Grand-Père est le seul être, qui fut capable de rattacher la mère d'Isabelle à la vie.
Ce roman est la révélation d'un réel talent.
Isabelle Carré n'a pas seulement raconté son enfance, elle a imaginé les blancs, créé des passerelles entre des événements disjoints, éparpillés, dans une géographie familiale de plus en plus complexe. Quel magie pour repeindre des épisodes douloureux, en vaudevilles bouleversants.
Elle rejoint dans ma bibliothèque
Lionel Duroy, un autre écrivain cabossé par une enfance tourmentée où plane comme par hasard une vieille famille bordelaise.
Isabelle Carré, a fait de la rêverie, un sas, une parenthèse, pour ne pas étouffer, pour ne pas chercher à tout deviner et à tout comprendre de ses parents, de la fragilité de sa mère, aux humeurs changeantes de son père. Elle ressent une bizarrerie, qui fait d'elle un vilain petit canard, qui n'est pas tout à fait comme les autres enfants.
Ses parents, poursuivent parfois semble-t-il des chimères, comme des châteaux en Espagne, des rêves un peu fous.
Alors oui, ce sont des rêveurs, vus de loin, une périphrase pour ne pas dire, des parents un peu déglingués, riches un jour ruinés le lendemain.
Il est difficile d'imaginer le parcours chaotique d'
Isabelle Carré, où la peur envahit chaque enfant, au point de les pousser à des postures violentes, "le voisin craque, exige que mon frère arrête avec ce piano, qu'on n'a même pas pris la peine d'accorder il ne cesse de jouer pendant des heures improvisant Keith Jarrett." p 108.
Ce sont aussi des actes insensés, comme cet envol d'Isabelle à l'âge de trois ans, depuis le 2ème étage, pour rejoindre sa mère, dans la crainte possible, d'être oubliée.
Puisque l'homosexualité du père est au coeur du livre, sa révélation, devient un épiphénomène, tant les indices, les attitudes ambivalents du père, ne pouvaient que révéler une personnalité singulière. Comment ne pas remarquer cette peinture faite par un ami du père, sur la porte de leur appartement, côté public, vu sur le palier, ou deux hommes nus courent sur une plage !
l'adresse d'
Isabelle Carré, est d'avoir su se moquer de la fragilité ou de la singularité de ses parents sans jamais les juger, en ayant pour eux de la tendresse, celle qui a manqué à sa mère, une tendresse où les bras brusquement vous enveloppent, telles de grandes ailes pour vous protéger de la tempête.
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