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sur 2392 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
On ne présente plus Emmanuel Carrère, écrivain « fils de » (Hélène Carrère d'Encausse), forcément russophile et amateur de personnages ambigus, sulfureux ou psychopathes, bref, hauts en couleur. Emmanuel Carrère n'invente pas ses personnages pour écrire ses romans, surtout pas, car il va par principe directement les chercher dans le monde réel, c'est beaucoup mieux. On peut citer à titre d'exemples : l'écrivain paranoïaque Philip K. Dick (Je suis vivant et vous êtes morts) ; l'ignoble assassin Jean-Claude Romand (L'adversaire) ; lui-même, atteint de machisme délirant (Un roman russe) et aujourd'hui le russe démesurément russe Limonov (Limonov).
Les « romans » de Carrère sont donc des biographies, des récits ou des témoignages, qui parviennent cependant à conserver une saveur on ne peut plus romanesque grâce aux improbables aventures qui s'y déroulent, prouvant que la réalité s'ingénie toujours à vouloir dépasser la fiction.
Limonov n'échappe pas à cette règle.
Ce héros au parcours si dostoïevskien et nabokovien (j'aurais pu encore ajouter fitzgéraldien et soljenitsynien pour faire bonne mesure, car il a connu à la fois le ghetto doré des milliardaires new-yorkais et les geôles russes d'où-l'on-ne-revient-jamais-mais-parfois-si-quand-même) a bien évidemment le destin hors norme qui a été annoncé partout… et sur lequel je ne reviendrai pas. Car Edouard Limonov est à présent définitivement sorti de l'obscurité, sans doute grâce au livre d'Emmanuel Carrère. Au même moment, comme par un heureux hasard, sont ressortis en librairie les propres ouvrages autobiographiques de l'écrivain Limonov : Journal d'un raté, Autoportrait d'un bandit dans son adolescence, etc. tout un programme.
Après avoir lu le livre de Carrère, on n'ignore presque plus rien de la vie (familiale, sexuelle, politique…) de cet étrange héros-antihéros non conformiste et controversé, tant le biographe en titre entre dans les détails et accumule les anecdotes, recueillies grâce aux interviews menées, puisées dans les livres publiés de Limonov, retrouvées dans les souvenirs de l'auteur. Parce que Carrère, qui a beaucoup d'amis et de relations, « connaissait » Limonov
Mais ce n'est pas tout, n'oublions pas cette caractéristique que l'on retrouve également dans les autres livres de l'auteur : Carrère parle aussi et surtout… de lui. le récit sur Limonov est sans cesse entrecoupé de considérations sur les événements de la vie de Carrère, les anecdotes de la vie de Carrère, les opinions personnelles de Carrère, qui apparaissent certes comme des éclairages en contrepoint de l'intrigue principale, mais qui à mon avis cassent le rythme et présentent un intérêt parfois relatif (par exemple à propos de lunettes : « J'ai dû en porter dès l'âge de huit ans. Edouard aussi, mais il en a souffert plus que moi. »). Emmanuel Carrère ne cesse de se comparer à Limonov, à la fois comme écrivain et comme aventurier (c'est très clairement annoncé page 221), de rechercher des symétries entre leurs vies : une anecdote lui rappelle la fugue de ses deux fils, une autre un déjeuner avec sa mère…
Malgré les petits excès de cabotinage de l'auteur, la lecture de Limonov, par la somme de détails très fouillés et grâce au parcours absolument sidérant du héros éponyme (qui n'est pas terminé, on peut ajouter aujourd'hui un nouvel épisode avec Depardieu, aurons-nous droit bientôt à Limonov 2, le retour ?), reste véritablement passionnante de bout en bout, même si le roman s'achève malheureusement un peu en eau de krovianka (boudin russe), et laisse le lecteur sur sa faim, car la vie de Limonov, écrivain et dissident politique charismatique dans la Russie de Poutine, est semble-t-il loin d'être achevée.
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Edouard Venianinovitch Savenko, dit Limonov, est une figure qui m'était jusqu'alors inconnue et qui pourtant a marqué l'histoire de l'Empire soviétique et du XXe siècle. Au travers du portrait qu'en fait Emmanuel Carrère, celui-ci m'a à la fois inspiré dégoût et fascination. Personnage très controversé, je ne peux pas dire que j'ai appris à l'aimer mais je ne peux pas non plus affirmer que je l'ai détesté. Il est certain que je suis contre ses idées politiques mais là où réside le génie de l'écrivain est qu'il le décrit avant tout comme un homme. Un homme à femmes, un homme aux belles femmes mais lorsqu'il les aime et qu'il voit celles-ci plonger dans la dépravation, il ne s'en écarte pas pour autant et est là pour les soutenir autant qu'il le peut. Acceptant leurs infidélités, il les aime pour ce qu'elles sont et ce sont la plupart du temps elles qu'ils l'ont laissé tomber que l'inverse.
Homme également envoûtant de par sa capacité à entraîner les foules, à les soulever et à les captiver, Limonov qui était issu d'un milieu ouvrier et a vécu dans la pauvreté est devenu un écrivain à succès et surtout un homme politique influent en son temps.

L'écriture d'Emmanuel Carrère est absolument prodigieuse car j'avoue que, tout au long du récit, je suis souvent passée du dégoût à la curiosité ; dégoût en raison des scènes très crues qui reviennent régulièrement mais curiosité en raison de l'histoire de l'ex URSS que, j'avoue, je connais assez mal mais qui m'a donné envie d'en savoir plus. Limonov, même si c'est un homme que je ne pourrais, je pense, jamais admirer, ni en temps que politique ni en temps qu'écrivain, m'a cependant captivé au point d'en savoir plus sur lui, sur son histoire et sur celle de son pays.
Livre très déconcertant car jusqu'au bout, je ne pouvais absolument pas affirmer si j'allais l'aimer ou pas (et en fin de compte, je l'ai beaucoup aimé) et je n'hésite pas à le recommander. Cependant, et c'est ce qui justifie le fait que je ne lui ai pas attribué la note maximum, j'ai été parfois "choquée" (le mot est peut-être un peut trop fort mais je ne trouve pas le mot équivalent avec juste un ton au-dessous) par les fameuses scènes que j'ai qualifiée de crues (j'avoue être particulièrement sensible à ce genre d'écriture, peut-être le suis-je un peu trop d'ailleurs).

Un livre prodigieux à découvrir sans faute !
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Emmanuel Carrère construit Limonov à sa mesure et à sa démesure.
Il se joue avec tact des frontières entre roman et récit autobiographique.

Parti d'un reportage, l'auteur français a décidé de poursuivre l'exercice et retracer la vie de Limonov, dissident ukrainien atypique, le petit prolo qui a su tracer sa route jusqu'à la jet-set, dans une période particulière de désenchantement et de non ferveur politique.

Ecrire sur ce personnage bien réel, écrivain, poète, ambitieux, qui a pensé et vécu sa vie comme celle d'un personnage de roman était sans doute un projet à exploiter pour Carrère.

Du personnage cynique, surfant sur les vagues de la vie et aimant particulièrement nager en eaux troubles on en savait déjà pas mal, mais Carrère va nous faire traverser un pan de l'Histoire en compagnie de cet aventurier, loser haineux, dandy dans l'âme, afin de nous promener dans l'après-communisme en Russie, de Stalingrad à nos jours.

Le portrait du voyou, héros cool de l'underground soviétique est retranscrit avec discipline, bien agencé et bien romancé.
Carrère développe passablement son goût pour la provocation, son besoin viscéral de reconnaissance et d'occuper le devant de la scène.

Sur son long trajet plein d'embûches, en quête brouillonne de révolution mondiale, Limonov s'est toujours relevé après les chutes.
Il voulait vivre en héros et a accepté d'en payer le prix.

Seul bémol, purement personnel, cette agaçante manie, récurrente, qu'à Emmanuel Carrère de « profiter » pour raconter des pans de sa propre vie qui n'ont pas un lien direct avec le sujet.

Cela reste tout de même un beau projet de recherche et d'enquête sur 60 ans d'histoire, mixte de fascination sur le courage et le parcours de ce personnage resté fidèle à son rêve d'être un héros.


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Pour pouvoir lire ce livre, il faut aimer deux choses : les essais et la Russie.

Ce n'est pas normal de voir que ce livre est classé dans les « romans ». Mais la commercialisation d'un livre est bien difficile et tous les moyens sont bons pour vendre !

Donc, c'est un essai, biographie de Limonov.

Le livre raconte l'histoire de Limonov, qui est un russe comme tous les russes. Il a juste envie de devenir quelqu'un, alors il partira en Amérique en sachant pertinemment que le retour aux sources lui sera interdit pendant longtemps. Là-bas, il n'a pas le succès du poète qu'il était. Alors, tous les jours de sa vie, il se bat pour survivre et il rêve de son futur succès qui viendra plus tard à Paris. Toute la biographie d'un homme russe qui ne voulait pas être anonyme mais qui voulait malgré tout rester prolétaire.
Son combat d'aujourd'hui le prouve...

J'ai beaucoup apprécié la lecture de ce livre car on est vraiment plongé dans la culture russe.
Par exemple : cette fameuse flamme bleue que la mère de Limonov laisse brûler parce que cela fait une présence. A l'époque, les russes ne payaient pas le gaz… La flamme bleue pouvait toujours lui tenir compagnie...
Autre exemple : si les russes partent de leur pays pour l'ouest, ils ne sont plus censés revenir… Autant de petites choses qu'un occidental ne comprend pas.

En bref, le livre est bien écrit…
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Tout est dit dans l'entretien final. Limonov interroge Emmanuel Carrère : "C'est bizarre quand même. Pourquoi vous voulez écrire un livre sur moi ?", qui lui répond : "parce qu'il a - ou parce qu'il a eu, je ne me rappelle plus le temps que j'ai employé - une vie passionnante. Une vie romanesque, dangereuse, une vie qui a pris le risque de se mêler à l'histoire" Suite à cette réponse, la remarque de Limonov fuse : "une vie de merde, oui". L'ambivalence du personnage est ainsi posée et traversera cette biographie.

Cette vie racontée, à laquelle l'auteur lie la sienne, nous promène d'abord dans les milieux artistiques et intellectuels de plusieurs capitales : Moscou de 1967 à 1974, New York de 1975 à 1980 et Paris de 1980 à 1989. On retrouve les traits de l'auteur et les saillies érigées en art littéraire mais à sa décharge, Limonov ne semble pas avoir eu une vie prude. On découvre ainsi que le Zapoï, cette cuite à la Vodka qui dure plusieurs jours, n'est pas une légende. Elle a éloigné sa jeunesse de la mienne car ma quantité d'alcool absorbée était moindre. Tiens, je fais comme Carrère, je rapporte ma jeunesse à celle de Limonov !

En deuxième partie, c'est dans son pays que l'éternel dissident mènera ses derniers combats. On visite ainsi l'histoire de l'URSS de 1989 à 2001 qui a placé Poutine au pouvoir à la fin du mandat d'Eltsine ; alors qu'il n'était pas sûr d'en avoir la carrure ! Cela finit par une comparaison des parcours de Limonov et Poutine !

Celui qui se voulait le créateur du roman russe moderne raconté par Carrère m'a donné envie de retrouver l'âme russe d'autres auteurs : Tolstoï, Dostoïevski...
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Emmanuel Carrère s'empare à nouveau de la vie de l'un de nos contemporains, Limonov, né en 1943 en URSS.

Dans cette brillante biographie, des évènements de la vie d'Emmanuel Carrère s'entremêlent tout au long de son récit à ceux qui jalonnent la vie du sulfureux Edouard Limonov. Ce parallèle échappe d'emblée à un simple égarement narcissique mais constitue une mise en lumière passionnante de son parcours. Une vie hors du commun qui n'est pas due à une suite d'accidents du destin mais bien à une volonté farouche de mener une vie d'aventurier.

Le livre est écrit sans complaisance, avec des mots crus mais dans un style direct magnifique, Emmanuel Carrère nous livre sa vision de Limonov. « Pour lui tant qu'on est méchant, c‘est qu'on n'est pas de venu un animal domestique », « Lui, Edouard, on ne l'achète pas, on ne le domestique pas. Il est un bandit de grand chemin qui veut bien, si leurs routes se croisent, frayer avec le grand chef, d'égal à égal, mais ne se mêle pas à la racaille de ses valets, indicateurs et porte-flingues. »
Mais « c'est vrai, il ne juge pas. Il est sans illusions, sans compassion, mais attentif, curieux, serviable à l'occasion. »

Sur fond de chute du communisme, on suit son séjour en France puis à New York où il deviendra SDF, majordome, son retour en Russie, sa participation à la guerre des Balkans, ses activités politiques, son passage en prison. Il y a les femmes aussi, Anna, Elena, Natacha… et l'écriture. Limonov n'a pas froid aux yeux, rien ne lui fait peur et ses idéaux comme bon nombre de ses actes sont abjects. Tout au long de sa vie, il a publié une oeuvre autobiographique dont Emmanuel Carrère fait l'éloge littéraire. Il s'en est d'ailleurs largement inspiré pour appréhender l'homme tout en menant son enquête.

Une quête âpre, parfois écoeurante , mais on ne lâche plus le livre une fois qu'on l'a commencé.

En refermant ce livre, je n'étais pas fâchée de prendre enfin congé de ce personnage mais certaine de l'immense talent de Emmanuel Carrère qui rappelle avec force mais aussi beaucoup de subtilité qu'il existe des hommes comme Limonov.

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1992, sur les hauteurs de Sarajevo. La guerre bat son plein. Edouard Limonov est filmé en compagnie de Radovan Karadzic, le chef des Serbes de Bosnie, par une équipe de la BBC qui réalise un reportage. Il sera diffusé sous le titre Serbian epics. On y voit Edouard Limonov, "the famous russian writer", qui s'essaye au tir à la mitrailleuse depuis les collines dominant la ville. Tir à l'aveugle. Pour voir. Dans les rues de Sarajevo, on rase les murs, on se jette au sol. La guerre donne libre cours à ce genre de comportement insensé ou situation dramatique selon que l'on se trouve d'un côté ou de l'autre de l'arme.

Cet épisode de sa vie vaudra à Limonov l'étiquette de fasciste qui lui collera désormais à la peau. Surtout dans les milieux intellectuels français. Il avait séjourné auparavant quelques temps à Paris, dans l'errance de sa vie de dissident russe, et déjà plus soviétique.

Curieuse ambivalence chez un personnage tout aussi singulier, fondateur et idéologue d'un parti politique atypique lui aussi, mais sans gloire, celui des nasbols, pour parti national-bolcheviks. Grand écart des idéologies dans les oscillations du balancier de l'irrésolution, entre la nostalgie d'un communisme moribond et les dérives extrémistes droitières. le tout sur fonds de chaos de l'effondrement de l'union soviétique, dans une Russie ressuscitée trop vite, que la pègre a prise de vitesse à la course vers l'économie de marché, doublant ainsi les nouvelles autorités maladroites dans leur nouveau costume pseudo libéral.

On peut se demander ce qui a pu inciter Emmanuel Carrère à se lancer dans la rédaction de pareille biographie d'un personnage encore de ce monde. le sentiment qui entre en jeu avec pareille intention est bien sûr celui de la fascination. Celle suscitée par un héros qui a, non pas tout réussi, mais bien tout foiré dans sa vie. Enfin presque, si l'on compare sa notoriété à son ambition. Celle de faire de sa vie un mythe. Exigence suprême d'un narcissisme prédateur. Il en convient lui-même, ne serait-ce que dans le titre de ses ouvrages tels le Journal d'un raté, le petit salaud et Autoportrait d'un bandit dans son adolescence.

La célébrité lui est quand même tombée dessus sur le tard. Elle est venue le chercher en prison alors qu'il purgeait une peine pour ses menées subversives. Sans doute parce que les autorités de l'époque, sous la férule de Vladimir Poutine, ont estimé qu'il était moins dangereux libre, en trublion à la maigre audience, que détenu. L'emblème du martyr aurait bien pu germer dans l'esprit des déboussolés que cette période de bouleversements a pu jeter à la dérive.

Limonov, le beau gosse, l'auteur prolifique en sa langue natale, mourir ne lui fait pas peur, ce qui le hante c'est de mourir dans son lit, inconnu. Aussi n'a-t-il cessé de braver les autorités, de choquer les esprits, de chercher la consécration dans le combat politique protestataire, puisque la séduction n'avait pas porté ses fruits. Autant d'actions désordonnées à travers le monde, New York, Paris, Moscou, Sarajevo et tant d'autres lieux où son entourage sera témoin de ses extravagances, de ses comportements licencieux, en butte à un monde qui ne l'adule pas à la hauteur de ce qu'il lui devrait. Ses ouvrages clament ses désillusions.

Emmanuel Carrère a été séduit par ce personnage fantasque. A-t-il éprouvé de l'affection pour lui ? Sans doute. A-t-il compati à sa déconvenue? Il s'en est bien gardé. C'eût été lui faire injure. Je dirais plutôt qu'il a compris les battements d'ailes de ce papillon contre le miroir du monde. Il a mis son style limpide au service de cet esprit engoncé dans le costume de l'intellectuel en mal de reconnaissance et qui n'a eu de cesse de tambouriner à la porte du succès. Elle lui restait obstinément close. Il a été doublé sur le fil par Joseph Brodsky dans la compétition au prix Nobel de littérature. Il s'en est estimé floué. Il conservera envers ce dernier une rancune tenace.

Emmanuel Carrère a pu le désigner comme le prototype de qui ne se satisfait pas de l'ignorance dans laquelle le laisse ses congénères. A l'indifférence, il préfère le mépris. Même s'il faut choquer pour attirer l'attention sur soi. Voilà pourquoi le "salaud magnifique" relate ses frasques sexuelles durant sa vie de clochard à New York avec cet ouvrage: le poète russe préfère les grands nègres.

Le style d'Emmanuel Carrère, il est agréable à lire. Il fait courir les pages sous les yeux de son lecteur. Il est toutefois entaché à mes yeux de passages d'une grande obscénité qui nous replonge dans la bassesse de la condition humaine. Mais peut-être est-ce voulu pour s'identifier au comportement de son sujet. Bien qu'à la lecture du Royaume, j'avais déjà pu me rendre compte qu'Emmanuel Carrère ne s'embarrasse pas à tourner autour du pot. Appelons un chat un chat, et tant pis pour qui s'en offusque. Cela n'a pas empêché son auteur de glaner le Prix Renaudot 2011 avec cet ouvrage. Au diable le conformisme à la bienséance.

Limonov, ou ne pas "mourir obscur". Voilà quel pourrait être le sous titre de cet ouvrage passionnant.

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Si vous souhaitez vivre une aventure hors du commun, parcourir les paysages hostiles et désolés de la campagne Ukrainienne profonde, sentir les bas-fonds d'un Moscou dévasté et désabusé par l'effondrement du communisme au début des années 90', vous frotter à la fange des ultra-nationalistes sanguinaires et brutaux des Balkans, vous immerger dans la puanteur moite et sordide des bas-quartiers New-Yorkais ou encore vous sentir porter par l'euphorie des soirées littéraires parisiennes et bien Limonov est fait pour vous.
Emmanuel Carrère s'est penché avec cet ouvrage sur une sorte de biographie romancée d'un certain Edouard Savenko, plus connu sous le pseudonyme d'Edouard Limonov, poète looser mais à l'indéniable talent, mercenaire, voyageur de l'extrême ou nationaliste intransigeant (c'est au choix) à la vie aussi romanesque que sulfureuse. Sans être réellement capable de l'expliquer clairement, cette lecture, qui m'a semblée plutôt étrange et fade dans un premier temps, aura très rapidement su me happer et m'obliger à tourner les pages avec une frénésie non feinte, un peu comme une sorte de marathon vers un dénouement catastrophe qu'on subodore et qui prend irrémédiablement forme au fil du temps.
Il est difficile voire impossible de décrire en quelques lignes la vie de Limonov. Ecrivain génial et productif à souhait, amoureux des femmes, indécrottable voyageur, étrange orateur au charisme bien ancré, il aura traversé et retraversé le monde au hasard de rencontres improbables et d'aventures aussi inattendues que rocambolesques, mais toujours avec cette volonté, cette force qui le pousse à avancer vers cet idéal que lui seul semble maîtriser. Quoi qu'on en pense, il ne laisse jamais indifférent, tantôt fascinant, tantôt effrayant, il est de ces personnages qui un jour suscitent l'admiration (je repense à ses séjours dans les tristes prisons russes) et le lendemain le dégoût (à l'image de sa participation aux exactions commises par les nationalistes Serbes dans les Balkans).
Limonov aura été pour moi un très bon moment de lecture, qui a su me plonger dans une ambiance, un univers si particulier, indéfinissable, étalé sur plus d'un demi-siècle et proposant d'innombrables rencontres : entre apparatchiks et dissidents soviétiques qui se taillent la part du gras, poètes géniaux et autres artistes maudits, despérados paumés des campagnes russes en recherche d'un guide visionnaire ou encore (personnage central à mes yeux) ce vieux sage qui apprendra à Limonov les vertus de la méditation… Pour conclure, je dirai qu'Emmanuel Carrère a su proposer un roman vraiment bien construit en évitant les pièges que ce type de récit lui tendaient (tomber dans une sorte de pathos soporifique et désuet), au contraire, il nous propose un texte léger, agréable à lire qui transportera le lecteur loin, très loin dans un monde que même John Ritchie (Sid Vicious pour les incultes) n'aurait pas osé imaginer.

Lien : http://testivore.com/limonov/
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Au travers de cette biographie détaillée de l'illustre inconnu qu'était à mes yeux Edouard Limonov, Emmanuel Carrère parle de notre histoire récente, en particulier l'hsitoire de la chute de l'ex URSS et de la nouvelle Russie ultra libérale. Et bien sûr Carrère parle de son histoire préférée, c'est-à-dire de lui.

Il le fait avec un talent certain, et la mayonnaise prend. Lecture agréable et instructive sur notre histoire récente.


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Oserais-je la comparaison?... Il y a du Claude François dans cette lecture du Limonov d'Emmanuel Carrère: alors que la personne n'a rien d'"aimable", je ne peux m'empêcher de chanter ou danser dès les premières notes de n'importe laquelle de ses chansons; alors que le héros du livre d'Emmanuel Carrère a tout du personnage abject, j'ai dévoré avec gourmandise l'histoire de sa vie!

Ce que je n'ai pas aimé, c'est de lire avec plaisir la biographie d'un homme sulfureux, fasciste et prêt à tout pour être à la tête du pouvoir, encore vivant et n'ayant peut-être pas dit son dernier mot en matière d'actions violentes et moralement condamnables.

Ce que je n'ai pas aimé non plus, c'est de croire, l'espace de quelques pages, que j'allais enfin, à force de concentration, comprendre les tenants et aboutissants des conflits dans les Balkans (Sarajevo, les Serbo-Croates, le Kosovo,...) alors que finalement, non!...c'est presque toujours aussi incompréhensible pour moi...
Mais, par contre, j'ai apprécié que l'auteur me dise que le sujet est tellement compliqué que même les personnes concernées et impliquées au premier chef ne peuvent pas tout expliquer!

Et puis, j'ai aimé l'écriture d'Emmanuel Carrère, que je découvre par ce récit, et qui m'a donné une impression de grande proximité. Les références comme un hommage à sa mère, historienne de renom et justement spécialiste reconnue de l'URSS, sa façon de mêler ses réflexions sur son propre parcours et les parallèles qu'il fait, ou pas, avec celui de Limonov, m'ont rendu le texte très vivant et "humain". Il ne parle pas d'une idole inacccessible mais d'un être de chair et de sang que les choix politiques me rendent particulièrement antipathique mais qui, d'un autre côté, m'émeut par sa fidélité et l'amour inconditionnel qu'il a portés aux femmes de sa vie.

J'ai aimé aussi découvrir, à quelques pages de la fin, que Limonov avait des enfants. Alors que j'avais l'impression que l'auteur ne nous avait rien caché, pour ne pas dire rien "épargné", de la vie de son héros, j'apprends que ce qui est sans doute l'essentiel dans la vie d'un Homme, ses enfants, a été préservé. Je me suis sentie libérée: d'un seul coup, au lieu d'avoir un homme et toute sa vie jetés en pâture au jugement des lecteurs (de quel droit, malgré tout?), je me rends compte que l'auteur et son héros ne m'ont livré que ce qu'ils avaient envie de me dévoiler, qu'ils ont protégé ce qu'ils avaient décidé de taire. du coup, de mon côté, je me sens davantage autorisée à donner mon "jugement" sur les choix troubles et contestables de cet homme qu'aucune violence ne semble rebuter.

Et, bien entendu, j'ai beaucoup aimé voir se dérouler de façon tout à fait accessible toute l'histoire de la Russie au 20ème siècle, de l'ère communiste au régime dictatorial à l'éclatement de l'URSS et à l'installation "anarchique" d'un capitalisme incontrôlé et aux conséquences sociales dévastatrices. J'ai mieux compris ce que peut recouvrir l'"âme russe", si loin de mon monde occidental, et l'actualité de cette région dans la dernière décennie me semble moins obscure.

En bref, une biographie qui se lit comme un roman d'aventures, qui m'a apporté quantité d'informations sur l'histoire de la Russie (ce qui m'aide à mieux comprendre ses problèmes actuels), qui m'a donné très envie de lire Soljénitsyne (L'archipel du goulag et Une journée d'Ivan Denissovitch) et qui m'a fait découvrir un auteur, Emmanuel Carrère, dont je compte bien explorer très vite la bibliographie!...
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