Un livre qui apporte une autre vision du monde et de la vacuité, un grand bouleversement.
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Abolir tous les étants.
Le scepticisme ouvre la voie du doute créateur et de la suspension de l'assentiment dans le but d'atteindre le bonheur. Expérience vécue de l'« epochè » et du pyrrhonisme pur.
Je ne suis pas philosophe mais la sagesse me fait rêver. Je rêve du renversement de tout ce qui fait souffrir et, d'abord, du renversement de ma petitesse. Cette sagesse du renversement, j'ai cru, comme beaucoup, la trouver dans la voie sceptique, la voie du doute créateur et de la « suspension de l'assentiment » (epochè) dans le but d'atteindre le bonheur. Mais, à la lecture du Pyrrhon et l'apparence de Marcel Conche et la pratique du bouddhisme aidant, l'epochè est devenue pour moi, plutôt qu'une parenthèse phénoménologique vite refermée pour ne pas y laisser trop de plumes, un véritable « arrêt du jugement ». L'extrême intelligence du scepticisme à la Sextus, par exemple, peut vous déposer sur le seuil de la « grande epochè », mais elle ne vous y plongera pas autant que le « pyrrhonisme pur » et radicalement non dualiste que le mystérieux Pyrrhon d'Elis incarne désormais pour moi.
Quelle indifférence ? L'adiaphorie, qui est avant tout "non-différence" et donc pas uniquement psychologique. Le secret le plus profond de la grande epochè, c'est l'adiaphorie, la réponse à la question de l'ultime "comment" des choses, leur totale non indifférence. En quoi les choses sont-elles non duelles ou égales ? Leur différences ne sont que relativement vraies : à bien chercher leurs traits distinctifs ultimes, on n'en trouve aucun qui tienne, et ce, dans aucune des logiques disponibles à ce jour. On ne trouve que des hypothèses, des axiomes, des probabilités : rien de réel, de consistant, de subsistant. Et l'on peut dire que, dans leur vérité absolue, les choses ont une seule et même essence insaisissable, laquelle fonde leur non-différence.
Cette adiaphorie universelle n'est pas sans évoquer la "grande pureté-égalité" des choses que la philosophie bouddhiste s'attache à décrire. La remarque est importante car, depuis que la philosophie occidentale se mord la queue en admirant et en protégeant ses limites (l'être et son contraire), il semble avéré que l'adiaphorie pyrrhonienne décrive une expérience métaphysique inutile : pour aider les êtres, il faut croire une bonne fois pour toutes que ce quelque chose existe réellement. A cela le bouddhisme répond que le relativement vrai offre des vérités provisoires fort utiles mais soumises au temps, etc., alors que l'absolument vrai, c'est la vacuité essentielle de toute et de chaque chose physique, psychique ou autre, sa claire insubstantialité.
L'adiaphorique Pyrrhon ne se laisse plus berner par les fausses sagesses; les tourbillons de la pensée discriminante le laissent "immobile" : son action, qui consiste à "dépouiller l'homme" et à "abolir tous les étants" en vue du bonheur le plus parfait, ne dévie plus, sauf distraction ou mime intentionnel, de cette dimension où il "montre (à Timon, par exemple) que les choses non différentes, non mesurables et non décidables"
Maud Simonot "l'Enfant céleste" édition de l'observatoire interviewée par Azélie Carré de la librairie le comptoir des lettres. Rentrée littéraire 2020 librest.com / lalibrairie.com